Composé de la moitié de l’excellent duo Deaf Center (Otto A. Totland) et de Huw Roberts (Guruyu, Opiate), le projet Nest avait déjà marqué les esprits avec son premier album Retold, joyau délicat et sensible déjà paru sur le joli label gallois Serein, ancien adepte du mp3 récemment converti aux 10″. Jusqu’en France, et surtout sur le net, Retold avait trouvé un écho unanime, augurant de belles promesses. Body Pilot, disponible uniquement en vinyle à l’heure actuelle, poursuit le travail de Nest sur format court.
Délicate et minimaliste, le musique de Nest évoque des équilibres fragiles. Comme si cette fine pellicule de neige qu’est la poudreuse était prête à céder sous le moindre impact. L’atmosphère est rassurante et chaude en ces territoires gelés pour les citadins que nous sommes (pour la plupart). Peu habitués à contempler l’horizon. Qu’il est doux alors d’imaginer se dévoiler des étendues désertiques et insondées, de sentir la réverbération et l’écho des drones dans des glaces éternelles. Quand les touches du piano sont délicatement pressées (Stillness et The Dying Roar), c’est comme si de légères empreintes s’inscrivaient dans une neige immaculée. Aucun vent ne viendra les recouvrir, laissant cette partition progressive naturelle reprendre ses justes droits.
On pense à des écrivains émérites en s’immergeant dans cette musique froide, aussi romanesque que romantique. Saint Ex pour les voyages bien sûr, mais ce bon vieux Dosto également pour le spleen et les questions existentielles du contemplatif averti. Les paroles d’un autre poète français récemment disparu viennent aussi naturellement à l’oreille, plus particulièrement à l’écoute du sublime The Dying Roar. Vol de nuit sur l’antarctique, j’attends la prochaine guerre. Jamais d’escale, jamais de contact avec l’ordinaire. Perdu la boussole, le compas. Erreur volontaire. N’essayez pas de m’éteindre ou je m’incendie volontaire. Cette vision d’un coeur encore chaud s’immolant sur la glace m’irradie l’âme et le corps.
La recette présentée ici est pourtant connue depuis longtemps. Nappes ambient grasses et profondes, approche acousmatique, piano discret et subtil, drones imperturbables et subtile démarche noisy. Retranscrire autant d’émotions et de visions chimériques avec “si peu” relève du génie. Sur Koretz’s Meteor, le naturaliste ou le simple explorateur pourra prendre autant de clichés qu’il veut, les images n’auront jamais autant de puissance à posteriori. La magie du furtif moment a déjà disparu, en même temps que le piano désormais lointain, dans des vapeurs instanmatiques dévoilant la disparition d’entières forêts de sapins bleus (The Ultimate Horizon).
Face à tant de beauté simple et élégante, le chroniqueur passionné préférera garder le silence sur l’autoroute enneigée du priapisme et de la volupté. A écouter à haut volume lors des froides et joliment tristes soirées d’hiver. Ce quatre titres justifie à lui seul l’investissement dans une platine vinyle. Pour les autres, le dernier album de Deaf Center est toujours aussi recommandable.