Walk Away Renée ! de Jonathan Caouette : spectres familiaux
Sortie le 2 mai 2012. Durée : 1h30min
De Tarnation, choc esthétique et psychologique de l’année 2003, il ne reste que quelques images. Ou plutôt une avalanche d’instants, plus ou moins malaisants, construisant le portrait d’un grand enfant déchiré par ses jeunes années compliquées et par sa mère en overdose de lithium. Tarnation, c’était aussi la promesse pour tout amoureux du cinéma d’une approche foncièrement moderne de la narration, évacuant les frontières du format de l’image (Super 8, caméra DV, vieille VHS) et des sources sonores (les musiques préexistantes côtoyaient les enregistrements sur répondeur). Pas loin d’une décennie plus tard, Jonathan Caouette revient à nous. Il poursuit son cheminement trouble vers des lendemains lumineux. Renée Leblanc, cette mère à l’amour éreintant, lui pose encore plus de soucis qu’avant. Elle supporte mal les traitements contre ses troubles mentaux.
Walk Away Renée reprend la logique fragmentaire de Tarnation. La nébuleuse de sources narratives a ceci de logique qu’elle poursuit un même parcours initiatique. La force de ce WAR s’en retrouve amoindrit. Le choc esthétique n’en est plus un, les images, bien que nouvelles, rappellent trop l’ancien documentaire. Pourtant, une émotion intacte envahit l’écran. D’une part car la vie du vidéaste a quelque chose de romanesque glauque, d’autre part car le film réserve bien des surprises. Jonathan et Renée, sur les routes d’Amérique, sont en rade de médocs. Ces mêmes médocs qui détruisent la santé de Renée mais qui maintiennent à niveau son état mental, deviennent le seul enjeu narratif classique. S’engage une grande angoisse, qui dépasse le visage crispé de Caouette. Les errements du passé ressurgissent, comme pour aller puiser au plus profond de sa jeunesse la genèse de la dégénérescence. Caouette se convainc, et nous avec, que le foie maternel se doit d’encaisser le lithium sous peine de perdre le contrôle d’une femme aux parcours chaotique. Les photos du passé rappellent à quel point Renée était belle, qu’elle aurait pu mener une vie douce.
Puis perte de contrôle : Renée pète un câble. S’entame alors un segment glaçant. L’apocalypse commence. On se croirait dans l’Exorciste ou dans un grand moment de found-footage. Renée, complétement dingue, hurle, assène des horreurs, se couche dans les rues de New-York. Même la pire tornade ferait moins peur. On voudrait appeler à l’aide un chaman, on voit la main d’un Dieu écraser de son poids vengeur cette pauvre femme. Le film cherche une échappatoire. Puisque le réel semble faire de la résistance, Caouette convoque les cieux pour un trip expérimental tout en apaisement : l’expérience à son paroxysme explore une recherche de vie nouvelle.
Alors le chemin de croix pour Renée arrive à son terme. Après des kilomètres d’asphaltes bouffés, après une psychanalyse complète des affects familiaux, un nouvel équilibre se crée. Rien n’est très rose dans tout ça, des souffrances perdurent, le réalisateur confesse sa peur de revoir sa mère plonger. Là où WAR passionne, c’est qu’au-delà de la catharsis, l’objet en tant que tel ne règle aucun problème. Il n’a rien à voir avec un documentaire engagé qui tenterait de montrer au monde un grand complot ou un avenir peu radieux. Caouette ne fait ce film que pour illustrer, montrer que les brides créent des touts, que l’argument « histoire vraie » ne se suffit pas à lui-même ; la forme compte aussi. A vrai dire, le diptyque Tarnation / Walk Away Renée ne pose qu’un souci. On voudrait que Jonathan Caouette refasse un tour dans nos salles de cinéma. Or, on ne lui souhaite pas de vivre encore des heures sombres pour raconter un troisième volet de ses aventures au pays des pellicules fripées, réceptacles des fantômes de famille.