Déjà auteur en début d’année de l’excellent mix « Wuppdeckmischmampflow » (un des rares moments où l’exercice est transcendé au point de devenir une oeuvre à part entière comme ce put être le cas l’année dernière avec le « Radio Rothko » de Deadbeat), Gabor Schablitzki, alias Robag Wruhme, revient avec un véritable album en forme de manifeste destiné à défendre les innombrables EP et production que l’allemand aura dispersé dans le monde ces dix dernières années.
Sur la magnifique pochette de « Thora Vukk », une mère et ses enfants contemplent l’auto-route à partir d’un pont, et l’ainé salut fièrement les automobilistes ; instinctivement on repense à ces hommes qui regardent les rails et les trains dans les tableaux de Caillebotte. Robag Wruhme est lui aussi un artiste qui parle des mutations de la société, du passage à la modernité et qui aime les constructions et les innovations, la manière dont les choses s’imbriquent peu à peu entre elles ; le tout avec une certaine confiance en l’avenir. Du coup sa micro-house devient alors rapidement un univers onirique où peut venir se greffer les plus folles inventions et les plus surprenantes histoires d’amour. Sur « Pnom Gobal », la légèreté des cordes délicieusement affectées répond aux déclarations d’un homme qui ne sait s’exprimer que par onomatopées vibrantes.
L’incrémentation des enregistrements de voix sur « Tulpa Olvi » est magique et chaque morceau de « Thora Vukk » dévoile de nouveaux projets de société, de nouvelles manières de cohabiter ensemble : les machines se glissent dans le cocon du field recording (la pluie qui tombe et les enfants qui rient) et les instruments participent sans jamais toiser les camarades numériques. Oui voilà la grande force de ce disque : à aucun moment, on ne ressent le moindre mépris d’une partie pour une autre ; tous les sons travaillent en harmonie à un projet commun qui dépasse les vicissitudes de la vie quotidienne. Il ne s’agit pas de chansons crées par un petit groupe d’illuminé, de chansons qui se fondraient sur les plus élitistes des sons, non, il s’agit de chansons collective où chacun a apporté sa pierre à l’édifice, des chansons qui fourmillent de petits sons, de petites touches, de petits détails. Tout le monde joue un rôle ici mais il n’y a pas de seconds rôles ; chaque bruissement a ici une finalité bien précise et c’est surement un comble pour un artiste qui apprécie autant de travailler en solitaire.
Il y a mille voix sur « Thora Vukk » mais jamais une parole et Robag Wruhme parle un langage universel assez criant sur « Ende ». Alors que les échappatoires qui permettent d’éviter de se confronter à la difficulté d’une approche textuelle m’agacent habituellement, je ne ressens aucune facilité ici. Alors que les ouhouh du rock ne servent qu’à voiler une incapacité à communiquer, les chants sans mots imposent au contraire ici une nouvelle langue tout aussi émotionnelement intelligible qu’une autre.
Lorsque la rigueur allemande fait preuve d’une telle sensibilité, lorsque la house ne regarde plus vers Détroit mais se cale sur les Ailes du Désir de Wim Wenders, il en ressort un voyage en noir et blanc plus coloré que toutes les tentatives de mélange électronique formel mais sans âme.
Note : 8,5/10
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