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JESU – Ascension

Par Benjamin Fogel, le 10-06-2011
Musique

Jesu a enfin achevé sa mutation et son désir de réinventer la pop pour son usage personnel trouve dans « Ascension » son aboutissement. Tous les chemins parcourus par Justin Broadrick concourent dans ces 10 titres. Les héritages des groupes du passé, depuis longtemps assimilés, ressurgissent néanmoins au travers de filtre de filtre. Chaque chanson est ici une poupée russe qui contient une poupée russe (« Conqueror ») qui contient une poupée russe (« Jesu ») qui contient une poupée russe (« Hymns ») ; on pourrait remonter à l’infini et ne jamais trouver la source.

Formellement, « Ascension » est un croisement entre deux routes, deux routes que Justin Broadrick avait lui-même savamment goudronnées en 2009. D’un côté, cette autoroute rapide dénuée de péage pour un univers dangereux où les véhicules alternaient accélérations et décélérations sans jamais qu’aucune lumière rouge ne s’allume, et où pour la première fois depuis 2001 on réentendait des cris et des hurlements (« Infinity »). De l’autre, une route centrale propre et lisse qui accompagnait les automobilistes et les protégeait, une route où l’on se sentait en sécurité, un peu trop sûrement (« Opiate Sun »). Lorsque les moteurs croisent le fer sur le carrefour fantasmagorique ainsi crée, on sent les tensions qui s’opposent : la musique, selon l’inclinaison qu’on donne au rétroviseur, s’avère successivement tranquille et apaisée puis tendue et oppressante. On ne sait alors jamais quel type de disque est ce troisième Jesu : s’agit-il d’un disque du matin ou d’un disque de soir ? Quelle route faut-il mieux prendre pour rejoindre le cœur du trafic ?

Peu importe le chemin, la destination sera la même. Lorsque Justin Broadrick parle de réinventer la pop, il ne pense pas en termes de style, de structures ou encore de mélodies, il parle en termes d’émotions binaires, en termes de joie et de tristesse. Réinventer la pop, c’est alors en extraire à tout jamais l’allégresse, c’est s’assurer qu’on y pleure et que les sens soient alors immergés sous une douce léthargie. De l’ambiant au drone, du shoegaze au rock planant, Jesu ne conserve jamais de ses influences que le chagrin (« Black Lies »). Si on ne manquera pas de lui reprocher une certaine forme d’accessibilité (« Birth Day ») voire de compromission (« Sedatives »), ce ne sera finalement que pour mieux se rappeler que voix et guitares lourdes peuvent tenir un double discours.

« Ascension » devient alors une version post-metal de la musique de Red House Painters et le fait qu’il sorte sur Caldo Verde, le label de Mark Kozelek, n’est plus une question d’affinité mais une question de nécessité. De « April » à « I ll be there » en passant évidemment par « Admiral Fell Promises », la solitude des pochettes de Sun Kil Moon répond à celle des albums de Jesu.

De la main droite, on écarte les broussailles, de la gauche on repousse les feuillages et avec tout le corps on avance dans le brouillard (« Broken Home »), et alors derrière les sonorités brumeuses et les guitares fuyantes, on entend distinctement cette voix monocorde à la fois si apaisante et hypnotique.

Les atmosphères envoutantes s’opposent aux émanations malsaines et l’homme commence à voir double et à être happé par les cieux. Pourtant encore une fois il s’agit bien du même disque, des mêmes chansons ; Jesu a juste le don de révéler les différentes facettes des choses.

Note : 8/10

https://www.youtube.com/watch?v=7evyfhpTPUY