Je me souviens de mon premier contact avec Unfold : c’était suite à un concert apocalyptique de Shovel à l’EMB. Apocalyptique, non pas parce que la déflagration sonore attendue s’était produite, mais bien parce que rien ne s’était déroulé comme prévu : à la fin du deuxième titre, l’un des deux amplis guitares lâcha prise, laissant le groupe tendu et dans l’expectative. Le set continua néanmoins bon an mal an : pendant qu’un des deux gratteux bidouillait à genou les câbles, le reste du quintet s’efforçait d’assurer la prestation. De bonne composition, la cinquantaine de personnes, qui se trouvait là, fit ce qu’elle put pour soutenir le groupe et donner le change. Il faut dire qu’il faisait de la peine à voir les Shovel ! On les sentait épuisés et blasés, à deux doigts de plier bagages et d’arrêter à jamais la musique. Malgré leur excellent « Latitude 60° Low », le manque de moyen rendait les tournées éprouvantes et compliquées : les maigres bénéfices des quelques dates françaises ne permettraient d’ailleurs même pas de payer la réparation de l’ampli cassé. Oui on sentait déjà le groupe au bord de l’implosion (Shovel se séparera ainsi quelques mois plus tard). En parlant, après le show, avec Franck, le batteur, celui-ci, les pieds sur terre, me dit « et encore, on s’en sort bien comparé à nos amis d’Unfold ». Unfold, que je découvrais alors ; Unfold, le frère jumeau de Shovel, l’autre tête du noise-hardcore-métal suisse. A Shovel, la lumière, à Unfold, l’obscurité ! A Shovel, les riffs étincelants, à Unfold les riffs poisseux ! Deux approches pour un même combat, matérialisées dans un split EP contenant notamment deux inédits phares de la discographie des deux groupes : “Smog” pour Shovel et “Mute” pour Unfold.
Depuis, les deux formations auront été indissociables dans mon esprit, comme s’il s’agissait d’un même groupe, aux mêmes envies, aux mêmes buts, qui selon les jours optait pour un angle d’attaque différent. Lorsqu’ils baissèrent quasiment simultanément les armes, j’eu vraiment l’impression de me retrouver face à un monstre bicéphale, dont chacune des deux tètes était dépendante de l’autre. Aussi, je ne fus pas surpris quant cette hydre se transforma en phoenix et revint sous la forme de Houston Swing Engine (le guitariste et le batteur de Shovel soutenant le chanteur de Unfold – tandis que le reste de l’équipe se retrouva autour de Vancouver).
Mais voilà 8 ans plus tard, Danek et ses camarades relancent Unfold et publient un troisième album intitulé « Cosmogon » : 6 titres qui brulent les étapes ou qui, au contraire, prennent terriblement leur temps. Plus que jamais, il est impossible de situer Unfold. Pour Houston Swing Engine, on avait déjà parlé de stoner-hardcore en sachant déjà bien qu’il ne s’agissait pas tout à fait de ça, mais là on ne reproduira pas la même erreur. Unfold brasse tout : le sludge, le hardcore, la noise, le métal et ne s’offusque même plus de lorgner vers le black (« Erebe ») et le post-rock (« Ethera »). Alors que son songwriting reste classique, c’est avant tout dans sa manière de fusionner avec une cohérence extrême tous les courants noirs que les suisses inspirent. Toujours lors de cette discussion avec Franck, je me souviens avoir l’illustrer ma bêtise adolescente en lui demandant si Shovel se revendiquait plutôt du grunge, du hardcore ou du métal – pour moi, il fallait que ce soit l’un des trois. Il m’avait alors regardé avec des grands yeux, comme si j’avais juste utilisé des mots différents pour parler d’une même approche artistique. Oui c’était ça : ne jamais prêcher pour une paroisse et laisser hurler les guitares quel que soit leur discours !
Si « Aeon aony » se voulait plus aéré que « Pure », c’était avant tout pour mieux amadouer l’auditeur afin de le plaquer au sol avant une violence encore plus perverse, avec des caresses encore plus malsaines. Unfold a pour lui cette rugosité sournoise : à la force de l’impact, il préfère les poids qui étouffent lentement ; le problème c’est que les petits gabarits comme moi étaient déjà à terre au premier coup ! Sur « Cosmogon », les ambitions ont évolué : il y a moins ce sentiment d’unicité massive, cette impression de se faire écraser par un rouleau compresseur déployé tout au long de l’album ! Non, chaque chanson porte ici son propre monde, et on s’y noie comme dans autant de banlieues désaffectées.
8 ans à ruminer, 8 ans à contenir sa rage, et des projets qui, malgré leur intensité, avaient pour les musiciens un goût de compromission. 8 ans et le besoin de tout cracher comme dans l’instantané « Hemere » ou, au contraire, de pousser la pression encore plus loin comme au sein du quart d’heure de magie noire imposé par « Ethera » ! Ca harangue, ça attire et ça frappe ! Et une fois à terre, ça nous maintient au sol avec des constructions qui se déroulent avec un naturel enthousiasmant !
L’une des têtes a repoussé plus robuste que jamais ; et, l’on espère avec fébrilité que les liens du passé pousseront, par la même, Shovel à se reformer.