THE TREE OF LIFE de Terrence Malick
Sortie le 17 mai 2011 - durée : 2H18min
[ATTENTION SPOILERS] « The Tree Of Life » débute sur un axiome, sur une vérité qu’il faut accepter comme telle et qui servira de socle au développement métaphysique du film. Après avoir fixé qu’il n’y a que deux voies possibles – la nature et la grâce – il s’agira tout au long du film de déterminer laquelle prévaut sur l’autre. Si l’introduction peut paraitre à la fois formelle et ridicule, c’est qu’elle pose ici un enjeu qui, selon le rapport que chacun entretient avec la spiritualité, convoque en fonction l’essentiel ou le vain.
Si Terrence Malick pose cartes sur table, c’est pour s’assurer de ne pas tromper le spectateur sur ses ambitions. Le premier passage de contemplation cosmique qui s’étend dès le début du film pendant une vingtaine de minutes joue alors le rôle de ticket d’entrée : le film fonctionne sur une acceptation des règles et il s’agit de s’assurer que chacun ait conscience du voyage proposé. « The Tree Of Life » porte en lui des convictions où l’honnêteté et la transparence sont des pré-requis, et il faut d’entrée de jeu affirmer ses parti-pris. Cette longue scène où les éléments cohabitent avec les premières manifestations de la vie permet également de mettre en perspective le macro et le micro (à la manière de « 2001 l’odyssée de l’espace ») ainsi que de rappeler au travers des deux dinosaures que la volonté des plus forts d’apprendre aux plus faibles à se défendre relève d’un instinct inné qui peut aussi bien découler du milieu que d’une influence divine.
« The Tree Of Life » se veut alors comme le film le plus frontal de Terrence Malick. Alors qu’il se contentait auparavant d’illustrer ses thèses naturalistes en laissant les plans chatoyants prendre le pas sur l’histoire des personnages (cf « La ligne rouge »), il cherche ici à démontrer sa vision ! Comme pour toute démonstration, on pourrait trouver le projet didactique, ronflant et verbeux, mais il faut surtout ici admirer l’ambition et l’envie de s’attaquer cette fois sans détour au sujet qui hante toute sa filmographie.
D’un côté la mère (incarnation de la grâce), de l’autre côté le père (incarnation de la nature) et entre les deux des enfants qui doivent choisir leur voie et qui projettent dans le père l’incarnation de Dieu ; l’ainé qui marche dans les pas de Dieu et qui reproduit ses contradiction et le cadet qui marche au côté de Dieu en essayant de s’harmoniser avec lui, de cohabiter en assonances (cf le duo guitare-piano). La grâce parait fade et en retrait comparée à la nature mais c’est elle qui possède la vérité. Le catholicisme, ce pan de la culture américaine , se fissure alors sous les images et les métaphores de Malick. Ici, la nature serait Dieu et la grâce serait le niveau de conscience qui va au-delà de la religion, qui va au-delà des incohérences. Il y aurait la nature telle qu’on l’entend et la nature telle qu’elle est (soit la grâce). Ce niveau de conscience permettrait à l’homme de comprendre combien le mal est en lui et non la résultante d’une décision divine. Le dinosaure ne tuait pas, mais l’homme tue ! C’est dans sa nature, mais c’est sa grâce qui doit lui permettre de se construire malgré cette donnée.
Grâce à une habille comparaison avec le livre de Job, Terrence Malick expose alors sa double-analyse. Il remet d’abord en question le bien-fondé de Dieu et son omniscience : lorsque Brad Pitt avoue à son fils qu’il a eu tort de l’éduquer ainsi et de chercher sans cesse à l’endurcir, c’est comme si Dieu s’excusait auprès de Job d’avoir cru que le mal serait une épreuve qui déboucherait sur un plus grand bien. Dieu se remet en question et cette voie se craquelle. Ensuite, tout au long du film, l’ainé livre un procès injuste à son père. Certes l’éducation de M. O’Brien est stricte mais elle ne fait jamais de lui un monstre : il ne bat ni sa femme, ni ses enfants et manifeste régulièrement une saine affection dénuée de tout sous-entendu. Dieu incarne pourtant aux yeux de Job la figure de tous les maux, et c’est cette mauvaise interprétation que souligne également ici Terrence Malick. Là aussi, via une démonstration par l’absurde, la toute puissance de Dieu s’effiloche, et fait de « The Tree Of Life » un film qui se moque bien des religions.
