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Xiu Xiu : entre cynisme et romantisme

A propos de l'album Always / Un texte de Nathan Fournier et de Benjamin Fogel

Par Collectif, le 06-03-2012
Musique

“Always” tatoué sur l’épaule, à l’encre noire. Xiu Xiu, toujours. Jamie Stewart est du genre à se le coller au corps, à graver Xiu Xiu sur sa peau, rappelant que Xiu Xiu, c’est pour toujours. C’est plus qu’une étape de sa vie, un amour passager, c’est sa vie entière. Il n’a aucune intention de s’en défaire, alors il se l’imprime dans la chair. Xiu Xiu, pour toujours, comme on écrirait le nom de la fille qu’on aime au compas sur nos avant-bras, en espérant que les cicatrices forment les lettres de son prénom et qu’on ne l’oubliera jamais.

Jamie Stewart n’a jamais quitté l’excès. Il se jette à corps perdu dans ses sentiments, ne les rejette jamais. Il préfère les prendre de plein fouet pour ensuite les recracher avec son encre noire. Il exalte ses sentiments, il exagère les traits de ce qui l’entoure, il force les contours de ce qu’il ressent pour aller flirter avec le grand guignol, le grand ballet du mal-être. A vivre trop fort, il sait qu’il ne regrettera rien. Jamie Stewart est le dernier des romantiques. Un romantisme noir, trop noir.

Comme Morrissey qui n’a jamais su réprimer ses élans de sentiments, la tête chercheuse de Xiu Xiu ne s’épargne rien. Il fait pleurer chaque mot et va jusqu’à hurler “Dear God, I hate myself”, criant au monde son insatisfaction, le malaise de sa vie, ou d’une vie qu’il fantasme. Le mythe romantique de l’excès pèse. Et Stewart l’a bien compris, il faut feindre la folie, feindre l’excès, le rendre plus réel que la réalité. Il faut que, quand on écoute Xiu Xiu, on pense “ce mec est fou”, qu’on invente la folie dans son regard. Sa traîne, c’est la détresse de sa voix et de ses mots.  Difficile de discerner la part de sincérité dans les envolées lyriques de Jamie Stewart, mais ce n’est pas ce qui compte ; l’important, c’est de croire à son manège.

Jamie Stewart pousse les sentiments des romantiques à leur paroxysme, allant même jusqu’à cet instant de refus, de rejet de l’expression d’un mal-être. Cet instant étrange où, après s’être épanché dans un texte ou une chanson, après s’être trop livré, même par des mots détournés, il regrette. Alors il casse le cocon sombre et romantique qu’il a créé. Volontairement. Comme Baudelaire dans Le Spleen de Paris, qui se moque de lui-même et de ses élans romantiques au point de réécrire les poèmes des Fleurs du Mal, et de les briser dans un mouvement incontrôlé, il conclut son “Horloge” d’un majestueux :

“Y vois-tu l’heure, mortel prodigue et fainéant ? » je répondrais sans hésiter : « Oui, je vois l’heure ; il est l’Éternité ! ».

Mais, conscient du possible ridicule de sa conclusion, il rajoute un amer dernier paragraphe.

“En vérité, j’ai eu tant de plaisir à broder cette prétentieuse galanterie, que je ne vous demanderai rien en échange”.

Baudelaire devait haïr ces instants de fébrilité romantique. Jamie Stewart aussi. Il chante “Beat beat me to death, if you are expecting consolation I will become outrageous !” avec de la peur dans la voix, avant de briser l’infinie tristesse avec le titre suivant : “Chocolate makes you happy”.

En fait, la voix de Stewart se ballade toujours sur une brèche, en équilibre entre l’écorchure violente de la souffrance, et la démonstration moqueuse et ironique de la supercherie. S’il se sent né pour souffrir, Jamie Stewart veut semer le doute à chaque fois, comme pour se convaincre lui-même qu’il est moins romantique qu’il ne l’écrit. Même si, au fond, il sait très bien que c’est l’éternel combat entre ses deux démons, son romantisme et son cynisme, qui fait l’alchimie de Xiu Xiu.

Mais sur Always, pour la première fois on le sent avide de maitrise. Il semble en avoir assez de cette alternance : il ne veut plus être victime ni de son lyrisme à fleur de peau ni de cette dérision qui ponctue toujours ses phrases et le désarçonne. Il veut achever le travail initié sur Dear God, I hate myself, et voir les extrémités de sa personnalité animer simultanément ses chansons. Il s’agit vraiment de l’album qu’il veut graver dans le marbre, celui qui représentera à tout jamais Xiu Xiu, tel qu’il l’a toujours conçu, mais qui ne trouve son aboutissement qu’aujourd’hui.

