A l’occasion du grand retour de Magazine, deux textes sur le groupe de Howard Devoto :
> Le 11/01 : The Correct Use of Magazine Part 1 par Ulrich
> Le 12/01 : The Correct Use of Magazine Part 2 par Benjamin Fogel
J’ai le souvenir de ne l’avoir jamais abandonné. Lui et moi, moi et lui ; il fut le héros de mon adolescence que je n’ai jamais vu sur scène ; il restera ce Mime Marceau, raide comme la mort, qui, à Top of The Pops, renvoya au bon consommateur anglais l’image de sa propre dépendance. Dans le silence du post-punk mourant, il sera son fossoyeur, comme il fut avec Lyndon son archange. Dieu le Père existe et il porte un nom : Howard Devoto, même s’il se fit porter pâle en 1981. Dieu est mort, un jour de mars 2004, lorsque son chérubin creva en silence dans son sommeil, détruisant le rêve du vieil ado que j’étais devenu : voir un jour son groupe préféré se reformer. Avais-je le droit un jour de soupirer à la possibilité d’un bonheur fugace ? Apparemment non, il me restait que le goût amer de ces disques d’un autre temps, cette fin des années 70 et ce début des années 80. Le goût de l’éternité, aujourd’hui.
Bâteau ivre de mes années mortes, je ne puis oublier que Magazine fut pour beaucoup un masque d’oxygène. A Pete Shelley, la morgue punk et rageuse ; à Devoto, une certaine vision de l’avenir et en particulier du sien. Il s’est toujours méfié du succès, allant jusqu’à éteindre consciencieusement tout début de velléité qui allait en ce sens. Certains crièrent au sabotage, même. Do It Yourself. Seule la reconnaissance lui importait. Fuck le succès. La compromission ne fit jamais parti du vocabulaire d’Howard Devoto, au contraire de Barry Adamson et Dave Formula qui, sans en abuser, se permirent quelques infidélités “pop” avec Visage. Et que disait John McGeoch, ce petit prince de la guitare ? Il était dans un entre-deux, il était d’accord avec les deux partis : la rigueur artistique d’un Devoto et la flamboyance du succès. Au final, il sera celui qui aura tiré tout ce qu’il pouvait de ces années : gloire, claque, oubli jusqu’à sa mort en 2004. On connaît les belles carrières carrière d’Adamson et McGeoch, un peu celles de Dave Formula et John Doyle. Mais celle d’Howard Devoto, co-créateur du punk et du post-punk, est un point d’interrogation, une page blanche émaillée de quelques rares apparitions depuis qu’il décida de saborder Magazine en 1981… Il y eut Luxuria, il y eut son album solo, il y eut son duo avec Pete Shelley et c’est tout. Des points de suspension dont on ne se souvient même pas qu’ils purent susciter des silences respectueux ou gênés.
Trente ans de silence.
Trente ans à écouter Real Life, Secondhand Delight, The Correct Use of Soap et même Magic, Murder and the Weather. Plusieurs fois par an. A user le sillon de mes vinyles, encore et encore… A accompagner à l’aveugle les changements de rythmes, à être en phase sur les parties de Dave Formula, à imiter les intonations moqueuses de Devoto, à accompagner sans sourciller les nombreuses ruptures, à sourire des influences que le groupe mancunien aimait à distiller ici et là dans sa musique. En vérité, plus qu’aucun autre groupe, je vivais vraiment avec leur musique.
Je n’ai jamais brûlé mon idole. Lorsque la cohorte néo-post-punk débarqua avec ses gros sabots mal dégrossis, il n’y eut guère que ceux et celles qui ne connurent pas la précédente période pour s’enthousiasmer à ces sons rabattus, mâchés et au final sans grands intérêts. Chercher l’original, le goûter suffisamment et jeter toute la production actuelle aux oubliettes de l’histoire devient alors un jeu facile, voire trop facile.
Jusqu’à l’impensable.
I woke up on the day
The day of living well
Finalement, il ne faut pas grand chose pour vivement rallumer une mèche encore fumante. Il suffit d’une intro, d’une voix, d’un esprit et d’un riff de guitare. Même si le doigté n’est plus celui de McGeoch, même si la rondeur sèche de la basse n’est plus celle de Barry Adamson… Il reste les envolées lyriques de Dave Formula, la rythmique imposée par John Doyle et le mordant des paroles de Devoto. La voix a certes vieilli, la patine des ans a adouci la voix tranchante de Devoto : l’homme n’a au fond que 60 ans et son manque de maîtrise technique est le triste reflet d’un homme qui s’est tu durant 30 ans.
30 ans, putain !
Et même si je ne saute pas comme un cabri sur mon sofa déglingué, ce retour de Magazine aux affaires fut la meilleure nouvelle de cette année musicale. Même si ce disque ne vaut pas leurs trois premiers albums (on peut difficilement faire mieux), il n’en reste pas moins qu’il est toujours agréable de réentendre Devoto chanter son Angleterre, sa Grande-Bretagne et son Royaume-Uni. Le Mime Marceau a vieilli, on sent par moment que les rhumatismes ne sont pas très loin, ça coince sur certains morceaux mais l’ironie est toujours palpable et devient même carrément cinglante sur Happening In English.
You were never ever shy
After you’d bitten
En deux lignes et à 33 ans d’intervalle, Devoto répond au jeu des miroirs que Shot By Both Sides lui avait imposé, malgré lui. Il a toujours voulu tuer ce fils putatif. Il ne fut en rien un père respectueux, même la stature du commandeur lui déplaisait. Pourtant qu’il le veuille ou non, il est un personnage historique, au même titre qu’un Mark E. Smith, d’un John Lydon, d’un David Byrne ou d’un Colin Newman. Qu’il le veuille ou non, Shot By Both Sides reste une des grandes chansons du XXème siècle, un désormais classique du répertoire anglais, déjà conséquent.
Lorsque Magazine se reforma pour une poignée de concerts en Angleterre en 2010, Devoto fut surpris de l’engouement public pour le groupe. Magazine fit salle comble… Il avait oublié que les anglais n’ont pas la mémoire musicale courte et cultivent ce jardin soigneusement. Lui qui n’a jamais aimé le succès ou du moins la compromission avec le succès, goûta certainement ces quelques secondes d’éternité, suffisamment pour retenter l’aventure et sortir un nouvel album. No Thyself n’est pas l’album du siècle, ni celui de l’année mais un bon et honnête album d’un groupe majeur qui revient tranquillement sur le devant de la scène. Avec Wire, Mission of Burma, The Fall, Swans et maintenant Magazine, c’est bien dans les vieilles marmites que le post-punk reste le plus goûtu.