“Come and fly away with me tonight”
Elle a débarqué dans ma vie en me proposant un envol, une originalité, une fantaisie. Elle était là assise dans un bar, gracieuse et j’en suis tombée raide dingue. Intriguée, attirée, je me suis installée près d’elle, elle m’a longuement regardée, a présenté sa main pour serrer la mienne : « Je serai ton plus lumineux diamant ».
Interloquée, je me suis dit qu’elle s’emballait un peu trop, elle l’a senti, m’a expliqué : c’était son nom.
Nom de scène un peu bancal, « mon plus lumineux diamant » pour une fille toute seule, c’est risqué, un peu mégalo. Pourtant, tout est de l’anti-marketing chez elle, le nom, l’attitude, la voix, le lyrisme. Comme si elle ne souhaitait pas vraiment être aimée, qu’elle errait ivre de liberté, tourbillonnante, se cognant parfois contre les murs, un peu affolée, chutant au sol, pour mieux se relever et tout survoler de très loin.
Je ne me souviens pas très bien, peut-être au détour d’une news des inrocks, ou un blog, ce morceau, cette libellule qui m’implorait à coups de vocalises et de violons, « Dragonfly ». C’était presque trop. Une onde de force, une déferlante, presque une drama queen à qui l’on s’attache viscéralement mais qu’on peinerait à défendre, une Castafiore adorable à qui l’on passerait tous les caprices tant elle est douée, une tragédienne du rock.
Je suis tombée en amour.
Shara Worden, hélas la créature ensorcelante a un prénom et un nom comme tout le monde, j’étais presque déçue, Shara Worden est née aux Etats-Unis et vient de l’opéra qu’elle a étudié, a découvert le rock à New York, incarne la reine dans l’opéra rock « The hazards of love » de The Decemberists, collabore avec Sufjan Stevens sur « Illinois », « The Age of Adz » et rencontre la troupe de Illinoisemarkers, le groupe de scène qui l’accompagne.
Voilà pour l’histoire officielle, mais ce que je souhaite conter, c’est mon histoire d’amour avec elle, My Brightest Diamond. Elle démarre sur un coup de foudre absolu, un morceau rencontré par hasard « Dragonfly », love story d’un soir qui perdure miraculeusement le lendemain matin.
D’une chanson à la discographie entière.
D’une folle nuit à des cinq à sept partagés. Enfin, onze. Son premier album « Bring me the workhorse ».
Elle et moi.
Moi et elle.
D’une folle nuit à des jours partagés. Le second album, « A Thousand Shark’s Teeth », que j’ai acheté les yeux fermés. Je vivais en couple avec elle, et la routine avait presque eu raison de nous. Je l’aimais quand même. Dans la même veine que le premier, rock lyrique, mélange de brut et de classique, je trouvais ma belle amoureuse peut-être trop sûre d’elle, les ficelles étaient plus grosses, ce je ne sais quoi de bouleversant lié à un genre de maladresse avait disparu. Les mélodies moins abouties. Restaient la voix et le talent immenses envers et contre tout.
Alors que je désespérais de la revoir flamboyante et inspirée, soudain, cette reprise de « I am feeling good », chef d’œuvre de Nina Simone, ranime la flamme. Cette chanson est éculée, presque à bout de souffle, seule l’originale me fait encore battre le cœur. Et Shara s’en empare comme jamais à la hauteur du Dieu Simone, ce qui, convenons-en, n’est pas à la portée du premier venu. L’inconnue d’un soir qui vous ensorcelle était de retour.
Hélas pas pour longtemps, l’accident industriel de David Byrne & Fatboy Slim « Here lies love » me fit craindre le pire. Qu’était-elle allée faire dans ce guêpier ? La chanson en question « Seven Years », heureusement, est passée inaperçue, j’ai eu très peur pour elle, nous nous sommes disputés, après tout elle faisait des choix qui avaient des conséquences sur notre couple, je lui en voulais presque, mais toujours et encore mon espérance, ma foi en elle pardonnait toutes les erreurs.
