En 2010, j’en avais marre de l’adolescence et de la confusion, j’étais las des désœuvrements imaginaires et des échappatoires égoïstes où seules les rêveries propres comptaient. En 2010, la parodie avait déjà repris le pas sur les touchants souvenirs, et je réalisais combien le temps, qui lors des remises au goût du jour d’un genre sépare la joie de la lassitude, se rétrécissait peu à peu. De nos jours à peine a-t-on le temps de croquer dans la madeleine de Proust que celle-ci est déjà sèche et périmée. Aussi lorsque le premier album de Beach Fossils est sorti (et ce quelques mois après le déjà dépassé album de The Drums), je n’ai jamais pu tisser de pont émotionnel entre lui et The Field Mice, voire plus globalement avec Sarah Records. La production faussement DIY m’apparaissait comme forcée, la voix lointaine et abandonnée, comme pour masquer un manque de personnalité, se confondait dans un rendu étouffé où les basses ne respiraient jamais. Manifestement les idées traversaient les décennies, mais le doigté et les chansons restaient prisonniers d’une époque. L’été serait morne et il y a avait de la rancœur à voir un gamin faire comme si de rien était.
Dans ces conditions, l’EP de huit titres « What A Pleasure » était précédé d’une ombre terne qu’on imaginait pleine de reliquat de chansons bâtardes. On se disait que même Dustin Payseur devait se rendre-compte que la madeleine était déjà rassise et qu’il devait juste chercher à nous en refiler discrètement les dernières miettes. Mais dès le second titre, il se passe quelque-chose d’inattendu : le son si étriqué, s’ouvre soudainement ! Dustin Payseur affirme enfin sa confiance dans sa voix ; il ne l’impose jamais mais lorsqu’il la place, il ne le fait plus dans le secret ! Les chansons s’aèrent ainsi et les instruments se mettent à flotter : la basse est ronde, rapide, un je ne sais quoi post-punk, sans jamais chercher à être dansante ; la guitare file, à la fois précise et floue, mais reste toujours au service de la chanson ; et, durant la partie centrale, Dustin Payseur prend une longue respiration afin de laisser l’instrumentation respirer et se développer. Ce schéma de construction déjà présent sur le premier album via des titres comme « Lazy Day » s’épanouit enfin ici.
Des claviers naïfs mais fiers font leur apparition, tantôt pour rappeler Cure, tantôt pour offrir des développements twee (« Distance »). Dustin Payseur converse avec eux sur « Out In The Way » et on comprend combien ce « What A Pleasure » cherche à s’éloigner des enchevêtrements calculés et étouffés. Tout l’Ep affirme cette volonté d’ouverture sur le monde qu’il s’agisse aussi bien des styles (on compte donc ici trois fois plus d’influences) que des hommes (John Peña qui compose les très belles lignes de basses, ou encore la présence sur un titre de Jack Tatum de Wild Nothing).
Ayant évacué la question de l’album, celle de la posture et de la légitimité, Dustin Payseur transpire d’une nouvelle liberté, comme si l’exercice de l’Ep le délestait de tout enjeu et qu’il pouvait alors écrire des instantanés, légers ou graves mais jamais prédéfinis. Il peut ainsi jongler avec des introductions rugueuses pour finalement se laisser couler dans la pop (« Face It »), il peut créer des contradictions entre les mots et les ambiances, il peut s’en foutre puisque que rien n’est grave, puisque rien ne compte. Avait-il écrit auparavant une seule chanson qui ait la spontanéité de « Calyer » ?
« What A Pleasure » est alors à l’image de sa pochette : c’est un album de l’instant où rien n’est encore acté ; il arrive à la fois après le lancé dans la mauvaise direction et avant l’impact qui brisera la fenêtre ! C’est un album hors du temps qui se fiche de regarder vers le passé ou vers l’avenir, qui se fiche de regarder tout court. Il en devient si chaleureux qu’on souhaiterait que les lois de la physique disparaissent ! La balle retomberait alors au sol, roulerait quelques secondes sur l’herbe puis s’arrêtait sans avoir rien détruit ; et invité par sa nouvelle inertie, on pourrait alors la contempler pour toujours.