ROAD TO NOWHERE de Monte Hellman
Sortie le 13 avril 2011 - durée : 2H01min
La sortie de Road to nowhere est à l’origine d’un phénomène inédit : c’est sans aucun doute la première fois qu’on peut parler d’un film lynchien sans que la comparaison tourne immanquablement en faveur du cinéaste-adjectif. Le dernier film de Monte Hellman, sorti du diable vauvert alors qu’on ne l’attendait plus, résonne comme un cousin de Mulholland drive et deTwin Peaks : fire walk with me, réorchestrant des ambiances et des thématiques dont on croyait la maîtrise réservée au grand Lynch. Qu’on ne s’y trompe pas : si ce film-ci peut-être décrit comme un puzzle mental, il n’entend pas se vautrer dans le bizarroïde ou le malsain, mais simplement s’épanouir dans une mise en abyme riche et stimulante.
Road to nowhere est impossible à résumer convenablement, sauf peut-être par les analystes les plus structurés. Il y est question d’un fait divers à base de disparition(s)/suicide(s) ainsi que d’une centaine de millions de dollars, fait divers bientôt repris par un cinéaste désireux d’en tirer un potentiel chef d’oeuvre, sous l’oeil notamment d’une blogueuse s’étant particulièrement intéressée à l’affaire… Très vite, les univers vont se croiser, s’interpénétrer, l’ensemble s’axant autour de la mystérieuse Velma Duran, troublante héroïne de l’histoire originelle, et de son interprète à l’écran, une actrice débutante au magnétisme fou. La complexité de l’ensemble est incontestable, mais le scénario est moins conçu comme un casse-tête à résoudre que comme un voyage psychique dans l’univers du cinéma et du désir. « Si je comprenais, ça ne m’intéresserait pas », dit en somme le metteur en scène du film dans le film (qui partage d’ailleurs les mêmes initiales que Monte Hellman). Car c’est bien là qu’est la beauté de cet art : créer devant nous les plus beaux points d’interrogation qui soient, et les faire briller de mille feux. Road to nowhere s’y emploie brillamment pendant plus de deux heures.
Le film fait du cinéma un sacrifice plus qu’un sacerdoce, et fait de chaque plan un véritable combat, artistique aussi bien que personnel. Son projet ayant largement convaincu producteurs et comédiens, tous persuadés de participer à un chef d’oeuvre, le cinéaste Mitchell Haven n’a aucun droit à l’erreur… et ce bien que la réalisation n’ait rien d’une science exacte. Et quand le désir éprouvé pour son actrice se confond avec celui qu’il ressent pour elle en tant que femme, les perceptions sont biaisées et plus rien n’est pareil. D’autant que le spectre de l’affaire Velma Duran est toujours présent et d’autant plus tenace que l’affaire n’a jamais été résolue (si affaire il y a). Ce trouble-là, Hellman le met en boîte avec une maîtrise ébouriffante, sa mise en scène assez simple permettant de toujours rester au plus près de l’action et des protagonistes. On peut légitimement se perdre dans certains des dédales du script, mais le film ne donne jamais l’impression de prendre son spectateur de haut. Ce qui fait toute la différence avec bien d’autres oeuvres de réalisateurs poseurs.
Plein comme un œuf, Road to nowhere donne l’impression de n’être que la version courte d’une œuvre pharaonique, et donne en tout cas envie de multiplier les visions pour saisir un peu mieux les rouages de cette histoire sensorielle, grisante et habitée. Il faut dire qu’avec à sa tête la trop rare Shannyn Sossamon à sa tête, Hellman ne pouvait trouver interprète plus lumineuse et énigmatique. Belle à se damner, elle fait de ses personnages (Velma Duran et l’actrice Laurel Graham) des Laura Palmer contemporaines, boîtes de Pandore humaines dont on rêverait de percer les mystères. Pas si inaccessible (mais accueilli avec une grande frilosité), Road to nowhere diffère certes de ce que Monte Hellman avait pu offrir jusqu’ici, mais c’est purement et simplement la plus belle proposition de cinéma qu’il ait été donné de voir cette année.
Note : 9/10
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