Les noms de Can, de Neu, fleurissent depuis si longtemps dans les recoins de toutes les interviews, que nous aurions pu nous y attendre. Les livres consacrés à la techno remplissent des rayons entiers, et tous paient leur tribut aux fondateurs, à Kraftwerk, ou à Cluster. Quarante années ont passées, et tandis que le “krautrock” redonne une jeunesse aux rockers les plus intéressants (Trunks, Mugstar, Archie Bronson outfit…), l’électro de papa nous ramène sur leurs pas.
Cluster. Un nom bien trouvé, ce cluster a résisté au temps, sans se désunir, ou plutôt en se désunissant, beaucoup, en se recomposant, mais Hans-Joachim Roedelius n’a pas fléchi. Au pied de ce monument, Stefan Schneider pourrait pâlir. Nenni. Conservés, les acquis de Sowiesoso, ou du troublant Grosses wasser. Entre écriture “savante” et minimalisme pop, Roedelius n’est pas de ceux que la tentation du “trop” pourrait guetter. La musique de Hans Joachim Roedelius est née sur la Planète sauvage ou dans une série Z japonaise, mâtinée d’action moderne et de préceptes zen.
Le principal est qu’il continue de viser juste. Comme toujours. Comme avec Eno sur Foreign affairs, comme dans son Jardin au fou, Avec Stunden, il nous sert un classique, ce que les anglais baptisent avec gourmandise “un classique instantané”. Le type est insolent de classe, de certitude dans son art, droit sur sa ligne, intemporel comme un Eno, justement, rêverait de l’être. Le piano de Hans Joachim s’y déploie sans urgence, à la croisée des temps. On parle peu de H.J. Roedelius, parce que d’autres tiennent le haut du pavé, parce qu’il ne fait pas suffisamment de pauses pour faire de chaque sortie un “retour”, parce qu’il reste dans une veine trop piquée d’avant-garde et de musique savante pour dépasser le lectorat de Wire.
On a tort de se laisser tenir à l’écart par ces apparences arty. On pense aux amateurs de techno abstraite ou minimale, A reminiscent drive, voire aux amoureux des tout premiers disques d’Alpha, pourquoi pas de Boards of Canada. Savourez cette caresse ouattée de Single boogie, comète dans la voie lactée de Stunden. Il y a un brin de snobisme avouons-le. Regardez cette pochette de disque, ou cette manière de rejeter un single potentiel en dernière partie de disque. Mais impossible s’arrêter là, ce disque est peut-être celui de ces derniers mois, qu’on partagera le plus volontiers avec tout notre entourage.
C’est qu’il est étonnamment simple d’accès cet album. A peine lancé, il devient déroutant de familiarité, il semble ne contenir aucun écueil, aucune distance, nous tenir au corps et aux oreilles comme fait sur mesures. On ne cherchera d’ailleurs pas à distinguer un morceau plus qu’un autre, tous s’enchainent avec une sérénité communicative. Mais à cette vertu digne d’une compilation new age, s’ajoute un talent, une écriture, un goût exquis manié par un maître.
Stunden est un nouveau disque de Roedelius, il aurait pu surgir de n’importe quel espace-temps, et tout ce qu’on sait en dire, c’est que cet instant suspendu est de pure magie.