Mission of Burma – Unsound
Sortir de sa zone de confort tout en restant en soi
Malgré toute la méfiance que celles-ci peuvent susciter, les reformations de qualité ne sont pas si rares. Les groupes arrêtent, suivent d’autres voies, se nourrissent d’autres choses et puis parfois reviennent pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Le fait que les chemins se croisent et se séparent, que les envies changent et que des cycles apparaissent, ça me parait fichtrement humain. Aussi je ne suis pas plus surpris que ça lorsqu’un excellent groupe met fin à un hiatus qu’on pensait définitif et revient avec un disque pertinent. Je comprends que l’on soit initialement méfiant, que l’on s’imagine que les idoles de notre jeunesse courent après un passé révolu ou pire après l’argent, mais rien y fait, je suis toujours à la base optimiste. Bien sûr cela est d’autant plus vrai avec le post-punk où l’engagement artistique est au cœur de la démarche ; je pense à Magazine, à Swans ou encore à Wire ; beaucoup moins à PIL.
Et pourtant, le cas de Mission of Burma me laisse bouche bée. Magazine a su être à la hauteur de son passé en prouvant qu’il n’avait rien perdu de son mordant, de son humour et de son besoin de transformer le ringard en sublime. Swans a démontré, avec My Father Will Guide Me up a Rope to the Sky et The Seer, qu’ils pouvaient s’enfoncer encore plus profondément dans les sillons qu’ils ont commencé à creuser en 1983, cherchant de nouvelles formes de noirceur mais aussi de lumière. Quant à Wire, leur discographie apparait, malgré une dizaine d’année de break, d’une cohérence totale, les nouveaux albums confortant le mythe des premiers sans jamais passer pour de la redite. Mais pour Mission Of Burma, c’est de tout autre chose qu’il s’agit. Mission of Burma a été plus longtemps actif depuis sa reformation qu’à l’époque de sa création. On en est déjà à quatre albums depuis 2004 contre juste un EP (le culte Signals, Calls, and Marches) en 1981 et un album fondateur (VS.) en 1982. Mais, avec tout le respect et l’amour que j’ai pour VS, Mission Of Burma n’est nullement en train de jouer les prolongations, ni même de faire honneur à ses premières années. Au contraire, Roger Miller, Clint Conley et Peter Prescott ne publient depuis 10 ans que des albums essentiels qui, dans mon esprit, transforme Mission Of Burma en un groupe qui serait bien plus jeune que Franz Ferdinand, Block Party et consort.
Initialement, je ne voulais pas écrire sur Unsound. Je me suis déjà longuement attardé ces dernières années sur Mission of Burma et à chaque fois c’était la même histoire : je restais obnubilé par le fait que Roger Miller avait réussi à combattre ses acouphènes, à vaincre ses angoisses et à remonter sur scène. Il faut le voir sur scène enfermé dans sa forteresse de plexiglas à jouer comme si de rien n’était. Cette histoire me passionne tellement que j’en oublie à chaque fois l’essentiel, que Mission of Burma est avant tout un grand groupe, et ce pour une question de chansons et non de courage. C’est ça pour moi le message d’Unsound : on ne parle plus d’un groupe de survivants, on ne parle plus d’un groupe sur le retour. Non, devant nous se dresse maintenant un groupe qui incarne parfaitement la musique d’aujourd’hui aussi bien dans ses préoccupations mélodiques que dans ses expérimentations. C’est à cela qu’il faut s’attacher et à rien d’autre.
Cette puissance musicale que déploie Mission of Burma, elle est une fois de plus à chercher du côté de l’alternance à la composition de Roger Miller, Clint Conley et Peter Prescott. Pour un groupe qui a tant d’habitude de travail, qui utilise encore et encore les mêmes procédés – dans les grandes lignes, chaque membre écrit un tiers de l’album et voit les deux autres venir renforcer/compléter ses titres –, il est étonnant de constater combien chaque chanson porte en elle une remise en question et le souhait de ne pas se reposer sur ses lauriers. Mais, et c’est la force ultime du groupe, Mission of Burma a beau expérimenter, tenter de nouvelles choses, il ne cesse de ressembler à Mission of Burma et ce avec une cohérence à toute épreuve. Voilà le principal atout des gars de Boston : ils arrivent sans cesse à innover tout en restant à l’intérieur du cercle ; ils peuvent tenter tout ce qu’ils veulent tout en restant eux-mêmes.