Je voulais qu’elle prenne des risques, qu’elle s’aventure ailleurs, que je l’admire à nouveau. D’autres terrains musicaux, d’autres inspirations, je sais qu’elle s’essoufflera si elle s’enferme, convaincue qu’elle peut apporter quelque chose de rare à n’importe quel style. Prefuse 73 sera la première marche, elle a collaboré au nouvel opus « The only she chapters ». Son album de spoken words « Ziyalan: Letters to Distant Cities » aussi.
Je la suis, achèterais tout si je pouvais, mais si je reviens aux origines de ma liaison éternelle avec Shara, c’est son premier album. « Bring me the workhorse » : j’aime la fin de « Something of an end », sa batterie, rock, la rupture, son envolée lyrique, délicate. J’aime la tension de « Golden Star », le désespoir fataliste de « Gone away », la délicatesse de « Dragonfly ». J’aime la mise en scène de « Freak out », ou en contre-coup la simplicité de « We were sparkling ». Je détaille chaque morceau comme je le ferais de son corps : ses épaules, ses chevilles, sa nuque, ses seins, sa chute de reins, ses mains…
J’aime.
J’aime la bass hypnotisante de « The Robin’s jar », le désespoir si féminin de « The good and the bad guy », ce mélange absurde de souffrance et d’amour que seules les femmes connaissent, le rythme de la voix dans « Workhorse ».
Pourtant, j’avais pris mon temps, un peu craintive. J’avais acheté l’album « Bring me the workhorse », l’avais parcouru vaguement, il m’avait fait peur. J’avais épié My Brightest Diamond, la trouvant terriblement séduisante, le corps gracile et nerveux. Mais ingérable. Je suis restée quelques semaines à l’observer comme une bombe prête à exploser, j’ai reculé, tergiversé et j’ai plongé. Plongée corps et âme, car rares sont les albums, les artistes avec qui je me sens viscéralement liée, au-delà du son, une certaine vision de l’humanité, une voix, oui une humanité tourmentée, fragile et puissante, toujours au bord de se briser mais qui survit on ne sait par quel miracle. Je dirais qu’il y en a deux : Jeff Buckley et My Brightest Diamond. L’on sait ce qu’il est advenu du premier et quand la seconde chante « Disapear », je crains le pire. Je la crois quand elle chante qu’un jour, elle disparaîtra. Et j’aime l’idée de la disparition.
J’aime l’élégance dont elle fait preuve pour annoncer le pire.
Frénétique dans la tourmente, digne dans la fatalité.
Il y a peut-être quelque chose d’hystérique chez My Brightest Diamond qui renvoie à ma propre hystérie. Je surréagis souvent. J’ai parfois mal à ceux que j’aime, mal au monde, mal à moi-même, comme un enfer mis en cage. J’ai la sensation que c’est semblable, chez elle, un enfer mis en cage, mis en mots, mis en notes. C’est peut-être pour ça que je l’aime cette femme, elle est comme un miroir.
« Bring me the workhorse ». Un album charnel car profondément lié à la nature, ensorcelant car il raconte des histoires fantastiques, profondément féminin, presque indigeste car c’est une déferlante d’émotions, de violons, d’envolées vocales, un album too much mais d’une sincérité rare.
Je ne me suis jamais remise de ma rencontre avec My Brightest Diamond. J’aimerais crier au monde qu’elle existe. C’est ma déclaration d’amour, maladroite et exaltée envers une artiste qui n’a jamais été dans le compromis. D’une nuit d’ivresse à une vie partagée, d’une chanson rencontrée par accident à un parcours musical.
Prenez-moi comme je suis, agaçante et touchante, émotionnelle et effrayante, car jamais je ne laisserai des morceaux épars de moi-même. Car quoi que vous en pensiez, she is a brightest diamond.