Courant 2011, c’est complètement par hasard que j’entends parler pour la première fois de ce disque d’Egyptology, alors que je travaille à la sortie de notre deuxième disque chez Fin De Siècle. Sans me poser plus de questions, non sans avoir constaté que ce dernier portait le sceau Clapping Music, je l’enfouis involontairement très profondément dans mon cerveau, loin dans mes oubliettes mentales, avec une infinité d’autres infos auxquelles je n’ai jamais accordé plus d’importance que ça. Ça, c’était avant un véritable retour façon flash dans la gueule après la réception il y a quelques semaines d’un mail promo qui a fait remonter à la surface toute une série de choses. A commencer par la plus évidente des questions: c’est quoi ce truc ?
Sans être un fan inconditionnel de la musique des deux hommes, assister à un échange musical sur disque entre Olivier Lamm (Olamm) et Stéphane Laporte (Domotic) suffit à aiguiser la curiosité de l’auditeur un tant soi peu au courant des réalisations en solo de chacun. Actifs depuis une dizaine d’années, proches de feu Active Suspension, puis de Clapping Music, de L’Amicale Underground et d’un certain nombre d’autres structures françaises, Olamm et Domotic emportent avec eux un bagage musical conséquent, peuplé d’une série de disques explorant les zones électroniques les plus diverses, depuis l’ambient et les territoires les plus en friche jusqu’aux accents les plus pop (notamment Domotic avec un “Ask For Tiger” singulier en 2005). De quoi bâtir un solide CV enrichi d’idées en tous genres sur la genèse de projets purement synthétiques. En parallèle, les deux hommes peuvent se targuer de posséder une connaissance certaine de la musique dans son ensemble, sans réelles limites; à commencer par Olivier Lamm et ses engagements chez Chronic’art, The Drone et j’en passe. De quoi se permettre de faire appel à un degré d’exigence supplémentaire au moment de s’enfoncer plus avant dans la musique d’Egyptology.
Un nom qui, à proprement parler, évoque une foule de choses. Je ne suis pas le dernier à être séduit par cette dimension mystico-S.F. véhiculée par certaines musiques. Une espèce de positionnement théorique qui peut sensiblement transformer ma perception d’un disque lorsqu’une profondeur inattendue ou une histoire particulière se révèle à la faveur de quelques recherches. Et je crois sincèrement que c’est ce qui m’avait attiré l’œil au premier abord chez Egyptology: ce nom, cette cover et tout ce que je m’imaginais. Il faut dire que j’ai longtemps été sensibilisé à cette marotte assez récurrente de notre culture populaire, ce lien “mysticisme égyptien” / “science fiction” maintes fois abordé dans tous les genres artistiques, sous toutes les formes, mais qui fonctionne toujours très bien. En raison notamment de l’énorme zone d’ombre qu’entretient encore à nos yeux l’histoire de l’Egypte ancienne dont on ne sait, au final, vraiment pas grand-chose au regard de la longévité dont la civilisation a fait preuve. A mes yeux, Egyptology s’engouffrait, de fait, dans cette brèche, pour mon plus grand plaisir.
Autant vous dire qu’il n’est pas toujours recommandé de trop réfléchir en amont, sous peine de prendre le disque en travers de la gueule, après avoir choisi une position qui s’avère, au final, inadéquate au regard de son contenu. Je fais de grandes phrases et j’allonge la foulée pour vous dire combien “The Skies” souffle le chaud et le froid, dans un équilibre permanent entre choix judicieux et longueurs dommageables.