Par exemple, lorsque Bob Weston (quatrième membre de choix) vient glisser sa trompette au sein de ADD in Unison et de What They Tell Me, c’est à la fois surprenant et évident. Et puis, il y a This is Hi Fi où les paroles ont été enregistrées sur le répondeur du téléphone de Bob Weston : Roger Miller l’a appelé et a braillé dans son téléphone comme s’il s’agissait d’un micro, puis le tout a été intégré à la chanson. Ainsi, alors qu’elle traite de la haute-fidélité, le son est volontairement flou, comme pour montrer que le Hi Fi n’est qu’une donnée relative, qu’il n’existe pas de son fidèle, qu’il n’existe que le son de ce qu’a voulu exprimer l’artiste, et que ce son n’a pas de vérité. C’est aussi une attaque contre ceux qui vivent comme un progrès technologique le fait d’écouter des chansons en MP3 via de petits écouteurs blancs.
Oui le groupe ne se repose pas sur ses acquis. Pourtant il ne s’agit pas de quelque-chose d’instinctif : cette capacité à ne se challenger, elle n’est pas innée (elle ne l’est pour personne), et c’est grâce à son exigence et à son esthétique post-punk que le groupe arrive à ne jamais faire du surplace. Ainsi, les premiers titres composés par Roger Miller et Peter Prescott étant trop dans la droite lignée de The Sound the Speed the Light , ils auront été mis à la poubelle. Nul doute qu’il s’agissait d’excellents titres, mais voilà le groupe va plus loin : il ne cherche pas à prolonger le mythe, comme The Fall par exemple, il cherche à le renouveler. C’est également pour cette raison que MoB ne joue jamais deux fois la même setlist en concert. Il faut que les choses vivent et qu’elles surprennent. Même lorsqu’il cherche à raviver au mot près le son du Mission of Burma des années 80, le groupe ne sombre jamais dans l’auto-parodie. Mieux il arrive à offrir un nouveau classique, comme un single qui aurait été prisonnier du temps (7’s). Tout concorde à sortir de sa zone de confort, les membres du groupe allant jusqu’à intervertir sur Unsound leurs instruments !
MoB continue de donner l’impression que chaque musicien joue une chanson différente. Le concept est connu, mais cela donne toujours l’impression que Mission of Burma repousse les formats de chansons encore plus loin. On ne sait ainsi jamais à quoi s’attendre, on ne sait jamais d’où viendra la mélodie ou le bruit. La seule chose qu’on sait, c’est qu’ils viendront ! Car quoiqu’il arrive MoB reste un groupe à la fois expérimental et hyper facile d’accès. Il y a toujours un truc dans les chansons qui attire l’oreille, quelque-chose de presque catchy.
Ainsi, Unsound est truffé de chansons à l’identité très marquée que l’on peut néanmoins attribuer de manière très sûre à leurs auteurs respectifs. Celles de Roger Miller sont les plus conceptuelles et les plus anguleuses (elles sont d’ailleurs souvent composées à la basse plutôt qu’à la guitare), celles de Clint Conley s’avèrent les plus mélodiques comme autant de single post-punk, tandis que celles de Peter Prescott ont tout du brûlot rock. Encore une fois tout cela crée à la fois diversité et équilibre. La complémentarité tout au long de l’album entre les voix de Miller et Conley ne peut que me rappeler la parfaite dualité qui existe au sein de Fugazi et de Hüsker Dü.
Il est difficile de faire du post-punk en 2012 : les combats ont de moins en moins lieu d’être, car la norme est de plus en plus floue. Il n’y a plus d’establishment contre lequel se dresser et si la médiocrité ambiante existe toujours, les sauveurs sont déjà bien trop nombreux. Et pourtant, fidèle à son esthétique post-punk, à cette envie de tout bousculer, tout en agissant de manière intelligente et résonnée, Mission of Burma continue de chercher des réponses.
>> Références :
– MISSION OF BURMA – INTERVIEW par Michael Cornin
– Mission of Burma’s Roger Miller Knows How to Save a Bad Show par Kory Grow