Friday Night Lights n’est pas une série comme les autres. De par les personnages qu’elle construit, son rapport au temps et son rapport à l’espace. Le slasher, depuis les années 70, a unilatéralement décidé quels types d’adolescents étaient dignes d’être dépeints ; ceux qui méritaient d’être au centre d’un scénario et ceux que l’on pouvait se permettre d’évincer d’un coup de hache ou de couteau après qu’ils ont montré leurs tétons ou leurs biceps. Ces laissés-pour-compte du slasher, ces faire-valoir du gore, les quaterbacks, les cheerleaders, les bodybuildés et autres métisses au nombril percé, Friday Night Lights en fait ses héros.
Tim Riggins, Matt Saracen, Tyra Collette, Lyla Garrity ou Landry Clarke. Ils n’ont pas vingt ans et vivent à Dillon, au fin fond du Texas. Leur quotidien se partage entre l’équipe de foot américain du lycée, des histoires d’amour cornéliennes et pas mal d’ennui. Au centre, le coach de l’équipe et sa famille, qui font office de pierre angulaire, de point de fixation. Peter Berg, le créateur de la série, triture ces adolescents durant cinq saisons – de 2006 à 2011 -, sans cesse, pour en extirper la beauté diaphane et la douleur d’être trop souvent réduits au rang de clichés sommaires. Les personnages tremblent, ils sont faibles et vulnérables, leur avenir est incertain et leur famille décomposée. Friday Night Lights, en un peu plus de cinquante heures, offre au monde une fenêtre sur leur complexité. Friday Night Lights lacère la carte postale.
Si ces adolescents dégagent cette beauté, c’est aussi parce qu’ils sont éphémères. Ils ne font que transiter par Dillon et ses lycées, alors que Peter Berg a décidé de s’en tenir à ce principe premier : à de rares et rapides comebacks près, ce qui sort de Dillon, sort de la série. Or le lycée ne dure que trois années, et la majorité des personnages est vouée, saison après saison, à disparaître pour permettre à d’autres freshmen d’exister. C’est cette intransigeance systématique, ce rapport à l’espace-temps d’une cruauté inouïe dans le cadre d’une série, qui fait frayer Friday Night Lights avec la tragédie permanente et structurelle. La tragédie du temps qui passe, sans ciller, qui propulse les uns à New York, les autres à Austin et les derniers à Dillon ; la sensation que Friday Night Lights pourrait durer un siècle, impassible, simple témoin des soubresauts des joueurs, des entraîneurs et des amours qui se succèdent. Ce procédé d’une dureté impitoyable, mêlé à la fragilité des êtres qui le traversent, fait toute la singularité de cette série candide et vivace mais peuplée de fantômes en devenir.
Toute en opposition et en contrastes, en sentiments contradictoires, Friday Night Lights est une œuvre foncièrement protéiforme, insaisissable. Les structures des séries, bien davantage que celles des films, peuvent être formalisées, dessinées, couchées sur papier. The Sopranos était une spirale s’élargissant progressivement vers l’infini ; The Shield un entonnoir, un goulot d’étranglement sans issue ; The Wire un damier vierge dont les cases étaient progressivement noircies au fil des saisons. Trois chefs d’œuvre aux structures solides et consistantes. Friday Night Lights représente, elle, un plateau sans cesse renouvelé, des personnages évanescents qui seraient comme des bulles de savon, belles et mystérieuses mais vouées à disparaître, à se fondre dans la nature. Peut-être parce que Peter Berg aime trop son univers pour accepter de le cadenasser. Peut-être parce que cette Amérique-là, ni pauvre ni riche, sous-représentée mais fantasmée, a plus que jamais besoin de liberté.