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LE MOINE de Dominik Moll

Sortie le 13 Juillet 2011 - durée : 1h41min

Par Benjamin Fogel, le 02-08-2011
Cinéma et Séries

>> Il est conseillé d’avoir vu « Le Moine » avant de lire ce texte.

C’est l’histoire d’un film qui ne s’assume pas et qui tente sans cesse de contrebalancer son extravagance par son classicisme, un film qui, conscient de sa personnalité et de sa singularité, n’ose franchir le pas de peur de s’aliéner. « Le Moine », quatrième long métrage de Dominik Moll, se cherche du début à la fin. Il souffle d’abord le froid puis le chaud, on sent qu’il bout à l’intérieur mais que les barrières morales du réalisateur arrivent encore à le contenir. Il est son propre mal, cette chose qui dort et qui ne jaillit seulement que par à coup dans toute sa férocité et sa grandiloquence. Oui « Le Moine » en est toujours là, à se battre avec une nature mal affirmée ! Aussi finit-il fatalement par souffrir d’un problème de forme, d’un manque de cohérence. Les scènes semblent mûrement réfléchies tandis que soudain au détour d’un plan, la belle mécanique explose, les règles tombent et les flammes parcourent l’écran sur une musique cavalière et mal contenue.

La forme devient alors un obstacle difficile à franchir mais pas insurmontable. Il faut accepter cette vision qui consiste à ne jamais trancher, à ne jamais prendre parti entre la raison (économie de moyens, références italiennes, jolie photographie…) et les pulsions (mauvais goût en forme de gros plan floral, métaphores faciles où des plans lumineux et éblouissants succèdent aux images tournées dans l’obscurité, gargouilles bandées comme des phallus, musique indésirable…). Néanmoins, cette recherche d’équilibre qui est au contraire à l’origine d’un profond déséquilibre donne une patte au film ; un parti pris par le subconscient qui voudrait faire cohabiter Buñuel, Raoul Ruiz et Kubrick tout en sachant qu’il n’en a pas les moyens.

Mais derrière le rendu visuel un peu déroutant ou la direction d’acteur un peu maladroite, il y a un film qui non seulement sait où il va mais qui surtout sait ce qu’il cherche à démontrer via un déroulement narratif bien réparti entre ses différents protagonistes. De plus, et c’est ainsi que les wagons molliens se raccrochent, la lente et inexorable chute d’Ambrosio du roman de Lewis est transformée ici en une rupture directe où le moine franchit la ligne en l’espace d’une nuit. Alors que la comparaison littéraire laisse à penser que Dominik Moll a bâclé (voire n’a pas compris) cette évolution qui donnait son corps à l’œuvre originelle, la mise en perspective avec le reste de sa filmographie laisse surtout penser que c’est justement la capacité de chacun à se tourner vers le mal du jour au lendemain qui l’a ici intéressé. Dominik Moll n’a jamais prôné l’idée d’un mal qui évolue petit à petit mais toujours d’un mal qui se dévoile un peu plus chaque fois. « Le Moine » ne serait alors que l’angle religieux d’une thématique traitée d’abord de manière sociale avec « Harry, un ami qui vous veut du bien » puis fantastique avec « Lemming ». L’histoire se répète dans les trois films : un lieu clairement délimité, des personnages dont la vie sereine va être perturbée par l’arrivée d’un élément extérieur d’abord bien veillant, puis un final qui mettra en exergue le mal qui flotte. Ce n’est qu’au travers de son intégration à une filmographie globale qu’on peut alors apprécier le film.

La subversion n’est ainsi jamais le leitmotiv du film. Il ne s’agit pas de se gargariser en dévoilant le côté obscur des institutions religieuses mais bien de transcrire l’alternance du bien et du mal. Le personnage ne vaut pas en tant que figure religieuse mais en tant qu’incarnation d’un bien qui se veut irréprochable, incorruptible et qui doit être prodigué et appliqué sans compromis et sans pitié. C’est pour cela que sur la difficile question de la sexualité – sujet toujours bancale lorsqu’il s’agit de la replacer sur une cartographie manichéenne et religieuse – Dominik Moll choisit toujours l’esquive : il s’agit de la partie du roman qu’il a le plus de mal à ramener à son thème de prédilection. Du coup, lorsque le père Ambrosio couche avec Valerio, la condamnation passe par la malhonnêteté d’un « deux poids deux mesures » qui aura condamné la Sœur Agnès à la mort. De même lorsqu’il s’empare d’Antonia, le jugement moral passe par l’inceste et non par le sexe. Si la technique lève l’anachronisme, elle ne permet jamais de positionner la concupiscence sur une échelle morale et de questionner dans une perspective historique le désir de la chair ; elle exclut même complètement celle-ci de la réflexion.

Si les enjeux faustiens n’arrivent jamais à décoller et que « Le Moine » ne se transforme jamais en conte sur le mal (la faute notamment à la peu crédible prestation de Sergi Lopez), le final dévoile une subtilité de discours. Il y aurait chez Moll deux types de mal, celui dans lequel on se complait par intérêt personnel et celui auquel on accède par incapacité à réguler ses passions. C’est dans cet interstice que via une mise en abyme se situe la vérité du film.