C’est une petite révolution dans le monde de Hauschka : ayant exploité ses pianos préparés au quatre coins de la musique classique contemporaine, le pianiste Volker Bertelmann explore, sur ce septième album, les pistes de la rythmique. Et, les morceaux autrefois très serrés, très refermés sur eux-mêmes, y trouvent soudain leur échappatoire. On s’éloigne alors complètement de l’austérité qui habitait son précédent et oppressant « Foreign Landscapes » trop centré sur lui-même. Aujourd’hui le rythme permet de corrompre son style de jeu, de le rendre moins précieux, moins académique ; le pianiste ne recherche plus la reconnaissance des pairs, mais la jouissance du monde ; au point que l’on ait envie de gesticuler dans tous les sens ! Des chansons comme « Radar » nous invitent à danser, sans pour autant s’offusquer si l’on préfère les contempler assis seul au fond sur un banc. Effectivement, « Salon des amateurs » fonctionne comme un album d’électronique, et le compositeur allemand développe alors ses titres à la manière d’un Four Tet, comme si l’album était le reflet d’une collaboration entre un pianiste et un producteur.
Il ne faut pas s’imaginer le piano de Hauschka comme un demi-queue élégant et fier de son classicisme, non il s’agit plutôt d’une forteresse, d’une cachette qui cache un manège secret où s’animent plein de petits objets : des billes jouent à l’équilibriste sur les cordes, des trombones font de l’escrime, des verres s’entrechoquent ; oui à chaque fois que le pianiste appuie sur une touche, plein de jolies textures accompagnent la note qui fuit.
Partout où l’on pose ses yeux, l’on voit des cordes pincées ou des cordes lestées : il ne s’agit pas de les retenir et de les garder prisonnières, mais au contraire de les stimuler, de leur faire peur et de les pousser à l’évasion. Il faut qu’elles vibrent, qu’elles résonnent, et si possible de manière différente à chaque morceaux ! Comme une bactérie, sur laquelle on utiliserait plusieurs produits chimiques, on place dessus des capsules de bière, des bouchons en liège ou en plastique ; on croit retenir les bulles mais on ne fait que préparer l’explosion.
Le piano de Volker Bertelmann devient alors un synthétiseur, une machine du futur capable de sortir mille sons en fonction de la manière dont elle a été préparée. Et la musique électronique trouve son meilleur allié là où elle l’attendait le moins.
Pourtant, sur « Salon des amateurs », il ne s’agit jamais de dance music ou de house (l’album se passe d’ailleurs aisément des gros kick techno) ; au contraire, il s’agit de composer son propre langage et peut-être de donner envie aux gens d’inventer la danse qui va avec ! Dans un exercice plus humble que les travaux d’Aufgang, Hauschka ne mélange pas la musique classique et l’électronique dansante. Non, il propose une nouvelle vision de celle-ci, le tout avec un feeling jazzy naturellement apporté par son jeu piqué, et par les notes de piano à la silhouette de notes de contrebasse (« Ping »).
Tout coule de source ici (« Girls »), et Hauschka contrebalance l’absence de structure par un dialogue entre chaque objet : le mouvement, créé par ce petit monde qui s’anime, supplée à la nécessité d’avoir des repères dans la chanson. On écoute alors « Salon des amateurs » comme l’on regarderait un dessin animé muet ; en se laissant aller avec les personnages et les formes. Du coup, l’album n’est pas déstructuré sans pour autant posséder le moindre refrain, couplet ou pont ; il n’est pas déstructuré parce qu’il suit le fil d’une histoire bien plus scénarisée que ce qu’il y parait au premier abord (« Taxitaxi »).
C’est peut-être ce qui explique ce côté mécanique, cette froideur qui transforme parfois « Salon des Amateurs » en une expérience scientifique, réussie, innovante mais dérangeante dans la perfection de son rendu. Ici les sons ne cohabitent pas, ils sont issus du même ensemble et se connaissent si bien les uns les autres, qu’ils prévoient les réactions de chacun. Du coup, il n’y a jamais de cassure, ni de moment de tension.
Pour limiter cette vie en autarcie, Hauschka a quelques fois recours à une batterie (« No Sleep » avec Samuli Kosimen, le batteur de Múm). Il voit également dans le violoncelle de Joe Burns de Calexico et dans le violon de Hilary Hahn une opportunité de densifier le son. Le résultat ? Une musique qui joue à tous les niveaux comme sur « twoAM ».