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Il y a parfois un fossé entre la représentation d’un groupe, son aura et son image, et le groupe lui-même. Le contraste est saisissant entre les mains tremblantes et avides de l’adepte de Flotation Toy Warning et les mains tremblantes que les musiciens cachent. En arrivant dans le hall de la salle, quelqu’un demande s’il reste des places. La surprise est immense : oui, il reste des billets. Comme si le groupe était un mythe, comme si toute la métropole lilloise s’y retrouverait. C’est une évidence, Flotation Toy Warning fait partie de la catégorie des groupes qu’on adule. L’excitation est palpable, tout le monde se retrouve dans la – petite – salle et partage sa passion de ce secret qui n’en est pas un. Flotation Toy Warning a autour de lui le halo de l’adoration d’une communauté ébahie par Bluffer’s Guide to The Flight Deck. Et, après des années de silence radio, Flotation Toy Warning prend aussi la pression du retour.

L’attente est indéfinissable. Tout le monde se croit comme dans un rêve, tout le monde se dit “enfin”. Derrière, le groupe se prépare tranquillement. Ils n’ont pas l’air stressé. Ils expliquent qu’ils sont excités à l’idée de rejouer après près de six ans d’absence. D’autant plus dans un pays où on les a toujours soutenus, que ce soit le label Talitres ou les admirateurs anonymes, ceux qui s’extasient juste en entendant prononcer le nom du groupe. Le culte autour de ce groupe reste flou. C’est sûrement ce choix de disparaître juste après être apparu, retourner dans l’ombre pour se protéger. Personne n’a pourtant oublié. Et ce retour apparait alors comme un miracle. Paul Carter le dira lui-même, juste avant d’entrer sur scène : “It’s-been-a-long-time Toy Warning”.

Avant cette plongée dans la lumière après des années dans une ombre confortable, il fallait poser la question fatidique. Celle que tout le monde a sur les lèvres, depuis six ans maintenant. La réponse fait trembler d’impatience. Il fallait commencer par le terrible “alors, à quand le nouvel album ?”. “No comment”. Parce qu’on le sait, on s’est fait une raison, Talitres sortira d’abord cinq jolis 45 tours, qui donneront naissance à l’album par la suite. Une date ? Bientôt, ou un jour, qu’importe. Mais alors, où étaient-ils pendant tout ce temps ? Ils ont exploré. Explorer autre chose, découvrir du nouveau, et surtout se ressourcer. L’obsession de la perfection, passer deux semaines pour être satisfait d’une seule mesure d’une seule chanson, travailler sa musique jusqu’à s’en écœurer. Flotation Toy Warning a été jusque ce point de non-retour. La perfection de Bluffer’s Guide to the Flight Desk a été comme une punition pour eux. Alors ils ont exploré. L’un est parti faire un film, l’autre a pris du temps pour restaurer de vieux livres, ils ont fait des enfants, ils ont vécu une vraie vie, sans jamais totalement s’éloigner de la musique, mais surtout sans devoir repousser les deadlines sans arrêt, sans devoir bloquer les idées, les empêcher de grandir dans leurs esprits. Il ont eu besoin de presque trois ans de pause, pour pouvoir recommencer à travailler ensemble, à jouer ensemble et surtout à prendre du plaisir ensemble.

Les idées de Flotation Toy Warning sont toujours les mêmes, ils avouent ne jamais se forcer, ils laissent leurs imaginations faire leur musique. Même six ans après, on contemple toujours les mêmes atours, ces reverbs aqueuses et ces chants possédés, ses mélodies filantes. Leurs consciences ne leur dictent rien, c’est leur credo. Paul Carter explique que sur le prochain album, il y aura des titres plus joyeux, parce qu’ils sont plus joyeux maintenant. “Même si ce concept reste bien subjectif” amende Nainesh, le guitariste. C’est aussi simple que ça. Ils sont aussi libres que perfectionnistes, et c’est peut-être là que naît la magie de leur musique. On se dit alors que, quoiqu’il arrive, la patience paiera.

Ils s’avancent donc sur la scène à même le sol de la salle. Ils n’ont pas joué depuis six ans, ils lancent le concert. Un sample commence. La batterie entre, et après une petite erreur de Paul Carter, qui avait commencé à chanter trop tôt, tout se cale. Les premières mesures de cette chanson décrivent tout le concert. Ils sont là, se sourient et c’est tout. On sent le bonheur de jouer ensemble transpirer dans chaque souffle, enfin, après tant de temps. Ils restent profondément accrochés à leurs chansons, ils ne prennent aucun détour. Rien de nouveau et quelques erreurs, certes. Un concert scolaire, certes. Mais l’important est ailleurs, il est dans la renaissance du groupe. Dès qu’il ne chante pas, Paul Carter contemple ses chaussures, la main sur le pied de micro. La tête basse, on l’imagine bien repenser à toutes ces années, à son premier concert avec son groupe, à sa première chanson. Et ce sentiment de retrouvailles irradie la salle.

La boucle est bouclée quand ils concluent le concert sur “Even Fantastica”, le titre originel, la fondation du groupe. Les souvenirs remontent, c’est comme une victoire sur l’attente, sur l’obsession qui a tourné à l’écœurement. C’est la joie retrouvée, pour le groupe comme pour le public.

Les gens restent, attendent le groupe dans le petit hall. Ils arrivent, et tout le monde vient leur exprimer des “merci”, lancer des compliments. Le concert n’était pas le concert le plus intense de l’histoire, ce n’était pas le plus beau, mais il venait couronner une attente longue de six ans. Alors tout le monde se retrouve comme une bande d’amis, on s’étreint presque, on demande des photos avec le groupe. En continuant la discussion entamée avant le concert dans les loges, le stress évaporé, le sentiment se confirme, ils sont bien là parce qu’ils en avaient envie. Parce qu’ils sont toujours mus par la même envie qu’au début, quand ils envoyaient des cassettes avec des titres de Neutral Milk Hotel pour obtenir un local de répétition.

Alors, le fossé entre le groupe et sa représentation chez ses adorateurs s’affaisse. Chacun a actualisé sa vision de son mythe. Flotation Toy Warning est peut-être un mythe de la musique indé, ils ont sûrement une aura dramatique à porter. Mais ils n’en sont pas conscient, ils préfèrent faire confiance à leurs imaginations et leur envie, et se laisser danser avec les vagues sur leurs lignes de flottaison, loin des heurts où ils ont failli se noyer il y a six ans maintenant.

Crédit photo : Marine Duquesnoy