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Certaines années sont musicalement plus importantes que d’autres, elles sont à marquer d’une pierre blanche parce qu’elles ont réussi l’incroyable exploit d’ouvrir des portes et de nouvelles perspectives musicales. Loin des clichés pop et du ronron musical habituel, des artistes osent encore expérimenter de nouveaux champs lexicaux. Il y a donc des années charnières et même des millésimes. 2006 fut ainsi l’une d’entre elles. La décennie était bien entamée et nous n’avons rien eu de bien consistant à écouter jusqu’à la sortie de The Drift de Scott Walker suivi quelques mois après du Ys de Joanna Newsom. Deux albums essentiels qui bousculèrent en quelques morceaux notre conception même de ce que peut être une musique dans le contexte fortement balisé qu’est devenu le rock ou la folk. Ces deux-là ont réussi à faire exploser un carcan qui devenait étouffant à force de repli sur soi. Ni pop, ni rock, leurs deux disques s’imposaient comme deux entités isolées mais prépondérantes dans un océan de médiocrité. Il y aurait un avant et un après 2006. On ne pensait pas que l’après arriverait aussi rapidement et en trois temps.

Ce rythme fut imposé par un seul homme : Michael Gira. En 2007, avec ses Angels of Light, il redéfinit à lui tout seul ce que pouvait être un post-punk engagé et abrasif. Lorsqu’il réactiva en 2010 les Swans, on découvrait avec bonheur que le groupe new-yorkais n’avait rien perdu de son amour pour le mouvement perpétuel. Cet essai fut largement transformé l’année dernière avec The Seer, album de l’année, écrasant la concurrence d’un magnifique bras d’honneur. A l’heure où certains commençaient à fourbir leurs pathétiques tops de fin d’année, déboula en fin d’année l’album de Scott Walker. Tout et (surtout) n’importe quoi a été dit sur Bish Bosch, la non-maîtrise de la langue anglaise par 99,9% des journaleux français paracheva le ridicule d’une critique qui ne sait plus quoi dire lorsqu’elle est en face d’un objet non identifié. Dès fois, il faut mieux se taire, l’album de Scott Walker échappant à toute logique littéraire, il sera compris dans quelques années, tout comme The Drift.

La boucle est bouclée, pourrait-on conclure. Pas vraiment, car même après une année marquée ainsi d’une pierre blanche, celle qui vient pourrait bien voir éclore ici et là des surprises, et des belles. Que peut-on donc espérer en 2013 en musique improvisée et expérimentale ?

Le changement attendra encore un peu

Depuis la mort de Peter “Sleazy” Christopherson en 2010, Coil semble de plus en plus saturer l’air ambiant. Les vieux camarades du groupe que sont les ex-Throbbling Gristle ou bien encore David Tibet et la jeune nouvelle garde représentée par James Blackshaw tissent de solides fils pour ne pas que Coil tombe un peu trop rapidement dans l’oubli. 2012 fut ainsi l’occasion pour David Tibet de mettre entre parenthèses Current 93 pour se consacrer au projet cinématographique qui rend hommage au groupe de Jhonn Balance et Sleazy. Il faudra donc s’attendre en 2013 et 2014 à d’inévitables rééditions, avec en point d’orgue le double anniversaire en 2014 pour fêter les 30 ans de Scatalogy et la mort de Jhonn Balance. Nul doute qu’on se penchera sur la modernité de ce premier album et quelques critiques tenteront de décortiquer l’oeuvre d’un groupe aussi majeure qu’indispensable.

Cette parenthèse mémorielle faite, il sera temps pour David Tibet de revenir en 2013 avec un Current 93 new look. A la tête d’une discographie pléthorique, nous pouvons nous questionner sur l’opportunité d’un nouvel album de Current 93. A vrai dire, même, il est fort probable qu’à moins de sortir un album de la trempe de “Black Ships Ate The Sky”, il sera difficile pour David Tibet de ne pas passer sous le radar. Homme de l’ombre, il aura certainement le coeur à y rester. Mais il est toujours temps pour un tel artiste de prendre du recul par rapport à la musique, sa musique. Il est triste de dire que nous n’attendons plus rien de Current 93. La faute à qui ? A trop de musique.

Musique noire, musique industrielle, musique minimaliste, expérimentations glitchiennes… Autechre est très loin de ces considérations Tibétaines. Après l’incroyable Oversteps, le nouvel album Exai est attendu d’un pied ferme, de ce côté-ci de Seattle. Que devons-nous attendre encore du duo anglais ? Qu’il continue à s’’aventurer sur les voies qu’il a ouvertes avec le mésestimé Quaristice ou bien à devenir de plus en plus accessible ? Le groupe aimant semer le trouble avant la sortie de chacun de ses albums, il est à parier que nous aurons la réponse que le 5 mars prochain. 2013 sera aussi l’occasion de scruter le retour probable aux affaires de Matmos. Leur dernier disque The Glantzer EP est passé un peu à la trappe des oubliettes, mais si un nouvel album est pressenti, alors nous aurions le droit à un joli choc entre les deux tenants de l’IDM et de la musique expérimentale.

