Rencontre avec Socalled : A Gilgul Fun a Nign
Rencontre à Lille, le 28 novembre 2011
>> Dans le cadre de sa série Bubbemeyses ! sur la musique juive et yiddish, Nathan a rencontré Socalled, un jour après son concert à l’Aéronef.
Il y a une vieille histoire juive, une de ces histoires dont on ne peut tester la véracité, une histoire qui se déforme au fil des années, de bouche en bouche. Un homme donc, arrive à Ellis Island, les yeux rivés sur New York. Comme beaucoup de juifs, il fuit son pays pour le rêve américain. On lui demande son nom de famille, préambule aux nombreuses questions posées par l’immigration. Il répond “My mother was called so”. Ma mère était ainsi appelée. “Appelée comment ?” répond l’agent des douanes. “My motter was called so”. Et ainsi de suite. Ou plutôt, “My mother was Kolsow”. On pourrait aussi raconter l’arrivée de Sean Ferguson-Shayn Fargesn (“J’ai oublié”, en yiddish), mais ce n’est pas le propos.
Avec cette histoire de grand-mère, on pourrait penser que Josh Dolgin est devenu Socalled à cause de cette blague. Pas du tout. L’histoire est bien différente. Josh aimait James Brown, la musique classique, le jazz et surtout le funk. Un jour, il a entendu Snoop Dogg et Dr Dre balançer leurs flows sur quelques instrus bien senties. Josh est devenu Heavy J, “un nom un peu nul” avoue-t-il. Le rap comme une évidence. Un compère de studio l’appelle “socalled Heavy J”, il laissera tomber la deuxième partie de son nom pour garder le Socalled. “Soi-disant”, et le nom est bien choisi.
Troubadour des temps modernes, à la fois MC, accordéoniste, photographe, pianiste et magicien, Josh Dolgin touche à tout. Comme s’il était un soi-disant rappeur, musicien, prestidigitateur ou qu’importe. Et dans l’histoire, il est aussi l’inventeur du hip hop klezmer. Quelque chose d’assez lourd à porter. Pourtant, l’itinéraire coule de source. Socalled découvre la musique juive par des moyens détournés, c’est le rap qui l’a amené au klezmer. Josh cherchait des sons à sampler pour faire du rap. Il est tombé au hasard sur un disque de théâtre yiddish, sur les chansons d’un cantor, et des mélodies hassidiques.
Et, doucement, il a tiré le fil et déroulé l’histoire de la musique juive. “J’ai commencé à collectionner d’autres disques, puis peu à peu, j’ai voulu en savoir plus sur cette musique. J’ai commencé à aller aux festivals et à rencontrer les gens qui en jouent encore aujourd’hui. Cool, cette musique vient d’Europe de l’Est, donc ça m’a ouvert les portes de la musique roumaine, serbe, ukrainienne, russe, bulgare et toutes ces musiques… La musique tzigane aussi, et toutes les influences du klezmer”. Et cette culture a disparu. “Je récupérais des vieux vinyles pour trouver ces trésors inconnus de notre passé. On ne les entends ni dans les films, ni à la radio… Personne n’en parle ! Tout le monde connait Duke Ellington, mais qui a déjà entendu parler de Abe Schwartz ? Et de tous ces compositeurs qui ont écrit des chansons incroyables, de la poésie”. Alors, à force d’utiliser ces mélodies comme fondation de son groove, Socalled redonne une vie à ces airs oubliés.
Quand on y réfléchit, la musique juive n’est pas si différente du hip hop. D’un ghetto à l’autre, d’Europe de l’Est au Bronx, c’est un peu la même histoire : faire de la musique avec ce qu’on a. “Les gosses n’avaient pas d’instruments, ils ont commencé à faire de la musique avec des platines, qui sont plus faites pour écouter de la musique qu’en jouer. Et parce qu’ils étaient créatifs, ils ont créé tout un art avec ce qu’ils avaient. Du graffiti, de la poésie, de la musique, de la danse… C’est incroyable, tout ça vient de rien. Et c’est souvent de là que viennent les trucs géniaux !”.
Côté juif, c’est sensiblement la même chose. “Les juifs étaient intégrés de force dans l’armée . C’est là qu’ils ont eu des clarinettes, des trompettes ou des tambours… Ils devaient jouer dans les groupes de l’armée. Puis ils n’étaient pas vraiment autorisés à travailler, mais ils avaient le droit de jouer de la musique. Pas seulement pour les juifs, mais pour les populations non-juives aussi. Et dans ces conditions de misère et de souffrance, qu’est-ce que tu veux faire ? Tu veux t’amuser ? Tu veux faire la fête ? Alors tu fais une musique funky qui te fait danser pour des journées entières ! Des chansons que les gens peuvent chanter tous ensemble. Des chansons à boire, des chansons plus spirituelles…”
Et pour pousser la comparaison un cran plus loin, il y a les badkhonim. Dans un mariage, pour amuser son monde, un gars balance les rimes qui lui sortent par la tête sur un fond de musique. Il parle de la mariée, du marié, de la vie, des gens, de tout. De l’improvisation, “c’est exactement la même chose que le freestyle en hip hop”.
A force de rechercher des samples, de s’intéresser à cette culture, Socalled en est devenu un des ambassadeurs. Il a maintenant une centaine de chansons en yiddish à son répertoire. Elles attendent gentiment dans un carnet d’être enregistrées.
Mais Josh procède en fait à un travail de fond. “La chanson UNLVD, c’est une mélodie hassidique. Tu ne penses pas “oh, c’est une mélodie hassidique !”. Tu te dis “oh c’est une chanson bien prenante”. Ou même, “You are Never alone” avec ses lai lai lai, c’est une chanson hassidique aussi. C’est plus facile à écouter si ça sonne familier. Avec un beat, ça devient familier sans diluer la puissance de la mélodie”. Et tout ça joue sur le subconscient. Et peut-être qu’à force, cette musique oubliée regagnera ses lettres de noblesse.
D’ailleurs, le mouvement semble enclenché. Avec David Krakauer ou John Zorn, la musique juive a pris un tournant. Comme si elle se modernisait ; même au cinéma, on en entend. “Ce qui est cool, avec A Serious Man, c’est la chanson de Sedor Belusky qu’on entend tout le temps. C’est le premier film hollywoodien avec une vraie chanson yiddish dedans !”. Pour la petite histoire, c’est Fyvush Finkel, figure emblématique du théâtre yiddish, qu’on voit dans le court-métrage qui précède le film. Et c’est Finkel qui est samplé sur le “Ikh Bin a Border” de Socalled. La boucle est bouclée, le yiddishland est un petit monde dans lequel chacun se débat pour sauver une langue, et surtout une culture. Lorin Sklamberg des Klezmatics rangent les enregistrements à New York, au YIVO Institute of Jewish Research, on stocke des livres que personne ne lira jamais à Amherst, au Yiddish Book Center. Mais la musique résonne encore.
Josh raconte cette histoire, A Gilgul Fun a Nign, la migration d’une mélodie. Cette mélodie, un paysan l’a entendu d’un berger qui sifflotait, il l’amène à la ville, où le Cantor l’entend à un mariage, et quelqu’un l’entends ensuite dans un théâtre et cette petite mélodie siffloté inconsciemment devient une vraie chanson, un standard. “C’est mon histoire” sourit-il. Et elle est bien loin d’être terminée.
>> L’intégralité de la série est à lire ici.