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SUPER 8 de J.J. Abrams

Sortie le 3 Aout 2011 - durée : 1h50min

Par Thomas Messias, le 14-06-2011
Cinéma et Séries

Nul besoin d’attendre la première image originale deSuper 8 pour être automatiquement plongé une trentaine d’années en arrière. Il suffit de voir s’afficher le logo d’Amblin Entertainment, boîte de prod fondée par Steven Spielberg et ses potes dans les années 80, pour que le voyage dans le passé s’opère. De façon totalement frontale, le troisième long-métrage de J.J. Abrams assume son statut d’oeuvre nostalgique, pour ne pas dire passéiste. Le cinéaste semble avoir remonté le temps pour aller réaliser son film en 1979, avant de revenir en 2011, l’air de rien, bobines sous le bras. Hommage et exercice de style, Super 8 va en effet au-delà de la simple reconstitution d’époque et vise une sorte de grand chelem absolu en matière d’atmosphère… et de méthodes de travail. Il ressemble à un travail de copiste, authentique jusqu’au bout des ongles, avec çà et là quelques micro-variations destinées à permettre de faire la différence entre l’original et la reproduction. Seulement voilà : aussi sincère et passionné soit-il, un tel hommage peut difficilement être considéré comme un projet artistique à part entière, puisqu’il semble amené à s’écrouler comme un château de cartes pour peu qu’on lui retire ses fondations et ses modèles.

Au petit jeu des comparaisons, on pourrait rapprocher Super 8 d’un sacré nombre de films réalisés entre 1975 et 1990, mais le carré d’as Rencontres du troisième type – E.T. – Les Goonies – Stand by me semble suffire à décrire convenablement la bête. Avec sa façon de faire des enfants de véritables adultes miniatures dont la caractéristique principale est leur aptitude au rêve, Abrams renoue clairement avec cet âge d’or au cours duquel les mioches semblaient devoir conquérir le monde. Lui-même semble revivre à travers les deux petits héros de son film, à savoir un petit gros désireux de faire des films pour raconter des histoires, et son pote plus en retrait, plus romantique, mais tout aussi passionné. Quand au troisième personnage principal, incarné avec flegme par le fabuleux Kyle Friday night lights Chandler, il est le mix évident entre le géniteur du réalisateur et son père spirituel, celui qui lui transmit dès le plus jeune âge l’amour du septième art : Spielberg en personne. En plus d’être une ode au cinéma et à ceux qui le font, Super 8 est une touchante déclaration d’amour à cette double figure paternelle. Le film a d’ailleurs la naïveté de ces gosses qui regardent leur papa avec de grands yeux mais non sans oeillères : il multiplie les regards tendres mais s’éparpille plus souvent qu’à son tour dans des clins d’œil un peu gros. Y avait-il besoin de multiplier les références visibles à E.T. comme si ce n’était pas assez clair ? Fallait-il faire voler un vélo dans le ciel pour permettre au spectateur le plus obtus de saisir l’hommage ? De même, les blagounettes se rapportant aux nouvelles technologies de notre époque (l’ère du tout numérique, avec ses vidéos immédiatement “développables” et ses baladeurs en tous genres) se révèlent sacrément dispensables.

Qu’on ne s’y trompe pas : Super 8 possède des qualités cinématographiques indéniables, qui ne masquent pas son manque d’innovation ou de prise de risques, mais lui permettent de remplir honorablement ses fonctions de divertissement. Si la première partie du film est la meilleure, c’est parce qu’on y constate à nouveau le talent d’Abrams pour mettre en place des situations intrigantes et insolites. Auteur du script en solo (fait suffisamment rare dans le monde du blockbuster pour être souligné), ce cher J.J. fait preuve d’une réelle malice dans le déploiement de son postulat de départ. Cela se traduit dès le premier plan, anodin en apparence mais qui allie malice et efficacité narrative. Pour la première fois ou presque dans sa carrière de réalisateur-scénariste-producteur, Abrams s’acquitte de sa tache sans jamais verser dans le sensationnalisme : à une ouverture choc et grandiloquente, il préfère une approche modeste et rassurante, en parfaite cohérence avec son projet de réaliser un pur film de 1979. Puis c’est l’heure du premier et plus brillant morceau de bravoure : un déraillement de train qui permet aux jeunes protagonistes (tous assez ébouriffants car tellement dans le ton et l’époque) d’être plongés dans un monde quasiment parallèle qui reste pourtant le leur. Comme si leurs envies de cinéma étaient devenues réalité. À cet instant, l’émotion d’Abrams face à leur épiphanie, qui n’est autre que la sienne, est palpable et communicative. Dommage que la suite ne soit pas de ce niveau.

Car le film finit par passer trop de temps à offrir des réponses et à disséquer le fameux mystère disséminé dans les premières bobines. Décevante et parfois redondante, cette longue résolution s’accompagne de quelques rebonds scénaristiques inutiles : ni l’intrigue ni l’hommage n’en sortent grandis. Dissimulant ses airs de déjà-vu derrière une brassée de références, Super 8 ne parvient à se relancer qu’au terme d’un final gigantesque en terme de promesses, mais qui lorgne une nouvelles fois vers quelques sommets de la science fiction des années 70-80 (y compris Alien). L’excitation va decrescendo, l’affection aussi : fleurant le Spielberg jusqu’au bout des ongles, le film se clôt sur une apologie candide et un poil niaise du monde de l’enfance. Au final, c’est d’ailleurs aux enfants que s’adresse principalement le film de J.J. Abrams. Mais pas à ceux des années 2000, trop petits pour saisir la portée de l’hagiographie spielbergienne et goûter la noirceur de l’ensemble. Le film vise une autre cible, qu’il atteint en partie : les trentenaires et quadras d’aujourd’hui, qui devraient être ravis de sombrer dans cette plongée mélancolique au coeur de leurs jeunes années.