Ian MacKaye #3 : I’m So Tired
Fugazi est un groupe de punk. Non.
Fugazi est un groupe de hardcore. Non plus.
Du punk-hardcore alors ? Non et non.
Fugazi est un groupe. Un groupe de quatre mecs engagés. Non. Enragés.
Juste un groupe, des gars qui font de la musique entre eux. Pas pour vendre, ni pour manger. Juste parce qu’ils n’ont que ça. Ils sont juste un groupe. Ils font juste de la musique.
Fugazi est l’inverse de l’égoïsme. Ils sont trop occupés à clamer et à être contre pour dire “moi”. Jamais ces gars n’ont fait part d’une quelconque sensibilité. Ils sont plongés dans la violence. Ils la crachent, ils la jettent à la face des gens, pour les motiver, pour les bouger, pour les interpeler. Fugazi ne se conçoit que dans les mouvements saccadés de Guy Picciotto et dans les déchirements des voix des deux chanteurs, comme un cri précédant la mort. Fugazi joue comme si c’était la dernière fois.
Fugazi est bien trop intègre pour geindre. Fugazi est bien trop intègre pour chanter autre chose que “You are not what you owe !”. Ian MacKaye n’a aucun sentiments. Il n’est qu’une boule de nerfs vindicative, prête à se frotter à n’importe quelle cause, à exploser pour n’importe quel combat avec sa Gibson SG.
Il est impossible de concevoir Fugazi autrement qu’en suite d’explosions punk. Fugazi, c’est de la saturation sèche qui frappe les tympans. C’est de l’énergie concentrée.
Fugazi n’a pas de coeur. C’est comme ça. Jamais ils ne pleurent, ils se contentent de crier et de contester, comme s’ils avaient peur de se montrer autrement. Comme s’ils avaient peur de fausser leurs messages en se livrant. L’amour qu’on a pour ce groupe vient des émois de nos jeunesses et de nos premiers combats, il vient de la sincérité des hurlements, de cette force qui fait directement vibrer les cordes de la révolte.
Et puis il y a “I’m So Tired”. Pas la chanson des Beatles. Celle de Ian Mackaye. Dans le film de Jem Cohen, The Instrument, entre les incantations destructrices du groupe, il y a cette scène. Mackaye, debout derrière la console, qui l’air de rien, vous brise le coeur. Il dit “moi”. Il chante sa fatigue, sa détresse. Mais il est là, l’air tout à fait normal, derrière la console, à tripoter quelques boutons. Il en sourit, feint les mouvements d’un batteur. Pas d’explosion. Juste une lente complainte.
“No more struggle, no more energy”.
Voilà, juste une parenthèse de deux minutes dans la discographie entière de Fugazi. Juste deux minutes de grâce pour découvrir que, derrière les engagements, derrière le punk, le punk-hardcore ou qu’importe, il y a des hommes, qui, une fois qu’ils ont osé parler d’eux, vous force à parler de vous. Instant trop rare, Ian Mackaye reprend des contours humains, loin du straight-edge et des engagements. Il devient, l’espace d’un instant, comme vous, comme moi. Il n’est plus Ian Mackaye de Fugazi, mais simplement Ian Mackaye. Et l’air de rien, c’est beau à pleurer.