À force de prospecter de l’or à travers le tamis de ses chansons lumineuses pour les dispenser en pépites dans les recoins interlopes de son presque anonymat, normal que Kenny Anderson ait replongé sous terre pour y quérir de plus précieux minerais. Qu’il ait croisé sur son chemin ce puisatier d’air pur qu’est Jon Hopkins tenait a priori de l’heureuse rencontre, mais se révèle en réalité bien davantage. Au fin fond de la mine, quelque chose d’autre s’est produit ; et le creux de la montagne a accouché d’une montagne. Comme si les deux mineurs, refusant d’infliger toute violence à la roche, s’étaient aventurés dans l’obscurité sans le moindre coup de pioche et l’avaient au final amadouée, extrayant main dans la main un diamant immense et finement taillé par leurs seules caresses.
Chacune des sept compositions de cet album a l’allure d’un joyau tout à la fois brut (la mélancolie de l’écorché vif King Creosote) et ciselé (les textures sonores dont les tapisse l’orfèvre Hopkins). Quand l’un, guitare sèche en bandoulière et voix de barde spectral en avant, croise le piano en apesanteur de l’autre, ce sont deux mondes d’infinie douceur qui fusionnent à défaut de pouvoir entrer en collision. En émerge une sorte de beauté inédite, curieusement insoupçonnable lorsque l’on sait pourtant toute la grâce diaphane que ces deux faiseurs d’étoiles portent au bout de leurs doigts. Il y a ainsi sur “Diamond Mine” une magie ininterrompue, loin des habituels tours de passe-passe des musiques contemplatives, une réelle complicité entre artistes miraculeusement complémentaires et non la banale superposition d’un talent sur son pair.
On aurait pu croire que l’association verrait un électronicien doué remixer les chansons dépouillées d’un folkeux dans l’impasse. Brodés de field recordings, les titres gagnent en dentelé de manière presque trop évidente. Mais contrairement à tant de créatures bicéphales, l’équilibre atteint est si parfait, l’harmonie si naturelle, qu’il est impossible de dire laquelle des deux têtes a pris ici l’ascendant sur son double. De sorte que sur la plupart de ces plages de calme blanc, le cœur n’est jamais plus important que la chair, et vice versa. King Creosote pour le fond, Jon Hopkins pour la forme, et un tout qui démontre de la plus étincelante façon combien l’un et l’autre sont indissociables. Aussi peu importe vers qui va notre allégeance, puisque le yin comme le yang renferment cette part de l’autre qui en garantit l’achèvement.
Il est de coutume d’apporter bien plus d’eau au moulin des impressions, de discerner les raisons qui rendent une œuvre mémorable et d’en pointer les sommets. Dans le cas présent c’est, on l’aura compris, une authentique gageure : sur ce diamant à sept faces, toutes brillent du même éclat puisqu’elles sont les déclinaisons d’une même formule d’alchimiste(s). Mais ce qui apparaîtrait habituellement comme un signe péjoratif d’opportunisme relève au contraire du plus grand bien-fondé. C’est le gage de perfection d’un album qui émouvra pour l’éternité et en toute saison, un dimanche matin pluvieux à l’orée des bois, dans un train jouant au diaporama avec les paysages urbains ou encore les yeux rivés sur l’océan. Un album qui, à l’inverse du diamant et de sa préciosité de convention, détient le secret d’une beauté universelle.
Note : 8,5/10
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