Songwriter secret et changeant, Cass McCombs revient avec un disque qui surprend à un autre endroit que ses prédécesseurs. Après les embardées morrissiennes de Prefection, le maniérisme pop de Dropping The Writ et l’imagerie rétro de Catacombs, on imaginait mal McCombs nous sortir encore une nouvelle gamme de sons de sa boîte à trésors. On ne s’était pas complètement trompé sur ce point : Wit’s End n’explore pas prioritairement de nouveau horizons soniques. Il y a certes des instruments à vents qui sont inédits, une utilisation originale du piano, mais qui s’inscrivent dans un changement plus fondamental ; c’est le cœur des compositions qui sont ici touchées plus que leur peau.
Wit’s End ressemble en pas mal de points à Catacombs, à la différence qu’un cap y est franchi en terme de maturité et de précision formelle. On se souvient de Catacombs : disque porté par quelques titres formidables (« Dreams-Come-True-Girl » « You Saved My Life » « Harmonia ») et qui entre, s’essoufflait dans un folk-rock étonnamment répétitif et peu convaincant. On comprend aujourd’hui qu’il ne s’agissait pas d’une baisse de forme, d’une inspiration fluctuante – Catacombs portait en lui les germes de ce qui éclot pour de bon dans Wit’s End, à savoir une tendance au minimalisme qui était impossible à anticiper auparavant.
L’album débute sur « County Line », balade soft d’une sensualité inouïe qui laisse encore planer le doute sur les intentions réelles de McCombs. Dès le morceau suivant et pour les sept prochains, en revanche, la vérité éclate : Wit’s End est profondément anti-spectaculaire, affreusement dépouillé et plongé dans la rumination. Tout se traîne, lentement, sordidement. Il n’y aura plus de partie de batterie clairement établie, plus aucun refrain romantique, aucun break un tant soit peu vivant – McCombs nous plonge dans une noirceur sans retour, et une noirceur qui surprend par son vide et son désintérêt lucide.
Wit’s End n’est pas une plainte, encore moins un épanchement malheureux. Le sombre y règne sans avoir batailler à mener. Et les textes de McCombs, si désespérés, ne tombent dans aucune détresse parce qu’ils sont tenus, cadrés dans une forme musicale des plus rigides. Rarement folk, en effet, n’aura paru si écrit. Jamais on ne sent poindre la moindre incertitude, le moindre écart par rapport à la partition. Impossible d’imaginer Wit’s End comme le moment arbitraire d’un processus d’improvisation. Les mélodies ici ne s’explorent pas, ne sont pas jouées par essai ou par erreur, elles sont là, condamnés par l’écriture. Si bien que la mélancolie des voix et des textes se trouve d’emblée enfermée, libre d’aucun mouvement, bloquée dans des structures minimalistes et cycliques précises comme l’horloge. Que le temps a passé, quand on y repense, par rapport à ces vieilles chansons emportées où Cass McCombs exorcisait la tristesse adolescente. Maintenant le noir est cadenassé, scruté et analysé avec une distance aussi fascinante que glaçante.
Note : 8/10