On a beaucoup lu que Koi No Yokan permettait à Deftones de retrouver son niveau de l’époque White Pony. C’est globalement faux. Si l’on cite White Pony, c’est avant tout parce que ce septième album lui ressemble énormément (c’est assez flagrant sur Rosemary) et non pas parce qu’il aurait la même portée artistique. Il y avait une rage et une mélancolie dans White Pony que le groupe ne retrouvera jamais. Cet album se fondait sur un duel idéologique où la violence pure et dure prônée par Stephen Carpenter s’opposait aux goûts pour les expérimentations atmosphériques de Chino Moreno, formant ainsi une tornade imprévisible qui nous tirait d’un extrême à l’autre – Elite vs Teenager – tout en laissant sous-entendre combien chaque chanson brillait aussi au travers des concessions que l’autre avait acceptées de faire. White Pony se construisait ainsi sur ses vides et sur ses pleins dévoilant un équilibre, brinquebalant sur le papier, mais évident dans le son. On ne retrouve rien de tout cela dans Koi No Yokan. S’il marche émotionnellement parlant sur les pas du troisième et meilleur album de Deftones, c’est avant tout pour une question de ton et de positionnement. L’état d’esprit derrière est tout autre.
Koi No Yokan est le second album réalisé par le Deftones “seconde génération” où Sergio Vega remplace toujours Chi Cheng. Diamond Eyes était lui le premier. Il s’agissait d’un album où le groupe faisait profil bas et se remettait doucement de l’accident qui a couté son intégrité physique à son bassiste. Ils confirmaient que l’envie et l’énergie étaient toujours là, tout en restant en retrait de leur propre disque ; question de décence et de respect pour leur compagnon. Néanmoins, malgré toute la retenue, malgré l’impression d’écouter un disque excessivement classique et sans prise de risque, on sentait que Deftones brulait encore de l’intérieur. Lorsqu’on découvre Koi No Yokan, la première chose qui marque, c’est l’assisse. Si Diamond Eyes avait été un exercice destiné à retrouver ses bases, ce septième album est lui excessivement solide et tourné vers l’avenir. Très à l’aise (trop diront certains), Deftones est en plein dans son élément et fait ce qu’il sait faire de meilleur sans jamais sortir de sa zone de confort. Musicalement, on est toujours séduit, mais toujours aussi peu surpris.
Là où se fait la différence, c’est justement sur l’esprit qui habite le groupe. On aurait pu le retrouver agressif comme impatient d’en découdre, ou au contraire abattu par la vie qui continue en laissant ses amis sur le bas-côté. Il n’en est rien. Deftones a relevé la tête et cette renaissance, cette fraicheur retrouvée, elle l’étonne lui-même au point de lui coller un sacré sourire sur le visage. Oui je crois que la raison pour laquelle Koi No Yokan ne peut pas être rangé à côté de White Pony, c’est la luminosité. Ce n’est pas un album de conflit, c’est un album d’unité ; à la limite on pourrait le voir comme le Yang de White Pony. Le groupe est lumineux, non pas dans le sens de brillant, mais avec l’idée que ces hommes sont à nouveau heureux, que la vie les a trainé dans la boue et qu’ils sont si reconnaissants d’être à nouveau au meilleur de leur forme qu’ils ne peuvent pas s’empêcher de sourire. Certes, on me dira que ça ne se joue pas à grand-chose, qu’on est dans la pure interprétation, mais à l’écoute de Poltergeist je ressens la joie et non la mélancolie. « So why wait to discover your dreams ? Now here’s your chance » entend-on sur Romantic Dreams, un préquel au « Your chance… Revolt, Resist ! » de Leathers.
Néanmoins être heureux d’avoir survécu, ce n’est pas la même chose que d’être heureux naïvement, et si le positivisme du groupe peut nuire à sa recherche de noirceur, elle ne déborde en rien sur sa quête d’émotions. Car si Koi No Yokan n’est pas ce qu’on prétend qu’il est, il reste néanmoins un très beau disque où les écarts et les manquements sont rares voire inexistants. Très uniforme dans son rendu, tout en proposant une étendu nuances sans cesse relevées (ou révélées selon le cas) par la voix de Moreno ou le synthé de Delgado, il complète habilement la discographie du groupe sans pour autant la remettre en question.