Te souviens-tu de ton adolescence ? Qu’as-tu fait ? Qu’as-tu construit ? As-tu aimé ? Je me rappelle des moments (quelques) et des périodes (encore moins). Je ne me souviens pas avoir aimé, je ne me souviens pas avoir construit. Ou alors si, mais de manière endogène. J’ai dû essayer de m’aimer un peu, j’ai dû essayer de me construire beaucoup ; sans succès. Que ressens-tu en les écoutant ? De la frustration peut-être, de la jalousie sûrement. La vie a l’air plus simple lorsqu’on a des amis ; je n’avais pas eu cette chance. Les trouves-tu superficielles du coup ? Non pas forcément, ce serait un peu simple d’accuser tout ceux qui n’ont pas autant souffert de superficialité. Mais, elles sont légères pour sûr, plus légères que moi…
Les quatre norvégiennes de Razika ont dix-neufs ans et jouent de la musique entre amies depuis quatorze. Elles ont le cocon de l’amitié pour mère et la force de la jeunesse pour père ; elles ont l’air si bien entourées que ça en paraitrait louche et facile ; mais la facilité est justement la principale de leurs qualités ; et leur pop, teintée de tout ce qui se fait de plus inoffensif en musique, peut vous emmener très loin. On parle d’une musique qui n’est pas dangereuse, non d’une musique transparente qui coulerait en nous frôlant à peine. Non ici, ce sont des caresses enjouées, des caresses doucereuses, des caresses entrainantes, mais jamais rien de nocif, jamais la moindre griffe plantée dans le dos ou la moindre morsure laissée sur le cou, juste des baisers infinis qui ont le goût de la plage et du ska, tout en restant revitalisant comme du punk (« Hvem skal tro på deg na » dont même les lalala sont rassurants).
C’est un disque de l’instant, et on parle de qu’on connait avec une légèreté à s’envoler, où seule la basse précise, ronde et funky peut encore permettre à l’auditeur de garder les pieds au sol (« Youth »). On danse, on fume et on écoute les Specials (« Taste My Dream », « Nytt Pa Nytt »).
C’est un âge où le monde s’offre à nous et où l’on mélange les langues (les chansons de « Program 91 » alternent l’anglais et le norvégien), sans s’inquiéter de la cohérence de l’œuvre ; car ici ce n’est pas la cohérence qui compte mais la cohésion ; les chansons peuvent partir dans tous les sens, les filles se rattachent avant tout à elles mêmes. Il n’y a qu’à 20 ans où l’on peut choisir d’écrire en anglais juste pour faire cool, sans que personne ne s’en offusque (« Why Have We To Wait » et sa Twee sucrée à la The School, tirée de la chansons des Pussycats). Plus le temps passe, plus on cherche du sens et du fond, alors que devant ces gamines, on se contente de l’instant et de la spontanéité ; on finirait presque par trouver mignon les pires défauts. On fuit devant les gens qui prétendent n’écouter que Bob Marley et les Strokes, mais on sourit naïvement si la phrase vient de ces quatre là.
La jeunesse est ici facile, belle et légère. Il n’est pas question de mal-être et d’anorexie, de parents séparés et d’alcoolisme ; on peut compter sur ses amis et le quotidien ne se résume pas à se protéger des autres adolescents ; il n’y a pas de tragédies amoureuses, juste des peines de cœur dont on savoure le romantisme (« Vondt I Hjertet »). Rien est grave ici ; on ne boude jamais plus de quelques minutes. Et, on écoute alors cet « Program 91 » avec joie et regret.