La justification du disque est assez simple, en réalité, mais se tient bien dans l’idée. Olamm et Domotic ont cherché à explorer cette zone musicale à cheval entre le passé et le présent où l’on laisse s’exprimer claviers vintage, boite à rythme à l’ancienne, reverb et écho datés pour un voyage musical temporel qui nous emmène au cœur de la seconde moitié des 70’s, tout près des 80’s, entre plusieurs évolutions musicales, là où l’équipement électronique et son contingent de manip’ studio et de décorum synthétique commencent à faire école dans la culture populaire et à produire quelques œuvres mémorables. De ce voyage musical, Egyptology a choisi de faire un voyage spatial en prenant le pari de transporter l’auditeur loin dans l’espace, cet espace à l’ancienne tout droit sorti d’un film de S.F. un peu daté mais séduisant, en prêtant allégeance au synthétiseur pour le laisser faire sienne cette zone qu’il a contribué à bâtir. Depuis la migration de population sur une nouvelle planète, les passages de terraformation puis de repeuplement jusqu’aux explorations les plus lointaines, très loin, très haut. Bien entendu, le terrain de jeu idéal pour toute la panoplie de sons et de synthés employée par le duo afin de simuler l’envol, l’évolution et tout le champ lexical de l’aventure.
Dans le discours, “The Skies” est le résultat d’une démarche qui oscille constamment entre nostalgie et hommage envers une dimension musicale à laquelle les deux musiciens doivent sûrement certains de leurs premiers émois musicaux. Projeter de soi de manière franche et directe dans les 12 morceaux du disque, une démarche louable, sans aucun doute. Mais sur la durée, sur l’heure de musique proposée, l’auditeur peine à ne retenir autre chose en premier lieu que cette sensation de flottement. Comme si le disque n’était composé que d’éléments isolés les uns des autres, en suspension et jamais réellement attachés ensemble. Un défaut qui peut sembler anecdotique mais qui se révèle compliqué à mettre de côté lorsque l’on considère le concept global qui sous-tend l’ensemble de “The Skies”: l’élévation.
Egyptology entretient un sens du détail dans ses compositions, mais conserve souvent cette manière un peu stoïque de raconter les choses. Le duo s’est sûrement fixé comme unique fil directeur de chercher à réutiliser les codes du genre, au moins quelques uns d’entre eux, une manière de faire propre à cet univers musical. En réalité, une utilisation un peu trop sage de ces ficelles, un peu trop propre sur elle, vient plomber littéralement une bonne partie du disque. On aimerait pourtant se laisser emporter mais “The Skies” semble n’être que le spectateur du film qu’il développe lui-même. Un paradoxe. Comme une prise de recul et une difficulté certaine à réellement occuper l’espace. Même si ça n’est pas le cas de la globalité du disque.
Par endroits, l’auditeur ne pourra contrôler cette petite accélération de sa pression sanguine, les battements du cœur se font de plus en plus rapprochés et l’âme est alors portée par un héroïsme sans bornes, une forme épique d’expression musicale qui renvoie de la plus belle des manières au concept général de l’album. Ce sentiment de dépassement, de potentiel accomplissement extraordinaire, loin, vite. Et cette sensation est en réalité dispersée sur la quasi globalité des morceaux, mais par petites touches, de manière trop éparse pour que “The Skies” se présente comme un tout cohérent.
Il était donc nécessaire d’aller plus loin et de chercher à comprendre les raisons de ce paradoxe, la manière dont Egyptology parvenait sans le vouloir à conjuguer ces instants purement épiques et cette sensation un peu vaine que rien ne mènera réellement nulle part. Et c’est en creusant entre les phrases musicales que l’on comprend le mieux d’où vient cette dichotomie. Là où Egyptology pèche réellement, c’est dans la gestion des temps faibles. Ces intervalles où la musique du duo a oublié d’être ascendante, ce pourquoi elle a été créée, pour n’être plus qu’horizontale. “The Skies” est avant tout un album peuplé d’une myriade d’instants qui évoquent cette musique de l’envol, mais simplement de la séquence réduite à son essence la plus pure, où l’émotion se retrouve condensée en une poignée de secondes enthousiasmantes, l’explosion du décollage. Car, à plusieurs reprises, “The Skies” est enthousiasmant. ‘Orbis Part 5: Uprising’, ‘The Skies’, ‘Orbis Part 3: Terraforming’, durant ces morceaux où l’album nous tire par la main vers l’étage supérieur. Que ce soit à un rythme soutenu ou plus mesuré, peu importe. Mais ces moments sont entrecoupés de séquences trop monotones, entraînant une baisse de pression dommageable pour l’ensemble. Parfois même au sein des morceaux, la répétition d’une petite mélodie bien trouvée jusqu’à plus soif annihile tous les efforts consentis de prime abord.
