Comment passe-t-on le cap des 20 ans quand on a livré à 18 une œuvre comme Lovetune For Vacuum ? La question est sans doute ardue et n’a pas été éludée par la talentueuse Anna Pschlag. La suite à son formidable album est donc un gros EP, ou un mini-album, ce qui n’est pas important dans le détail, mais permet de ne pas situer cette sortie en tant que véritable album, dont elle n’a ni l’ampleur ni la cohérence.
Tout d’abord, nous n’allons pas résister à la tentation facile de comparer les pochettes. Dans les deux cas, on y voit l’artiste en portrait serré. Mais alors que l’ancienne mettait le visage dans la pénombre, Narrow est éclairée frontalement, sans artifice, comme pour montrer la volonté de ne plus se retrancher derrière une timidité adolescente. C’est aussi dans sa langue natale qu’elle nous accueille, ce qui est une bonne idée, et comme il est surtout question de ressenti, ce Vater est intense. Elle a l’air de mieux s’investir et comprendre ce qu’elle raconte.
Le contraste est donc assez marqué pour la curiosité de cet album, la reprise de Voyage Voyage – de Desireless, oui oui, et qui visiblement s’est hissé en haut du hit-parade autrichien à l’époque, antérieure à la naissance d’Anna. La chanson de base était visiblement bien écrite, et la mélodie tient encore la route après ce traitement plus dramatique, dans un premier degré qui impose l’excellence pour ne pas être du pastiche. Le piano y est plus torturé, et pourtant plus affirmé encore, et modéré par des cordes, avec des changements d’attitude, de l’adoucissement occasionnel. On savait que des artistes pouvaient rendre mièvres des beautés en les chantant comme Jessica Simpson (Birdie), on sait maintenant qu’on peut ressusciter de vieilles scies grâce à un (sombre) regard neuf.
Ce qui frappe aussi sur cet album, c’est que certaines pistes soient encore suivies, que le tri n’ait pas encore été fait, ce qui rend certaines transitions un peu difficiles à suivre. Parce qu’après un premier morceau en autrichien et une reprise en français, on n’a sans doute pas envie de la voir s’acharner à produire de la musique électronique torturée mais qui peine toujours à convaincre (le syndrome Zach Condon ?). Peut-être que l’avenir de cette filière passera par des collaborations, puisqu’elle était excellente sur le dernier album d’Apparat. Vous l’aurez compris, ce Deathmental n’est pas ce que j’ai préféré sur cet EP. En tout cas moins que quand elle mêle ces sons très synthétiques à son sens mélodique, rendant un simple ‘stay’ poignant (Boat Turns Towards The Port).
Le reste des 8 titres présentent de jolies choses comme Cradle Song ou Lost mais en moins viscéral. Sans doute qu’on attend d’elle une noirceur adolescente transcendée par un talent intransigeant, ce qu’elle n’est peut-être plus trop intéressée à nous donner. Elle accepte aussi l’aide des autres, sous forme de chœurs de Wonder.
On l’aura compris, ce Narrow n’est pas un gros jalon comme l’était son premier album, mais une sorte d’état des lieux de sa production, des pistes qu’elle explore encore avant de trouver le fil conducteur de la suite. Anna Pschlag est à la croisée des chemins, et s’engagera bientôt dans une tournée avec un ensemble (on en reparlera). On n’en sait peut-être pas plus sur la suite, mais on sait qu’on sera là.