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>> Attention, ce texte dévoile en partie le déroulement de l’intrigue.

Que deviennent les flics lorsqu’ils quittent la police ? Dans notre imaginaire, fortement nourrit par le cinéma et la littérature, ils deviennent en général détectives privés, défendeurs de la veuve et de l’orphelin, mercenaires ou encore renégats à la dérive attendant désespérément l’enquête qu’ils seront les seuls à pouvoir résoudre et le retour triomphant qui s’en suivra. Mais le cas de Max Payne est un peu différent et le terme « dérive » est encore trop faible pour le décrire : après avoir sombré dans un alcoolisme rappelant les grandes heures d’Andy Sipowicz, il finit par échouer à São Paulo en tant que garde du corps d’un riche industriel. On ne parle pas ici d’un responsable de la sécurité qui dirigeait tout un service, non on parle bien d’un garde du corps lambda qu’on a choisi uniquement pour ses muscles, ses aptitudes au combat et à la gâchette, d’un type dont on se fiche bien de l’intelligence et de la morale, d’un type dont, à vrai dire, on espère qu’il soit un peu bête et/ou beaucoup fauché, car personne de sensé ne pourrait faire un tel job.

Mais évidemment Max Payne, bien que noyé dans les vapeurs d’alcool, a beaucoup trop d’idées qui lui traversent l’esprit et le torturent : d’un côté la blessure causée par la perte de sa famille qui ne se refermera jamais, de l’autre un dégout d’ordre politique (même si celui-ci  ne dépasse jamais le stade du cynisme) ; tout ce monde de riches qui s’amusent sur le dos des pauvres lui donne sacrément envie de vomir. Cette description d’un homme au bord de la rupture, attaqué physiquement par l’alcool et l’abus d’anti-douleurs, et moralement détruit par cette chienne de vie se traduit à l’écran par l’application de filtres créant des zones de ruptures, dédoublant les objets, déformant les objets et multipliant les effets de flashs lumineux. Même, si l’on a parfois peur que Max Payne, tel Desmond Miles, se retrouve désynchronisé, ce parti-pris permet de ne jamais oublier que le personnage incarné par le joueur vit son aventure comme une souffrance.

Ici Rockstar s’approprie la saga Max Payne comme un groupe arrive parfois, au travers d’une reprise, à transcender l’original. Il y a à la fois beaucoup de respect pour le travail de Remedy Entertainment et en même temps l’envie d’amener la série bien plus loin en termes de personnages, de violence et de concept. La bonne idée de Max Payne 3 est de ne pas céder à l’appel du tout en un et de conserver sa ligne de conduite. De nos jours, les moyens techniques permettent tellement d’exploser les codes, que de nombreux jeux sortent complètement de leur terreau de base. Tir à la troisième personne, aventure/plateforme, réflexions et RPG, tout ça est de plus en plus mélangé afin d’offrir des jeux qui ne souffrent d’aucun temps mort et proposent aux joueurs une impressionnante variété de situations ; comme ça peut être le cas avec les Uncharted. Là où Max Payne affirme un point de vue tranché, c’est qu’il refuse tout compromis avec d’autre style de jeu. Il s’agit d’un jeu de tir à la troisième personne pur et dur, et tant pis si l’on peut le trouver lassant où n’y voir qu’une version de GTA où l’on aurait troqué les voitures et la liberté de déplacement contre une plus grande habilité au tir. Car oui, Max Payne 3, c’est exactement du Uncharted qui n’aurait conservé que ses phases de shoot !

Certes on peut saluer le travail de puriste, mais tout cela ne donne-t-il pas un jeu répétitif ? C’est effectivement une question que l’on peut se poser, d’autant plus que les quelques scènes sensées casser la monotonie (fusillades à partir d’un hélico, d’un bus ou d’un hors-bord) ne dépassent jamais le stade de l’anecdote, et sont, de toute façon, trop peu nombreuses pour créer un équilibre. Pourtant de par son souci du détail, des ambiances et surtout la nervosité de son gameplay, les heures passées devant Max Payne 3 fusent comme des balles. Peu importe le niveau de difficulté, peu importe le bullet time, le simple fait de rester à couvert et de tuer un à un les ennemis suffit à maintenir la tension.

