UN AMOUR DE JEUNESSE de Mia Hansen-Løve
Sortie dvd le 7 février 2012 – durée : 1h50min
Chère Camille,
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Le plus touchant dans l’amour pur, c’est cette part d’irrationalité. Celui de ne pas comprendre pourquoi on s’accroche plus à cette personne qu’à une autre, pourquoi malgré ses habitudes horripilantes l’absence de cet Être apparaît comme une longue agonie. L’hystérie de la séparation, le visage en larmes qui ne cesse de geindre, parfois même la tentative de suicide, autant de réactions épidermiques à mi-chemin entre la logique implacable et le manque de lucidité. Mourir par amour, est-ce une idée ça Camille ? Lorsque tu tentes d’en finir, on a tous compris que tu ne voulais pas disparaître, juste cesser de souffrir. Ton amour pour Sullivan, Mia Hansen-Løve l’a créé en reflet de sa vie. Pas besoin de lire des interviews pour le deviner, ça se voit dans l’intensité qu’elle met à te filmer. Tu es sublime Camille, ou plutôt devrais-je dire Lola Créton.
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Ta fraicheur des 18 ans est incroyable. Plus fort encore : ta manière si naturelle de te mettre dans la peau de cette même Camille huit ans plus tard. Tu fais penser à la petite sirène, celle qui s’évertue à trouver sa place entre océan et terre. Ça n’est pas pour rien si le film t’embarque au Danemark, là même où tu penses admirer ton nouveau prince charmant, où tes pas prennent racines sur une base plus solide. Preuve que tu te cherches, tu changes de coupe de cheveux, tu émascules tes belles pointes ondulées pour un profil à la garçonne plus mature. Je ne sais pas si tu as vu les précédents films de Mia, mais elle traitait de littérature dans Tout est pardonné et de cinéma dans Le père de mes enfants. Mais toi, ma chère Camille, tu touches au sublime : l’architecture. De la pénombre nait la lueur apprends-tu à juste titre. Regarder Un Amour de Jeunesse procure une sensation de renaissance. Celui de revivre sa propre expérience, quand la fin du monde n’aurait pu entacher les sentiments.
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Rien de programmatique n’arrive dans ta vie, rien de fortuit ou d’artificiel ne se passe. Ces presque deux heures en ta compagnie échoient sur la lumière, celle où la vie avance sans que les blessures ne se referment. Tu apprends la vie Camille, c’est le vieux con (pourtant jeune) qui te le dit. Mais ce que tu nous apportes toi est infiniment plus précieux. Tu nous réapprends à ressentir sans concession. Pour être franc, je ne comprends pas ce que tu trouves à ce Sullivan ; son regard ne me va pas, il ne respire pas la sincérité dans son phrasé. Il l’est sûrement pourtant. Quand il part en Amérique du Sud, il ne songe pas à t’abandonner mais à lui aussi s’ériger en homme libre. Il ne peut choisir entre la passion dévorante de ton corps -bien mis en valeur- et le plaisir de filer à des milliers de kilomètres parcourir les grands espaces.
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Toi aussi tu t’échappes Camille. Dans ton monde d’architecture, dans un nouvel amour, tu enterres ta souffrance dévorante, tu fais ressortir la nôtre. Lorsque tu t’allonges dans l’herbe ou que tu fais la féline sur un banc, en plus de la candeur érotique qui s’en dégage, on ressent un don total. Sullivan sera l’homme qui te connaitra le plus parfaitement. Ce que tu vis est à la fois commun à tous et incroyablement unique. La pureté laisse place à des barrières protectrices. D’ailleurs, je ne sais pas si tu en as eu vent, mais à un moment, tes deux amants se croisent au hasard des rues de Paris. Enfin, ni l’un ni l’autre ne se doutent de se qui se trame.
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A vrai dire Camille, tu n’es pas un personnage de cinéma. Tu incarnes dans une fiction une réalité bien tangible. Celui d’une vie par fragments, très à la mode en 2011 (Tomboy, The tree of Life, The Scene of Suburbs) où la jeunesse refait surface par flashs plus ou moins étirés. J’espère que ta mère se remet bien de son divorce, elle n’avait pas l’air plus perturbée que cela. Ne lui en veut pas de cette réaction d’adulte qui te demande « quand est-ce que tu feras enfin le deuil de cet amour », les grands refoulent parfois la puissance destructrice de la passion. Après cette aventure partagée, j’ai l’impression qu’on se connaît bien, non ? Tu t’offres entièrement à notre regard, comme lorsque tu échanges ton premier baiser avec Lorenz, avec qui on te pensait déjà en couple. Puisque tu t’es livrée sans concession, à mon tour de te faire une confidence. En sortant du film, satisfait, je retourne dans le métro. Et là , comme un coup de massue, une envie de fondre en larme m’accable. Si les gens grisonnants m’entourant n’avaient pas court-circuités mon épanchement lacrymal, j’aurais certainement laissé éclater un sanglot. Je ne sais pas pourquoi, c’est inouï, et pas mon genre. Un amour de jeunesse termine pourtant de manière lumineuse, il y a de quoi se sentir léger à redécouvrir la fleur fraîche des passions adolescentes. Si jamais tu as une explication.Â
Amicalement,
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A.M.