La première saison de Girls vient de se terminer, et la seconde est annoncée pour janvier 2013. Doublement chapeautée par HBO et Judd Apatow, et donc précédée d’une très forte attente, la série porte surtout la marque de Lena Dunham, sa créatrice et actrice principale d’à peine 26 ans. Elle y interprète son double, Hannah Horvarth, jeune adulte new-yorkaise en quête d’identité entourée de ses pairs, tous traversés de doutes et d’hésitations.
La série s’ouvre sur Hannah avalant un énorme plat de pâtes face à ses parents. « I’m a growing girl ! », tente-t-elle de se justifier, telle une adolescente, juste avant d’apprendre qu’elle ne sera plus soutenue financièrement par sa famille. Le choc est dur, il va maintenant falloir rebondir, trouver une situation stable : devenir adulte. La saison se termine dix épisodes plus tard, une nouvelle fois avec Hannah, mais seule et face à l’océan, au petit matin. D’un point de vue symbolique, la boucle semble bouclée et l’oiseau sur le point de s’envoler du nid, de faire face au grand inconnu. Sauf qu’Hannah vient de vivre une soirée cauchemardesque où elle aura vu l’une de ses meilleures amies se marier, sa colloc déménager et, surtout, son petit copain la larguer. Il ne lui reste qu’un gros gâteau, qu’elle finit de dévorer en se léchant les doigts, comme un constat d’échec.
Retour à la case départ, et confirmation : ces deux scènes jumelles sont la synthèse parfaite d’une série qui aimerait grandir, voudrait parler d’autre chose que de son protagoniste mégalomaniaque et boulimique, mais ne peut se résoudre qu’à filmer ses angoisses, toujours au détriment des personnages dits secondaires. Girls est une série malade exposée au grand jour, tellement consciente de ce défaut d’équilibre majeur qu’elle l’énonce à plusieurs reprises, dans des dialogues à double-fond que Lena Dunham utilise à satiété. Adam, son incroyable petit-copain – vraie bonne trouvaille d’acteur et de personnage, en l’occurrence – lui reproche tout d’abord, au bout de l’épisode 7 tout de même, de n’avoir jamais cherché à le comprendre, à le connaître, de l’avoir toujours considéré comme un freak tout juste bon à la faire rire en période de déprime (« You don’t want to know me. You want to come over in the night and have me fuck the dog shit out of you. Then you want to leave and write about it in your diary ») ; il lui répète, dans le dernier épisode et avant de s’engouffrer dans une ambulance, littéralement démoli, qu’elle est incapable d’aimer autre chose qu’elle-même. Sa meilleure amie et colloc Marnie lui fait le même reproche, en toute fin de saison, lorsqu’elle lui annonce vouloir déménager en raison du narcissisme aigu d’Hannah Horvarth/Lena Dunham.
Ces quelques personnages qui font le quotidien d’Hannah, qui l’entourent en permanence, ont bien du mal à se défaire de la plume autocentrée de Lena, qui n’a d’yeux que pour son alter ego. Marnie, en pleine rupture amoureuse, l’admet sans ambigüité : ce n’est pas facile d’être dans sa peau de sidekick, d’être circonscrit au rôle d’une fille aussi froide et secondaire (« That isn’t fun for me, do you realize that ? Being the uptight girl ? I hate it »). Jessa, autre personnage qui endosse elle la figure de l’amie root et déconnectée des contingences du quotidien, a également droit à une sorte de scène en forme d’échappatoire, de bol d’air pour ces portraits de femmes qui ne demandent qu’à exister : lorsque son employeuse lui assène qu’elle porte un masque, pour éviter de devenir ce qu’elle est réellement, Jessa semble – pour la première fois, et au bout de neuf épisodes – totalement déstabilisée. La comparaison avec les films de Judd Apatow, qui produit la série, est douloureuse. Lorsque ce dernier offre de l’espace à chacun, une existence en-dehors du cadre, Lena Dunham les cadenasse, les fait vivre presque exclusivement au travers d’Hannah.
Il y a pourtant des failles dans ces personnages, de la beauté et des incertitudes qui ne demandent qu’à jaillir, et le font donc par intermittence à partir des trois ou quatre derniers épisodes. Leur destin est entre les mains de Lena Dunham, excellente et très drôle dialoguiste, consciente des lourds défauts qui pèsent sur sa première saison puisqu’elle les met régulièrement en abîme. C’est, en un sens, ce qui confère à la série un aspect fascinant, quelle qu’en soit l’évolution : ses travers sont exactement ceux du personnage principal, lui-même double et reflet anxiogène de sa créatrice. L’envahissante Hannah Horvarth, fruit de cette interconnexion entre l’objet et le sujet, est le cœur de Girls. C’est à la fois ce qui rend la série dispensable, de par son incapacité à ôter ses œillères, et la singularise. Dans le quatrième épisode, Hannah, exhibitionniste patentée lovée dans les bras d’Adam, a cette phrase programmatique : « I can’t take a serious naked picture of myself, okay ? That’s just not who I am ». Elle ne peut pas être sérieuse vis-à-vis d’elle-même, puisqu’elle souffre trop de son propre corps pour le considérer autrement que comme un objet de plaisanterie, que l’on pourrait tatouer à l’infini et exhiber tel un bout de tissu ; et vis-à-vis des autres, car incapable d’aimer dès que l’on intègre son cercle restreint, son intimité. Cette pudeur extrême, camouflée tant bien que mal de manière artisanale et malhabile, recèle une friction, une tension potentiellement superbe mais toujours en devenir. En attendant, Girls se cherche, se trouve par instants puis relâche prise, et se complaît de nouveau dans la comédie dite de circonstance, celle qui propose de sourire et de montrer son cul pour mieux fuir et esquiver.
À la saillie d’Hannah, sur sa peur d’être nue sans jouer, Adam répond, fébrilement : « Then just be who you are ». La série n’est peut-être finalement rien d’autre que cette quête de soi-même, qui aboutira, dans un même mouvement, à la reconnaissance de son entourage dans toute sa complexité. C’est seulement lorsque Lena/Hannah aura atteint cette bonne distance que Girls pourra prendre son envol et, du même coup, peut-être, mettre un terme à son histoire.