Emptyset, de l’intérieur
Un texte inspiré par l'album "Demiurge" d'Emptyset et par "L'Innommable" de Samuel Beckett
Où maintenant ? Quand maintenant ? Qui maintenant ? Sans me le demander. Dire je. Sans le penser. Appeler ça des questions, des hypothèses.
Est-ce mon cœur qui bat ? Un insecte vole dans mon crane. Par où est-il rentré ? Ça doit être par les narines, par ces narines que je n’ai pas. Ou peut-être que j’ai. Un trou noir peut-il avoir des narines ? Si oui je dois en avoir et c’est par là que doive s’infiltrer les insectes. Mais, peu importe, il ne faut pas oublier que j’ai avant tout un cœur qui bat, qui tape à chaque seconde contre ma poitrine que je n’ai pas (« Point »).
Je ressens une vibration, quelque-chose gronde, on doit faire des travaux derrière moi. Ou bien suis-je face à la mer. Une mer sombre, une mer pleine d’angoisse. Oui je suis face à la mer et des vibrations viennent des profondeurs. Ça doit être une grande mer très profonde, avec des monstres au fond, des monstres qui crient, des monstres que j’entends maintenant (« Plane »). Je dis ça, mais je sais très bien que ce n’est pas vrai. Il n’y a ni mer ni travaux puisque je suis seul. D’ailleurs je le saurais si je n’étais pas seul. Ou alors je ne le saurai pas. C’est possible de vivre en se croyant seul alors qu’on ne l’est pas. Je sens une présence à nouveau. Je crois que c’est James Ginzburg. Je me souviens de lui. Il me parlait avant, il ne me parle plus, mais avant il me parlait de sa solitude et du fait qu’il ne parlait à personne. Il y avait une angoisse en lui, quelque-chose que j’ai dû attraper. Je voulais l’approcher mais je ne savais pas comment rentrer en lui. C’était une sphère, une surface plane, sans fenêtre, sans porte. Au fond peut-être que je l’ai inventé et qu’il n’a jamais existé, ou en tout cas, jamais hors de ma tête. Pourtant, je le revois. Il y avait aussi son ami Paul Purgas, mais il ne parlait pas non plus. Une idée me vient. Et si c’est deux là avaient été la même personne. Ce serait bien leur genre. M’auraient-ils manipulé ? Non ils n’auraient pas eu les moyens. Au fond, ils sont comme moi ! Prisonniers de leur musique comme je suis prisonnier de la leur. Ils souffrent comme je souffre. Ces sons qu’ils émettent, je ne les entends pas, mais je les ressens. Eux aussi doivent les ressentir, mais avec encore plus d’intensité. Ce sont des sons qui font mal, qui vous donnent la nausée et qui vous fichent à terre. On ne dirait pas comme ça, mais c’est crispant au point de vous donner le vertige. On voudrait que ça se taise. Mais quand ça se tait enfin, on ressent comme un vide. Oui ces deux hommes dont je me souviens vivaient dans des textures étranges. J’ai essayé de les toucher. Mais ma main passait à travers. Pourtant, c’était froid et dur. Comment est-ce possible ? Je crois que c’était du vide. Un vide noir, un vide qui fait mal (« Function »). Ou alors un vide blanc.
Que tout devienne noir, que tout devienne clair, que tout reste gris, c’est le gris qui s’impose, pour commencer, étant ce qu’il est pouvant ce qu’il peut, fait de clair et de noir, pouvant se vider de celui-ci, de celui-là, pour n’être plus que l’autre. Mais je me fais peut-être sur le gris, dans le gris, des illusions.
J’ai quand même cherché. J’ai exploré le gris. Ca ou autre chose. A l’intérieur, il n’y avait que lui même. C’était un ensemble vide. Une chose qui se définissait par lui même, mais qui n’avait pas définition. Et j’ai eu encore mal. Les basses vibraient. Oui ça devait être des basses. Mais je n’en suis pas sûr. Je ne crois pas que les basses peuvent faire si mal. Je ne crois pas non plus qu’elles puissent couvrir un spectre si important. Et puis il y avait ces bruits blancs. Des bruits qui sont un négatif du bruit. J’aurai eu peur si j’avais été seul. Mais on ne peut pas être seul avec ces bruits. Mais ça me rendait fou. Ca recommence à vibrer. Je les sens à nouveau. C’était parti et c’est revenu. Je voudrai que ça s’arrête maintenant. C’est à la limite du supportable. Néanmoins, ça m’intrigue. Je me demande jusqu’où mon corps pourrait supporter ça. Ca y est ça s’arête. Ca me revient, les deux hommes, ce n’était pas James Ginzburg et Paul Purgas. C’était Emptyset. Je m’en souviens maintenant. Il n’était qu’un. Il a frappé à ma porte. J’ai regardé par le judas. Il m’a rappelé Cyclo. Et j’ai ouvert. Et j’ai eu mal.
Non c’est faux. Il faut que je dise la vérité maintenant. Je n’ai pas eu mal. C’était plus comme une fleur qui poussait dans mon cortex. Mais elle est partie maintenant. Et je suis à nouveau seul avec les bruits. Enfin des bruits, ce ne sont pas vraiment des bruits. Emptyset se demandait jusqu’où pouvait aller la musique. Quand est-ce qu’elle passait une limite et devenait un ensemble vide. Il se posait la question encore et encore. Il cherchait. Ou alors c’est moi qui cherchait. C’était ma tâche. Décomposer les sons pour enfin être libre. C’était ma punition. Je n’avais pas le choix, j’étais obligé (« Void »).
Toute cette histoire de tâche à accomplir, pour pouvoir la dire, pour pouvoir m’arrêter, de tâche imposée, sue, négligée, oubliée, à retrouver, à acquitter, pour ne plus avoir à parler, plus avoir à entendre, je l’ai inventée dans l’espoir de me consoler, de m’aider à continuer, de me croire quelque part, mouvant, entre un commencement et une fin, tantôt avançant, tantôt reculant, tantôt déviant, mais en fin de compte grignotant toujours du terrain.
Une nouvelle idée m’assaille. Et si Emptyset n’avait jamais été seul, s’il n’avait jamais été un trou noir, mais un impact de balle. Là comme ça, ça me paraît une hypothèse à étudier. Il faudrait creuser ça. Oui ça paraît évident maintenant. Il a toujours tout contrôlé. Il m’a fait croire que j’étais son ami, mais c’était pour mieux m’assouvir. C’est l’unité suprême (« Monad »). Il était un, puis je suis arrivé. Mais je ne suis pas la monade, je suis une monade. Il veut me détruire. Je suis une monade humaine et il est Dieu. Non ce n’est pas possible, car je ne suis pas humain. Ce doit être autre chose.
Qu’est-ce que j’allais dire ? Tant pis, je dirai autre chose, tout ça se vaut.
Ces idées m’étouffent. Je suis seul. C’est moi qui invente tout. Il n’y a personne d’autre ici. Et j’écoute « Demiurge ».
>> Les passages en italique sont tirés de “L’Innommable” de Samuel Beckett