Car “The Skies” se présente en réalité comme un album qu’il aurait fallu penser pour une utilisation dans le cadre d’un film. Où la musique n’est pas l’unique sujet, juste un élément parmi d’autres qui donne sa splendeur et son originalité à un moment contrôlé. Mais entre les scènes, lorsque les acteurs quittent leurs costumes, ils ne sont rien d’autres que des connards moyens patientant des heures jusqu’à la prochaine scène pour aller faire leur boulot du mieux possible. Et c’est ce qu’Egyptology nous a donné à entendre : ces instants plats qui n’apportent plus rien à l’ensemble et qui font un peu oublier les phases mémorables qui précèdent. Pour contrebalancer cette impression, à mes yeux le duo aurait du chercher à condenser sa musique au maximum, la ramasser pour en faire une explosion quasi constante de A à Z. Car certains morceaux, certaines constructions mélodiques et harmoniques en possèdent le potentiel, sans l’ombre d’un doute. Sûrement le point le plus ennuyeux de ce disque: sentir ce potentiel qui lui est propre, ces idées intéressantes portées par des musiciens qui semblent ressentir les choses comme il faut mais les voir se perdre dans un dédale de passages inutilement longs, où le quasi silence n’est pas géré de manière optimale et se transforme en instants d’errance qui, au bout d’un moment, poussent l’auditeur à se demander ce qu’il fout là. Et ce passage incessant de l’une à l’autre de ces phases plombe littéralement “The Skies” qui devrait trouver toute sa force dans l’immersion proposée, sans pause jusqu’aux confins de l’univers.
Un constat d’autant plus frustrant qu’il n’existe en France, sur le terrain purement synthétique et électronique, que peu de projets de ce genre, avec une réelle ambition musicale et une idée arrêtée sur comment faire les choses. Trop souvent, ce territoire se voit dilué dans un autre et ne sert, au final, que d’argument secondaire à une musique dont le sujet principal est ailleurs (ou l’avatar d’une création dancefloor basique, sans chercher beaucoup plus loin). Chez Egyptology, la tentative de renouer avec les manipulations électroniques vintage est louable mais le résultat est une demi-réussite, une demi-déception. Comme si l’auditeur se rendait compte à mi-chemin que la fusée que faisait décoller Egyptology n’était en réalité qu’un tout petit véhicule mono-place qui ira à peine plus haut que la stratosphère, avant de se laisser gentiment planer, un peu à la dérive mais pas trop. Ce défaut d’un peu trop vanter le “beau” et le classieux en oubliant un peu la profondeur, la densité et le véritable bouillonnement. Lisse, élégant mais d’une pâleur un peu trop voyante par moments.
Un constat sévère sur l’ensemble, dû surtout aux hypothétiques promesses qu’entretenait pour moi l’annonce d’une collaboration entre Olamm et Domotic. Bien sûr, pour des auditeurs moins exigeants , “The Skies” se présentera comme un projet séduisant, avec de l’allure, une identité affirmée et suscitera peut-être des interrogations sur ce style musical que le duo cherche à recomposer ici tout en proposant une formule à la fois accessible et singulière. Une très bonne chose, à n’en pas douter. Mais pour ceux qui attendent toujours plus d’un disque, que ce dernier se dépasse lui-même, qu’il sorte de son statut d’ondes gravées sur un support physique ou encodées dans un format numérique quelconque, il laissera derrière lui une poignée de très bons moments malheureusement plombés par ces intervalles musicaux classes mais un peu plats. Dans un va-et-vient constant entre un besoin de s’enthousiasmer sans limite et ces instants de retenue qui se transforment en une éternité d’attente du prochain climax musical.
Egyptology est en concert au Point Ephémère le vendredi 30 mars prochain.
Sortie du disque: 18 avril, chez Clapping Music.