On pourrait, à la limite, débattre un peu vainement de cet appétit artistique qui pousse certains frontmen à se lancer dans un projet solo, dès lors qu’ils incarnent à eux seuls l’identité, l’âme même parfois, de leurs groupes respectifs. Cela reste, bien sûr, un moyen privilégié d’exprimer certaines choses étouffées lorsque le groupe en question s’envisage comme une relative démocratie (on renverra ici au cas Thom Yorke), tout comme l’émancipation peut n’être que l’étape logique d’une évolution esthétique, pour le meilleur et pour le pire (Peter Gabriel vs. Phil Collins, pièce à conviction #1).
Oui, mais on est d’autant plus intrigué par ce que cachent les intentions du leader de Sharko, originellement un one-man-band peu à peu mué en trio. De deux choses l’une : soit l’Ardennais n’a pas voulu poser le label de son groupe sur la récréation qu’il s’offrait en solitaire cependant que ses camarades vaquaient à d’autres plans ; soit il a rassemblé ici des compositions trop intimistes pour être partagées en collectif. Et il est vrai que “Cosmic Woo Woo” explore une veine sensible qui s’était déjà exprimée avec bonheur dans le passé, mais jamais avec une telle cohérence.
Les onze compositions proposées sont autant de bluettes d’une délectable suavité, dominées par un son rétro chaleureux – et l’on ne parle pas ici d’un énième revival sixties, mais bien des gramophones de l’entre-deux-guerres. Partout des trouvailles d’arrangements, géniales derrière leur air de ne pas y toucher, maintiennent ou relancent l’intérêt – ce qui ne fait en rien de cet album un gadget. Ce qu’on a toujours adoré chez David Bartholomé, c’est la facilité avec laquelle il pond des mélodies universelles, et l’application qu’il met joyeusement à les démolir.
Sur “Cosmic Woo Woo”, on emprunte comme à chaque fois des chemins quelque peu tordus, de même qu’on ne saurait prêter des intentions radiophoniques à l’organe si particulier du chanteur, plus touchant de fragilité que jamais. Mais il semble que David Bartholomé, libéré d’un joug imaginaire, ose enfin assumer l’écriture de chansons tout simplement belles. Si Jamaica et Singrestent suffisamment lo-fi pour ne pas éveiller les soupçons d’une fanbase exigeante, Never est pour sa part un moment de douceur d’une absolue pureté, une tranche de poésie qui ne se cache derrière aucune étrangeté. Rarement auparavant l’homme de Sharko aura été aussi près de nous arracher des larmes.
Bien sûr, il relève le tempo de temps à autre, toujours dans un esprit bon enfant (Moon, In the Middle of). Ce qui frappe surtout, c’est que dans sa balade solo, Bartholomé a préféré rester très entouré. En duo sur Snow, l’extravagant Hawksley Workman apparaît soudainement comme une évidence. Sur Speak Out, Fanny Beriaux démontre qu’il ne faut pas s’appeler Norah Jones pour posséder un timbre jazzy et sensuel. Et pour s’avouer un peu plus qu’il a peur de la solitude, David Bartholomé achève régulièrement ses chansons dans une chorale foutraque, comme sur l’excellent We Spent.
Et si au fond “Cosmic Woo Woo”, disque de groupe sans groupe, était tout bonnement le meilleur album de Sharko sans Sharko ?