J’ai toujours naïvement pensé que Battles était un groupe qui fonctionnait sur une alchimie particulière, particulière car presque hasardeuse ; comme s’il avait fallu un sacré coup du destin pour que ces quatre là se retrouvent à jouer ensemble. Le fait que l’extravagance de Tyondai Braxton arrivât à se caller dans les rares respirations de l’épileptique Ian Williams ressemblait à l’assemblement parfait de deux pièces issus de puzzles différents. Aussi lorsque le premier a annoncé son départ du groupe, je m’étais imaginé que, privé d’un de ses écrous, la machinerie ne pourrait plus tourner (ou tournerait à vide).
C’est donc sous forme de trio que les reliquats de Don Caballero, Helmet et Tomahawk poursuivent leur route avec pour maitres mots l’idée de noyer cette fois les expérimentations dans de vraies chansons ; l’expérimentation comme un moyen et non comme un but. L’ambition est noble car les plus belles expérimentations sont toujours celles qui ne s’affichent pas comme telles. Et quant « Ice Cream » s’envole, on a vraiment l’impression que les new yorkais ont réussi à trouver un subtil dosage entre démonstration technique, format chansons et repères mélodiques : Matias Aguayo a le hoquet et sa voix virevolte au dessus des riffs. Sans être totalement réussie, la confrontation entre les voix et la cavalcades infernales des instrumentations tient formellement la route (Kazu Makino de Blonde Redhead s’en sort également très bien sur « Sweetie & Shag »).
Encore plus que par le passé, « Gloss Drop » propose des développements par couche hérités de l’électronique, c’est assez criant sur « Futura » où la guitare d’abord seule et isolée est à une minute rejointe par la batterie puis par les basses puis par le clavier, puis par une deuxième guitare, chaque couche se positionnant uniquement par rapport à la précédente. C’est ensuite du côté du post-rock que le groupe trouve son identité. Alors que le genre n’était qu’une ombre qui planait au dessus de « Mirrored », il s’impose aujourd’hui comme un cadre, comme une réelle profession de foi… et c’est peut-être de là que vient le problème. A de maintes reprises, on a l’impression que Battles est cadré et qu’il a été dépouillé de sa fameuse liberté. Les chansons ont un début et une fin déterminée à l’avance et ne souffre en leur sein que de certaines déclinaisons autours de thèmes orientaux, musiques de cirques et autres gimmicks destinés à casser la routine (« Inchworm »). A force de canaliser la folie, des chansons comme « Dominican Fade » oublient de se développer et il est étonnant de voir un groupe auparavant si imprévisible avancer maintenant sur des rails.
Livré à lui-même depuis le départ de Tyondai Braxton, Battles a beau bomber le torse et tenter de nous faire croire qu’il n’a jamais été aussi proche de son essence, qu’il est dorénavant une machine de guerre invariable, on sent bien que sous la carapace se cache une entité affaiblit qui a préféré jouer la défensive et se raccrocher à ses acquis pour ne pas vaciller.
Alors bien sûr « Gloss Drop » est traversé de moments de tension incroyables où les os se brisent sous la puissance rythmique, sous les assauts de la guitare aliénée – le corps se retrouve désarticulé à l’écoute de « Wall Street » et l’on ne peut plus contenir ses hormones sur « Africastle » ; on se sent vivant, on se sent viril, on se sent plein de vie.
Mais à chaque fois que l’on se blottit contre ces chansons d’apparences brulantes, on ne ressent qu’un souffle glacial comme si Battles était un groupe meurtri faisant semblant d’être au meilleur de sa forme. Chacun gère ses ruptures comme il le peut et il était probablement opportun pour le trio de faire comme si la séparation ne l’avait nullement déstabilisé. Mais au final on ne peut s’empêcher de voir dans « Gloss Drop » une fierté mal placée comme si prouver qu’on a gagné la rupture était plus important que de dévoiler ses peines et ses blessures.
Note : 6/10