Jason Kohnen est un musicien trublion insatiable. Que ce soit en tant que Bong Ra, side project tendant aussi bien vers le breakcore vrillé que le dubstep costaud, ou au sein de son nouveau projet Wormskull, avec le batteur de Merzbow, il fait preuve d’une créativité et d’une implication déconcertante. Mais c’est avec Gideon Kiers et toute leur clique de The Kilimanjaro Darkjazz Ensemble (ou TMDC, versant plus drone et expérimental) qu’il a réalisé ses plus belles réussites, en signant sur des labels aussi crédibles et prestigieux que Planet Mu (s/t) et Ad Noiseam (Here Be Dragons). C’est cette fois sur le label Denovali, autre spécialiste des musiques sombres allant du post-metal à l’ambient, que la troupe souhaite faire entendre ses nouvelles mutations.
Oubliez d’ores et déjà le beatwork du premier album et les ambiances délicieusement plombantes et oppressantes du chef d’oeuvre Here Be Dragons : The Kilimanjaro Darkjazz Ensemble ne s’est jamais montré aussi jazz que sur From The Stairwell. Ici, chaque instrument se place comme le complément de l’autre, idem pour l’utilisation de l’électronique. Ce dark jazz est conçu un peu à la manière du post-rock avec une progression désarmante où les thèmes ne savent s’enliser dans une quelconque répétition (Giallo et Celladoor). Sur From The Stairwell règne une atmosphère de cabaret berlinois enfumé, où tapis dans l’ombre, Beth Gibbons, Geof Barrow et Adrian Utley assistent à la prestation béats d’admiration, souhaitant monter sur la scène pour participer à cette alchimie musicale (All Is One et Cotard Dellusion). Le travail des batteries (avec un usage des cymbales et du charleston admirable) et du trombone sont particulièrement à saluer. Le schizoïde et terrifiant d’intelligence Cocaine (dans la retranscription anxiogène) se révèle comme le point d’orgue de l’album tout en contrastant énormément avec le reste de l’ensemble, de par son caractère bidouillé et gentiment expérimental. Ce qu’il y a de plus surprenant sur ce nouvel opus, c’est cet halo de lumière étincelante qui habite les notes du groupe sur White Eyes et Les Etoiles Mutantes (c’est peut-être même trop sur celui-ci). De l’obscurité vient la lumière. Retrouvons également avec plaisir l’utilisation des guitares morriconiennes (la fin de White Eyes) que nous avions déjà entraperçues il y a quelques années sur le terrible Sharbat Gula. Cette fois encore, TKDE brille par sa capacité à clore les albums en transmettant un spleen délicieux, en attendant désespérément la suite.
The Kilimanjaro Darkjazz Ensemble fait partie de ces groupes dont il ne faut rien attendre, si ce n’est simplement ce qu’ils ont à donner. Sans concessions, hors des sentiers battus, quelque part à la croisée des chemins, à situer entre Portishead, Nils Peter Molvaer et Bohren & Der Club Of Gore. Voici encore une évolution plus que réussie, qui doit s’envisager malgré tout comme la suite du tout aussi recommandable Here Be Dragons. Seneca se fermait d’ailleurs sur cette phrase : “Nous sommes nos propres guides, alors allons-y”. L’attente est inutile. Qu’attendez-vous ?
Note : 7/10