Pourquoi, Kendrick ? Pourquoi avoir vieilli trop vite ? Pourquoi avoir emprunté cette route si jeune ? Tu avais tout, Kendrick. Mais tu as décidé d’aller trop vite. De balayer la fraîcheur de « Section 80 » et sa collection de morceaux mémorables, l’énergie juvénile de “Overly Dedicated” (‘Ignorance Is Bliss’, jamais surpassé), pour t’engager sur le chemin de l’album sérieux et mature. Parce qu’il fallait que ce soit déjà ton heure, celle où tu cherches à apparaître comme un rappeur de référence. Top Dawg te promettait déjà beaucoup, Kendrick, mais tu as voulu plus, tout de suite. Et tu as choisi de te laisser tenter par les sirènes de celui que tu adorais sûrement étant gamin, un Dre plus que jamais ridiculisé par la vaste blague “Detox” mais encore aujourd’hui le parrain en place d’une scène de L.A. en déliquescence depuis trop longtemps maintenant. Avec ses amis d’Interscope, Dre t’a convié à la table de ceux qui mangent mieux et à qui l’on accole les épithètes les plus délirants, en oubliant de se focaliser sur ce qu’ils font avant tout : de la musique. Tu as choisi de t’inscrire dans la lignée de ce qui s’est fait mieux du côté de L.A., la légende Compton, celle autour de qui s’est construit un pan majeur du rap US. Attention louable si tu n’avais pas tout sacrifié pour ça. Jusqu’à ton identité propre.
Autour de “Good Kid M.A.A.D. City”, c’est le délire total. Mais personne n’écoute, le fantasme et le doigt mouillé en l’air pour tenter de sentir le vent tourner avant de s’aligner. Ne laisser aucune prise aux bourrasques, sous peine d’être emporté. Le dos courbé, les oreilles bouchées. En oubliant de se demander pourquoi il semble si compliqué de retenir ne serait-ce qu’un moment mémorable sur ce LP. Tout, depuis la production de morceaux quelconques, ou même insipides par endroits, jusqu’à l’usage de skits tous plus fatigants les uns que les autres, traduit la méprise complète à l’écoute de ton nouveau disque, Kendrick. Rien de déshonorant mais tu es très loin de ce que tu as su faire jusqu’ici. Caché derrière une sympathique histoire du gentil gamin des rues qui a souvent succombé aux vices mais qui s’en est sorti. Ton talent de conteur d’histoires du quotidien est réel, Kendrick, mais il est mis au service d’une posture plus que d’une vision. Vouloir à 25 ans sonner comme Père Castor qui multiplie les petites histoires à la morale qui doit nous faire réfléchir, c’est ça ton erreur, Kendrick.
Tu ne te rends sûrement plus compte mais tu es déjà loin. Et je suis là pour te le dire, parce que je t’ai vraiment apprécié dés les premières écoutes. J’ai rapidement perçu ton style particulier, la classe simple qui se dégageait de tes morceaux et ta manière d’utiliser ces images qui te distinguent clairement de la masse. Mais tu n’écris pas un bouquin, Kendrick. Tu ne peux pas te laisser porter par ces ersatz de beats qui ne rendent pas justice au rappeur que tu es. On t’a trompé, Kendrick, mais je suis là pour te dire la vérité. N’écoute pas les louanges, Kendrick, ne lis pas ceux qui te comparent à tout ce que le rap a fait de mieux. A leur époque, eux, n’étaient comparés à personne et ils ont su faire leur chemin. Et s’il te plaît, Kendrick, ne rappelle plus Scoop DeVille qui t’a sorti un beat fait pendant son sommeil, les Neptunes qui ont sûrement trouvé une prod par terre en sortant de chez eux et qui te l’ont filée ou Just Blaze qui t’a proposé du Just Blaze ; soit la 43 000ème prod du même acabit depuis 20 ans sans rien amener de plus. J’en ai lu saluer la cohérence de ton disque, Kendrick, et ils ont raison : solide et homogène dans la platitude et le manque d’ambition musicale, alors que tu t’évertues à essayer de nous emmener dans ton monde. Mais c’est peine perdue, tu traînes forcément ces prods comme des boulets.
Mais tu veux savoir le pire dans tout ça, Kendrick ? C’est que j’ai cru pendant un moment que ton crew, les Black Hippy, possédait quelque chose qui permettrait de faire naître une nouvelle génération de rappeurs avec des choses à dire à L.A. J’ai été aveuglé, Kendrick, et j’ai enchaîné les déceptions ces 18 derniers mois. Depuis le “Follow Me Home” de Jay Rock jusqu’au récent “Control System” d’Ab-Soul ; sans parler de SchoolBoy HQ, capable du meilleur comme du pire. Comme toi, Kendrick. Votre quatuor est aujourd’hui salué par tous. Mais vous nous avez menti, Kendrick. Votre ambition n’a jamais été de repositionner L.A. sur la carte du rap. Toi tu en as le talent mais l’ambition semble déjà mise de côté pour te gargariser d’avoir été adoubé par des quadras qui n’ont plus enregistrer un morceau digne de ce nom depuis 10 ans. Tu as voulu montrer que tu fais partie du sérail, Kendrick. Mais le filon macère depuis trop longtemps dans son propre jus et ne semble plus capable de se remettre en question. Alors que des centaines de gamines et de gamins débarquent chaque jour pour balancer sur le web des tapes à la fraîcheur et l’énergie incontestables, tu as préféré attraper le fauteuil qu’on te tendait pour rejoindre le repas de ceux que tu admires, Kendrick. Mais en y regardant de plus près, tu te rendras compte que le vin qu’ils te proposent sent le vinaigre et que la nourriture a déjà pourri depuis longtemps.
Tu as voulu aller trop vite là-bas, Kendrick. Et tu vieilliras plus vite que ceux qui sont autour de toi. N’emprunte pas ce chemin, Kendrick. Il ne te mènera à rien de bon. A moins que les articles délirants et les louanges sans queue ni tête soient ton unique objectif. Dans ce cas, grand bien te fasse. Tu continueras de raconter dans ta tête ces petites histoires que tu affectionnes tant mais qui ne marqueront jamais personne pour les bonnes raisons. N’oublie pas, Kendrick, moi je ne te mens pas. Je suis ton ami, Kendrick, mais “Good Kid M.A.A.D. City” n’est que partiellement celui que tu es. Réfléchis-y, Kendrick, et trouve un autre chemin. Je t’aurai prévenu, Kendrick. Songes-y.
Amicalement.