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Les bêtes du sud sauvage : faire face au monde adulte

Sortie le 12 décembre 2012. Durée : 1h32min

Par Alexandre Mathis, le 07-12-2012
Cinéma et Séries

Tout débute dans le feu d’artifice de la joie. Le bayou en fête invite le spectateur à le rejoindre dans un tourbillon de vie, où se croisent petits et grands, où la nature règne en maitre et où Hushpuppy nous présente son monde. Hushpuppy, c’est cette petite fille, bouille d’ange, crinière bouclée et voix délicieuse. Son innocence et son monde idéal auprès de son papa expriment son côté malicieux. Les bêtes du Sud Sauvage, évènement du dernier festival de Cannes d’où il récupéra la Caméra d’or (meilleur premier film), crie ses envies de lumière. Par l’épopée aussi joyeuse que déchirante de son héroïne, le réalisateur Benh Zeitlin offre le plus beau conte initiatique de ces dernières années. Il prend ce que le cinéma indépendant américain a de meilleur : le sens du récit, la passion du territoire, des personnages attachants. L’aventure vient à la communauté quand les éléments se déchainent. Un ouragan détruit un bout de Louisiane. A l’inverse de Take Shelter où la crainte de la tempête diluait la cellule familiale, Les bêtes du Sud sauvage opère un resserrement des liens quand le malheur frappe. D’ailleurs, Zeitlin ne s’apitoie jamais. Ses personnages avancent, conscients que c’est en gardant la tête hors de l’eau qu’on reprend son souffle.

En interview sur Accreds*, le réalisateur évoquait le souvenir de l’enfance par le fragment : « Dans mon souvenir, être enfant c’est voir le monde en détails. Les choses les plus petites semblent immenses. Je voulais vraiment que le point de vue soit celui de l’enfant. » Se justifie ici le seul petit reproche que l’on pourrait faire au film. Toute la dynamique du filmage pour les besoins du point de vue crée une sorte de chaos pas toujours lisible. La longue focale, récurrente, travaille en couple avec le grain de la pellicule pour offrir l’énergie terrassante de l’enfance. Le même processus traversait Glory at Sea, court-métrage faisant office de grand frère aux Bêtes du sud sauvage. La mémoire des disparus en mer contait en même temps une région, ne cachant pas le panthéisme du propos. Ici, exploration de l’extérieur rime avec recherche intérieure. Hushpuppy cherche à comprendre les adultes. Elle rugit pour défier son père, veut tout brûler, elle crie, chante, pêche, s’interroge sur le monde. Puis l’enfant reprend le dessus. Elle se cache sous un carton, elle demande une étreinte parentale, se demande qui peut bien être cette maman qu’elle ne connait pas.

Enivré d’une voix off (un brin mal jaugée), d’une bande-originale à tomber à la renverse et d’un foisonnement sonore de tous types, le film impose son rythme par l’ouïe. C’est un jeu de sens qui se dessine. Le bayou communique avec ses antipodes. La destruction du petit monde d’Hushpuppy se lie avec l’iceberg en délitement. Des aurochs se ruent à la rencontre de la féline petite fille. Il y a du Princesse Mononoke là-dedans. L’auroch, c’est à la fois la sauvagerie effrayante, la créature que craint tout enfant qui ne sait pas où il met les pieds ; mais c’est surtout la compassion de Mère Nature, son regard protecteur. Sa douce maman est pareille. Absente, elle surgit brièvement dans le récit comme l’évocation du besoin de grandir. Quand Hushpuppy sent que son univers s’écroule, c’est bien par la responsabilisation que passe le Salut.

L’autre élément qu’on ne peut ignorer : c’est l’eau. Elle a une ambivalence. Opaque et dangereuse, elle permet de voguer et de prendre de la hauteur. Il faut voir cette enfant, seule sur un coffre de Jeep en guise de bateau. La catastrophe devient un souci du cyclique. L’ouragan qui a déferlé une fois peut revenir l’année suivante. Les héros de Glory at sea voyaient la Louisiane après le cataclysme. Dans Les bêtes du sud sauvage, la tempête s’abat sur eux. Et pourtant, ils restent, un peu à l’instar de ces histoires de gens obstinés qu’on voit aux infos restant chez eux coûte que coûte. Le film n’élude pas la douleur. Mais celle-ci sert de porte-flambeau aux lendemains post-apocalyptiques. Tel Jésus marchant sur l’eau, Hushpuppy vogue en eaux troubles et façonne un monde plus beau. C’est au moment où elle croise le regard de sa mère que le déclic cartésien se fait. Après ça, elle peut faire face à l’auroch, donc à la nature, donc au monde adulte. Hushpuppy n’est plus une enfant. Il est d’ailleurs troublant de voir que la jeune actrice Quvenzhané Wallis a bien grandie depuis. Elle s’exprime comme une adulte, consciente de la communication des médias. Malgré tout, on prie pour qu’elle sache encore s’émerveiller des feux d’artifices.

*A lire sur Accreds : “Les bêtes du sud sauvage” parle du surgissement de la vie