Fidèle à ses origines, Max Payne marmonne, s’en prend à la bêtise de ses employeurs, avant de médire avant tout sa propre médiocrité. Le jeu reste habité par une lucidité du malheur, et, à la place des punchlines holywoodiennes, on retrouve plein de petites pensées coincées entre cynisme et symptômes dépressifs ; des « Pour moi, il y a deux catégories de personnes. Celles qui passent leur vie à bâtir le futur et celles qui passent leur vie à tenter de reconstruire le passé. J’ai longtemps été coincé entre les deux, planqué dans l’ombre, lancé dans une course contre la mort. Le temps passe, mais rien ne change » ou autre « Il me fallait une dernière bouffée d’oxygène avant de mourir, un peu comme le besoin d’un verre de Whisky après deux jours de cuite ». Car non seulement Max n’a rien à perdre (à part du poids comme il aime à le rappeler), mais surtout il ne rechignerait pas à l’idée de trouver la mort et d’enfin être débarrassé de ses démons. Entre attendre la mort devant une bouteille et se confronter à celle-ci sur le champ de bataille, il n’y a pas de différence pour lui. Son seul objectif dans la vie est de boire pour oublier, et ce n’est pas une vie pour laquelle on a envie de se battre. Du coup, on ne s’étonne plus de voir Max tuer des centaines de personnes (son collègue Raul Passos ne manquera pas d’ailleurs de souligner qu’il y a tellement d’ennemis qu’on se croirait dans un jeu-vidéo) : ce n’est pas un héros invincible, mais un type qui tire à tout bout de champ comme une fuite en avant.

Dans n’importe quel autre jeu, Max Payne aurait été un ennemi de plus, un garde du corps parmi tant d’autre qu’un Niko Bellic aurait dégommé en allant s’attaquer au caïd du coin. Le scénario du jeu rigole d’ailleurs de cette situation : Max Payne ne devait être qu’un tireur un peu fou qu’on pouvait envoyer au casse-pipe et qui pouvait endosser les crimes. Personne ne pouvait imaginer qu’il y avait encore une forme de volonté dans cette carcasse abimée ; pas même Max lui-même.

Du coup, Max Payne 3 se déroule sur deux niveaux différents clairement identifiés qui, chacun de leur côté, ne tolèrent aucun compromis. Tandis que le  InGame refuse tout écart qui n’impliquerait pas des gunfight, les séquences non jouées évitent les raccourcis et ne se privent pas de multiplier les scènes de dialogues à chaque fois que le scénario le réclame. Des gunfights répétitifs et du blabla à n’en plus finir ? Voilà qui pourrait passer pour des défauts difficilement supportables, et pourtant c’est dans cette rigueur et ce refus de la compromission que Max Payne 3 trouve toute sa saveur. Il y a une pureté et une cohérence qui se dégage de l’ensemble, conférant au titre de Rockstar une identité encore plus forte que celle des deux premiers épisodes.

Comme souvent, là où le cinéma doit souvent composer pour des raisons financières avec la question de la violence, le jeu-vidéo semble toujours se fichtre des interdictions au moins de 18 ans. Est-ce parce que celles-ci sont moins respectées et que les contrôles sont moins draconiens, ou est-ce parce que des types comme Dan Houser (déjà scénariste entre autres de GTA IV et de Red Dead Redemption, et bien sûr coprésident de Rockstar Games) refuse que des arguments purement commerciaux entachent son œuvre ? Toujours est-t-il que Max Payne 3 fait preuve d’une rare violence. Sans parler des petites animations qui concluent une boucherie, on peut, par exemple, réellement être choqué par la mort de Marcelo, brulé vif, emprisonné dans des pneus au milieu d’une favela.

Afin de mettre la pression Max Payne 3 débute sur une scène apocalyptique avec aéroport en flamme, personne à terre aux membres déchiquetés et Max Payne en mode badass as fuck. Puis avant de revenir à cette scène, le jeu déroulera son histoire peuplée de flashback. Au milieu de celui-ci, Max, usé et fatigué, tentera de se réinventer en se rasant le crane et en se laissant pousser la barbe. Tout ça me rappelle l’incroyable Crazy Handful of Nothin, l’épisode 6 de la saison 1 de Breaking Bad. Dans un sens, il s’agit de deux personnages au bout du rouleau, qui veulent assurer leur mission, et qui, une fois la transformation physique réalisée, seront prêts à tout pour arriver à leur fin.