Nous sommes en 2024.
Ou alors en 3024.
Ou en 2742.
Disons 2024.
Nous sommes à New York.
Là j’en suis sûr, le dossier de presse est très clair sur ce point. New York. C’est important, puisque la ville est parfaitement modélisée, tout ça tout ça.
Crysis 2 est un First Person Shooter. Vue subjective, armes qui font pan, immersion. Le marché des FPS s’avère déjà fort saturé mais Crysis 2 débarque sûr de son fait. C’est que le jeu, développé par les studios Crytek, constitue avant tout une “formidable vitrine technologique”. Le principe est le suivant : vous placez un joueur devant les images, manette en main, et vous l’observez tandis que sa machoire tombe et qu’il bavouille des “Han, mais c’est HYPER BIEN FAIT.” et autres “Hé ben, c’est CLEAN.”
C’est ça, une « formidable vitrine technologique. »
Les studios Crytek n’en sont pas à leur coup d’essai, en matière de “formidable vitrine technologique”, puisque on leur doit Far Cry (PC, consoles next gen), Far Cry 2 (PC, consoles next gen), Crysis (PC). Autant de “formidables vitrines technologiques” propres à déboiter les mâchoires les plus serrées.
Donc, premières minutes de jeu : une bien belle ambiance apocalyptique de monde civilisé sur la brêche comme on en a vu quelques dizaines ces derniers temps. Des explosions partout. Et là au fond, on dirait bien des ….oh mon DIEU des ALIENS. On sent bien que ce n’est pas du Eric Rhomer. Notre personnage, sorte de Delta Force du futur, meurt durant la scène d’exposition et nous bavouillons “Han, mais c’est HYPER BIEN FAIT” avant de prendre la main, réincarné dans une sorte d’espèce de super combinaison, la “Nanosuit” autorisant bien des choses hors de portée du commun des mortels.
Comme par exemple envoyer valser des voitures d’un coup de pied, ce qui ne sert à rien.
A partir de ce moment (4ème minute devant l’écran, en gros), Crysis 2 révèle ses trop nombreuses lacunes, ainsi que sa véritable nature.
On passera sur le scénario bellicofuturiste repoussant les limites de l’intelligible en s’évertuant à intégrer à la va comme je te pousse un inventaire exhaustif de thématiques déjà trop ressassées. Bon, livrons-en quelques mots-clés : menace extra-terrestre, catastrophe bactériologique, super soldat, armée du futur, New York, contamination, guerre, fin du monde, conspiration, seul espoir de l’humanité. Bref, n’importe quoi.
Que l’on se contente de retenir que Crysis 2 vous mets dans la Nanosuit, vous équipe de pouvoirs, de fusils d’assaut et d’une voix robotique qui descend dans les bas octaves. La suite, air connu, vous demande d’aller de là à là, dans un New York “superbement modélisé à la profondeur de champ encore inédite” en génocidant tout ce qui vous passe sous le railgun.
C’est HYPER BIEN FAIT.
Et alors ?
Alors rien.
Dans Crysis 2, tout est calibré pour offrir au jeu les moyens de briller. Le joueur est ici accessoire.
A vrai dire, Crysis 2 ne se préoccupe que peu d’offrir une expérience ludique. En tant que “vitrine technologique”, la chose ne s’embarrasse pas avec la cohérence narrative, se moque totalement de savoir si son level design démesuré contribue au plaisir d’explorer ou à la frustration de ne pas savoir où aller, et se tamponne le code source du plaisir de jouer, pour mieux enchainer les démonstrations de force et les prouesses ostentatoires. En tant que vitrine, Crysis 2 ne fait que peu de cas de l’ennui ressenti passé l’effet whaou du début. Et l’ennui pointe vite, je suis témoin.
Autocentré et monolithique, convenu et prévisible, empruntant sans gloire et détournant sans audace, doté du charisme d’un body builder mentalement retardé, Crysis 2 exhibe ses pectoraux, fait saillir ses triceps, puis, l’oeil torve et la malice en berne, guette votre réaction subjuguée tandis que vous avez depuis longtemps reposé le pad, agacé par tant de suffisance.
Crysis 2 n’est pas un jeu. C’est une démonstration.
On songe aux balourdises de Michael Bay et de Roland Emerich, deux spécialistes de la “formidable vitrine technologique” sur grand écran. On tente de saisir les raisons qui poussent de brillants techniciens à sortir cet objet sans saveur. Et puis vient l’épiphanie : bien que vendu comme tel, Crysis 2 n’a pas besoin d’être un jeu. C’est un “middleware”. Comprenez un outil destiné à produire de vrais jeux dotés d’une âme. Ce qui manque cruellement à ce shooter imbécile sous hormones.
Gageons que de nombreux joueurs trouveront un certain plaisir à se secouer la Nanosuit pour dégommer de l’ennemi (lequel ? on s’en fout, de toute façon on ne comprend rien). Néanmoins, Crysis 2 pose un problème. Celui d’une industrie qui se touche le code en se regardant le nombril lorsque le champ des possibles dépasse tout ce que le divertissement humain a connu jusqu’alors.
Derrière sa belle assurance, Crysis 2 ne cache rien.
Note : 3,5/10
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