Jamie Stewart ne cherche pas à extérioriser ses peurs et ses angoisses à travers ses chansons. Non celles-ci sont plus son journal intime, une trace des années qu’il a vécues. On ne parle pas pour autant d’introspection, mais juste des choses qui animent la vie d’un homme : ses joies et drames personnels, ses prises de position au sein de la société, ses réflexions sur le monde, sur ses proches, sur lui-même. Les albums de Xiu Xiu ne répondent pas à un plan établi à l’avance, ils ne sont que le reflet de la vie du moment, une sorte de grande archive que leur auteur transmettra aux générations futures. C’est pour cela que Xiu Xiu ne mourra jamais : c’est non seulement le projet d’une vie, mais surtout un projet qui ne peut pas s’arrêter de peur de laisser des trous dans sa propre existence.

Puisqu’il accepte maintenant que son groupe et lui fasse un à tout jamais, Jamie Stewart a de moins en moins peur de ses deux démons : il les attire à lui, il veut qu’ils le pénètrent de part et d’autre. On se retrouve alors avec un projet hybride, d’une maitrise impressionnante, comme s’il avait dompté l’indomptable, comme si sa folie d’hier était devenue un pouvoir qu’il contrôle enfin. Les chansons sont radicales dans leur démarche et dans leurs expérimentations : elles ne se refusent rien, mais toutes leurs incursions doivent rester au service du romantisme, comme sur Honey Suckle. Pour autant, Always ne célèbre jamais la victoire de celui-ci : le romantisme, il aime toujours autant le maltraiter, mais maintenant il le fait en toute maitrise de soi ! C’est un album plus prémédité que par le passé où Jamie Stewart part de pistes électroniques où il sabordent allègrement son songwriting en le regardant droit dans les yeux (Beauty Towne) ! On ne l’y reprendra plus ! Maintenant il jongle avec aisance. En fait il semble avoir une telle confiance dans ses compositions qu’il réalise qu’aucun de ses extrêmes ne pourra désormais les abimer.

Jamie Stewart est dans cette position confortable où il peut se laisser complètement aller en sachant que les chansons s’autoréguleront spontanément. Même lorsque le chaos s’empare de I luv abortion, qu’il retranscrit le désarroi d’une jeune fille qui ne peut se retrouver enceinte à un si jeune âge, que la musique s’emballe comme si elle était plongée dans un monde fantastique aux codes inconnus, on n’a jamais l’impression que Jamie Stewart ne rigole ou qu’il s’est à nouveau laissé avoir par son cynisme : il a la chair à sang, mais il conserve le contrôle. Et ce sans jamais restreindre ses sentiments, sans jamais internaliser le romantisme. Les émotions sont toujours exacerbées, mais il n’est plus à leur merci.

Tout devient alors à la fois essentiel (encore une fois Always est un album sérieux à la fois dans sa conception musicale et dans ses thèmes) et volatile (cela ne reste qu’une image à l’instant t de la vie de Jamie Stewart en 2012). Mais ce n’est pas que de lui qu’il s’agit : son journal intime, son Xiu Xiu, il l’ouvre aux autres comme il ne l’a jamais ouvert (on notera l’impact de Greg Saunier de Deerhoof et du contrebassiste Devin Hoff et surtout d’Angela Seo dont l’influence au sein du groupe se confirme). Il ne veut plus souffrir seul, il ne veut plus partager sa souffrance, il veut juste la voir consolider par les nôtres. Sur Hi, il nous invite à le rejoindre : « If you’re wasting your life, say hi / If you’re alone tonight, say hi ». Et bien sûr, nous répondons tous en chœur !

Xiu Xiu est maintenant tatoué à tout jamais dans l’âme de Jamie Stewart et il s’agira dorénavant de relier toutes ces pièces de puzzle qu’il a déjà semé au cours de ses neuf albums. Ici il écrit déjà un post-scriptum au Clowne Towne de Fabulous Muscles avec Beauty Towne, et fait résonner le tragique Black Drum Machine avec le Black Keyboard de Women as Lovers. L’avenir de Xiu Xiu verra-t-il alors le romantisme incontrôlée d’hier être relié, à travers les ans, à la sensibilité du James Stewart de demain ?

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