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Alignement
Police
Lucinda
Georgia
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Portrait
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>> Il est préférable d’avoir vu le film avant de lire ce texte.

En termes de road-movies, Vanishing Point (Point limite zéro), Two-Lane Blacktop (Macadam à deux voies) et surtout Easy Rider ont atteint la postérité. Ils sont entrés dans l’histoire du cinéma par la grande porte, étendards d’une génération sacrifiée, témoins d’une époque sanctifiée. Le premier, réalisé par Richard C. Sarafian, est à la fois le moins emblématique des trois et le plus radical.

Kowalski n’a pas de prénom. Entité lunaire et obsessionnelle, il parcourt les États au volant de sa Dodge Challenger R/T, comme une bombe et sous un soleil foudroyant, reliant en une quinzaine d’heures le Colorado à la Californie. Poursuivi par une horde de sirènes hurlantes, rendues floues par la chaleur qui percute l’asphalte, Kowalski n’a qu’un but : fendre le désert et communier avec les grands espaces. Il entre même en symbiose avec ces éléments primitifs lorsque, traqué par un hélicoptère des forces de police, il se confond aux couleurs de la Death Valley. La course-poursuite est donc permanente – en un sens nécessaire -, fin et moyen du film et de son personnage, tous deux tendus vers un idéal mort-né, vers un état d’extase qui n’existe qu’au travers du mouvement perpétuel. Au contraire de ses illustres congénères, Kowalski ne fume pas de marijuana mais des cigarettes ; il ne se shoote pas à l’héroïne mais au speed. Littéralement, à la vitesse. Kowalski n’est pas un hippie. C’est un concept.

Que sait-on de Kowalski ? Pilote de nascar casse-cou, flic utopiste, amoureux transi puis détruit par la disparition de sa femme en pleine mer – il ne reste d’elle que sa planche de surf, surmontée d’un aileron de requin en plastique. Vanished. Comme déjà mort, ayant abandonné son enveloppe corporelle devenue trop douloureuse, le pilote se dissout progressivement au contact du bitume pour atteindre une forme de vie supérieure. Kowalski n’est plus identifiable : en dévorant les kilomètres, d’est en ouest, il reconquiert les États-Unis, pour la beauté du geste. Simultanément cowboy et indien, il reconstruit un mythe, ce récit fondateur et originel, en défiant toutes les formes de coercition dressées sur son passage. Il fait même dévier un engin chargé de dessiner cette fameuse ligne jaune, qui divise la route en deux, et qui finira son tracé sur le bas-côté. Comme une faille dans le programme.

Super Soul, animateur de radio noir et aveugle, âme de l’Amérique, est son guide. Sur les ondes, il commente ce chemin de croix jubilatoire tout en passant du Bobby Doyle. Les badauds ne s’y trompent pas non plus : Kowalski est en passe de devenir une légende, leur nouveau messie. Ils l’acclament à travers le pays, attendent son passage éclair. Arrivé en Californie, the golden state, Kowalski est cerné. Adulé par la foule, photographié par les policiers qui le traquent, il accélère une dernière fois, le visage traversé d’un sourire, et vient exploser son bolide contre deux engins démoniaques. Dans ces gerbes de feu qui sonnent comme le commencement d’une nouvelle ère, derrière ce rideau de fumée qui cache un épais mystère, Kowalski a pris les dimensions de l’univers. Lorsqu’on inspecte la carcasse, derrière les lettres d’un générique qui pourrait bien être le début d’un autre film, son corps a disparu. Vanished.