EL PUESTO : cavaliers seuls
Sortie le 29 août 2012 - durée : 1h14min
Quelque part au sud de la Patagonie argentine se trouve l’une des plus petites fermes de Terre de Feu, l’Estancia Rolito, encadrée au nord et au sud par deux puestos, cabanons rustiques où vivent ceux que l’on nomme les puesteros, ouvriers polyvalents chargés de s’assurer de la sécurité des bêtes. Marin est un puesto typique, qui vit là en solitaire entre mille occupations quotidiennes et quelques rencontres occasionnelles. Le réalisateur français Aurélien Lévêque a choisi de le suivre sur quelques semaines pour tourner un documentaire qui ne porte pas sur Marin lui-même, mais sur la vie qu’il mène et les explosions sensorielles qui l’accompagnent. El Puesto est avant tout affaire de captation : il s’agit de rejeter aussi loin que possible toutes les caractéristiques du doc à tendance reportage, pour ne garder qu’une succession d’images à couper le souffle et d’instants d’intimité authentiques.
Cela commence par un plan sur la terre et le ciel, elle aride et lui embrumé, le vent soufflant fort dans nos oreilles comme pour créer en quelques secondes une ambiance de western. Omniprésente comme chez Lisandro Alonso, la nature joue un rôle fondamental dans le film car elle est la première interlocutrice de Marin. Il y a ce vent qui semble ne jamais devoir se calmer, ces arbres secs qui se dressent tels de vieux sages, cette plaine interminable et vertigineuse. Comme si le temps n’existait pas, Marin se démène avec sérénité pour prodiguer à cette ferme les soins qu’elle mérite. Il relève les pièges posés quelques temps plus tôt et s’empare patiemment d’un castor attrapé ce jour-là. Puis viendra l’heure du maté pris en solitaire ou avec ses compagnons de travail, qu’il s’agisse des propriétaires de l’Estancia Rolito, du contremaître des lieux ou du berger. Ces moments de rencontre sont assez révélateurs : contrairement à ce que l’on peut observer dans La Libertad d’Alonso, tous trouvent un vrai plaisir dans le fait de retrouver régulièrement leurs semblables. Comme si, dans ces lieux quasiment déserts, s’assurer d’une présence humaine à ses côtés constituait un indispensable vecteur de sécurité et de confiance. Souvenirs du passé, discussions sur la santé des bêtes ou extrapolations en tous genres : ces quelques tranches de lien social permettent à chacun de recharger ses batteries en prévision des nombreux instants de solitude à venir. Ce grand écart incessant entre une existence d’ermite et une soudaine socialisation fait naître chez les personnes filmées un équilibre visiblement salvateur.
Filmé en Cinémascope, bénéficiant d’un son étonnamment travaillé pour un documentaire, El Puesto laisse la part belle aux sens et donne envie de prendre pour un temps la place de Marin et ses congénères. Ces moments privilégiés en solitaire, face à un animal — scène superbe avec un poulain — ou seul en communion avec la nature, pourraient suffire à convaincre de la précieuse beauté de la vie. Aurélien Lévêque nous invite à franchir la barrière entre le monde dit moderne et cette contrée reculée, comme lui l’a fait un jour sans jamais le regretter. C’est un endroit où le silence des hommes est souvent roi, où la nuit prend parfois le dessus, mais où il y a toujours quelque chose à voir, à sentir ou à écouter. Ce doc d’une sincérité sans faille en fait brillamment état.