Durant les premiers trois-quarts du film, un puissant jeu se joue autour de l’essence du soleil. Omniprésent au travers de sa lumière, de ses reflets et de sa manière de transpercer les arbres, on ne sait s’il s’agit de la nature ou d’une manifestation divine. Ce n’est que lorsque que l’éclipse cache le soleil que l’on comprend : le soleil a toujours été l’image de la nature déifiée par l’homme mais a du coup occulté la nature comme ensemble de conscience plus grand. Cette ellipse est la première fin du film, elle marque la mort de Dieu ; lorsqu’elle s’enfuit, il ne reste plus que la planète – message appuyé par la vision des tournesols qui réaffirme que le soleil n’est qu’une part d’une nature plus grande. Le pouvoir de Dieu est réduit à une invention, à un rapetissement de la nature. La femme est à l’origine de la vie et l’homme jaloux est condamné à essayer de s’approprier la création par la force, à n’être qu’une représentation. Là encore « The Tree Of Life » confirme le positionnement naturaliste des précédents films de Terrence Malick. Il y avait la grâce et incapable de la comprendre, nous l’avons appelé nature puis Dieu.
Lorsque la tristesse de Jack (Sean Penn) et le bip médical oppressant confirme le décès du père, c’est encore une fois la mort de Dieu qui est évoquée, et ce sont les conséquences de celles-ci qui intéressent Terrence Malick dans la deuxième fin du film. Mme O’Brien (Jessica Chastain) dit que sans amour la vie passe comme un éclair et c’est exactement ce qu’il se passe : un éclair déchire l’écran et tous les personnages se retrouvent sur une plage apaisante hors du temps, comme une manifestation de « l’après ». Fondée sur l’idée que tous les lieux, toutes les époques, toutes les vies finissent par se réunir et fusionner, la fin de « The Tree Of Life » s’inscrit dans la même lignée que celle de Lost.
Alors qu’il était implicite que le fils cadet s’était injustement retrouvé en Enfer suite à sa mort (images volcaniques associées), les personnages sont soudainement surpris de le voir apparaitre sur la plage : ceci souligne bien que la plage n’est nullement le Paradis mais quelque-chose d’universel qui arrive au-delà de celui-ci. On peut également supposer que la mort de Dieu entraine la disparition de l’Enfer et du Paradis et que la nature qui ne s’occupe pas du bien et du mal peut enfin prendre en son sein tous les humains. Une fois de plus, Malick se sert des concepts du christianisme pour mieux mettre évidence leurs fissures.
« The Tree Of Life » est une ôde apaisante qui se serait suffit à elle-même. C’est Terrence Malick qui la compromet et qui en change le discours. Imposant sa réalisation dont il est persuadé du plus grand bien (une réalisation qui elle-aussi endurcie le spectateur sous l’excuse d’un plus grand bien), il justifie son film sous les symboliques au point d’en devenir souvent joliment maniéré. On en arriverait presque à un meta-message où Terrence Malick serait ici un Dieu (justement issu de notre représentation de la nature au travers de ses précédents films) sur le point d’être déchu , alors que « The Tree Of Life » serait la grâce, l’œuvre qui porte en elle la vérité de l’auteur et qui lui survivra. Et « The Tree Of Life » devient un film-monde.
>> A lire également, la critique de Thomas sur Toujours Raison, et la critique de Antoine Rensonnet sur De son cœur le vampire