Il y a ce qu’on apprend. Et ce qui surprend.
Le rock, c’est la guitare, la batterie, du binaire couplet-refrain. Conventions ravivées par tout un courant dit “garage”, mais conventions volées en éclat depuis longtemps. Par les marges d’abord, des bizarres comme le Velvet underground, des groupes interlopes trop vite baptisés no wave parce qu’ils ne rentraient pas dans les cases. Dans le coffre de la bagnole, à la limite, mais pas dans les petites cases.
Trunks. Les coffres de bagnole. Comme la découverte de dom Pérignon, qui avait oublié ses bouteilles par erreur, un peu trop longtemps, puis découvrit que cela était bon. On ne sait pas combien de temps ils ont grandi dans l’obscurité et les vapeurs d’essence ceux-là, mais ils n’en sont pas sortis pour jouer Mozart à la flûte à bec. On the roof, troisième disque du groupe, a tout pour faire grandir leur réputation.
Venus du jazz, du rock, voire de la pop, les membres de Trunks disent vouloir simplement faire de la musique ensemble. A la manière de Laetitia Sheriff, qui y tient la basse et le micro, pas d’ambition affichée, pas de grandes phrases, toujours garder profil bas et miser sur une seule valeur sûre : le goût de faire ensemble. On aime Trunks avant même de les entendre, parce qu’on les aime, eux, Laetitia, Régis, Daniel, Stéphane et l’excellent Florian Marzano qui les a rejoint depuis 2008.
On se laisse tabasser par le saxophone de Daniel Paboeuf et on en redemande. Sans lui, on entendrait du superbe Laetitia Sheriff ou du remarquable We only said, formations de ses camarades. Avec lui, Trunks bascule dans autre chose de plus indéterminé, capable d’aller du calme au dérangeant mais en jouant les bordures.
Blue dot
Même la voix de Laetitia rugit différemment. Le plus souvent absente, elle prend des accents punks qu’on n’osait fantasmer (Who’s my favorite). Rhaaa, quand Blue dot s’emballe et qu’elle racle, fumasse, que pour une fois “on s’en fout”, façon pan dans la gueule, c’est donc ça que Trunks leur fait, chacun y étend son territoire, élargit sa palette.
Et ce saxo lancé sur nous comme un bolide meurtrier, Screaming idiots nous le fait bien sentir que le cocktail maison n’est pas pour les estomacs fragiles. On a déjà usé de la comparaison avec Gallon drunk et Big sexy noise, la seule qui nous vienne et revienne, mais Clever white youth, reprise de Marc Ribot, ajoute du rap et on a définitivement quitté les territoires connus. T’es paumé, hein, coco, avoue, regardez-moi cette mine réjouie, mais c’est que t’aime ça on dirait !
On passe par tous les états, subjugués par le psyché krautrock d’ouverture, caressés par les mélodies, chauffé à bloc par les guitares les plus rock… En neuf titres Trunks varie les registres, les durées, les ambiances et les influences, ayant pour seule ligne de ne pas repasser deux fois au même endroit. On s’était régalé en concert, de Trunks comme des projets qui l’entourent. On s’était réjoui à chaque disque. On n’avait plus besoin de rien, on n’en réclamait plus. On the roof en remet une couche et on embarque, le cul tapant au fond du coffre et agrippé comme on peut, foncez, foncez, fonceeeeeeeeeeeeeez !
A travers les vapeurs de gasoil on respire un vent d’une rare liberté.