En ce début d’année 2013, la très bonne surprise devrait venir du côté de la très sérieuse école de la musique spectrale. Le compositeur français Tristan Murail sera à l’honneur en avril prochain à New York pour la représentation de sa dernière oeuvre Le Désenchantement du Monde. Ce coup de projecteur sur un des courants musicaux les plus influents de la fin du XXème siècle mais encore inconnu du grand public devrait nous rappeler que la recherche sur le son musical n’est pas une vaine sinécure. Elle passe aussi par une certaine recherche fondamentale qui peut prendre la forme d’un concerto ou passer par le forme d’un grand ensemble. Tristan Murail est l’un des chefs de fil de la musique spectrale, il faut aimer décomposer les sons musicaux, s’approprier suffisamment les harmoniques pour se plonger dans son oeuvre aussi protéiforme que pléthorique. Si vous désirez donc vivre une expérience musicale inédite, soyez donc à New York mi-avril ou sinon découvrez  ou plongez dans l’oeuvre fascinante de Tristan Murail. Je fais le pari que sa pièce Vampyr! séduira bon nombre d’entre vous.

Finlande, terre des espoirs avant-gardistes

Avant-pop, avant-rock, je suis encore étonné qu’on n’ait pas encore tâté de l’avant-punk ou encore de l’avant-post-punk. Trêve de plaisanterie, depuis plusieurs années, je scrute avec attention la production musicale d’un petit pays du nord de l’Europe : la Finlande. Et s’il y a bien un pays qui est avant-tout, c’est bien le pays des rennes.

Loin de l’image d’Epinal que véhicule musicalement ce pays, on ne compte pas moins de dix-huit labels qui produisent chaque année autant d’albums déjantés, furieux et expérimentaux : krautrock, free-folk, musique électronique, ambient… Rien n’échappe aux musiciens finlandais.

Le plus connu des labels est certainement Fonal Records qui s’est imposé sur la scène européenne avec des artistes comme Islaja (découvert en France grâce à l’infatigable musicologue qu’est David Fenech), Lau Nau,  Paavoharju et Kemialliset Ystävät. Ce fabuleux label n’est pourtant pas en reste, puisque désormais je ferai un peu plus attention à Sähkö Recordings qui non content d’avoir produit les oeuvres de Panasonic, Jimi Tenor et Freestyle Man (tous finlandais dois-je le rappeler ?) s’occupe de plus en plus de la scène minimaliste finlandaise. Nous ferons donc particulièrement attention à Madteo, qui en décembre dernier, a sorti un des meilleurs albums du genre. Il est fort probable que cette année quelques EP du musicien sortent sur ce label.

Mais Fonal Record étant ce qu’il est, le label n’a jamais eu peur de lancer de jeunes artistes, mon attention se portera donc en 2013 sur un jeune surdoué de 7 ans, Eeliks:en. Veuillez jeter une oreille sur son Soundcloud et vous serez étonné de la maîtrise de ce jeune garçon. Au premier abord, on pourrait comparer ça à une certaine forme d’Art Brut mais in fine, les morceaux sont remarquablement bien construits. J’ai beau me dire que j’écoute la musique d’un enfant, chaque titre m’invite à entrer dans son univers fait de bric et de broc mais je me laisse à chaque fois volontairement piéger. J’ai tenté l’expérience sur mes enfants et ça fonctionne assez remarquablement. Comme quoi, nous n’avons pas à les nourrir essentiellement avec des comptines et autres misères musicales pour les éduquer.

En France, il y a la French Touch. En Finlande, lls ont le suomisaundi, sorte de trance psychédélique où se mêle une bonne dose d’auto-dérision à la tradition folklorique. Ce mouvement complètement libre sur le fond et la forme rencontre depuis quelques années plus qu’un succès d’estime. Son esprit festif invite les musiciens à se débarrasser d’un carcan qui devient en musique électronique de plus en plus rigide. La majorité des artistes de ce courant préférant s’exprimer sur le Net, il faut donc ne pas hésiter aller à la pêche aux informations et aux mp3. Il y a naturellement à boire et à manger. Mes préférences vont pour Mindex ou le désormais incontournable Luomuhappo. Ils sortent régulièrement des morceaux en mp3, en libre téléchargement. Il est probable qu’en 2013, on s’intéresse un peu plus à cette scène.

Le passé hantera toujours le présent, voire le futur

Imaginer la musique du futur revient aujourd’hui à imaginer un futur avec une puissante  potentialité musicale. Les expérimentations imaginées dans le passé deviennent aujourd’hui des obstacles pour des créateurs. Aujourd’hui, produire une musique ex-nihilo est devenue chose rare. Le poids du passé est tel qu’il est devenu pratiquement impossible pour un musicien d’en faire abstraction. Entre fétichisme et recyclage, le musique d’aujourd’hui est d’ores et déjà imprégnée par son propre futur, inscrit déjà dans le marbre avant même de naître. Sommes-nous dans une phase d’attente, un entre-deux où la musique cherche un nouveau souffle ? Comme il est difficile de prendre du recul, il serait tout de même intéressant de savoir si dans le passé, nous avons connu pareil no man’s land.

Aussi lorsqu’on regarde dans le rétroviseur, on sait d’avance ce que le futur nous réserve. Aimerions-nous voir le cadavre de Broadcast s’agiter encore un peu ? Il faudra faire avec puisque le 04 janvier sort le nouvel album, une bande originale de film. Hommage à peine déguisé au cinéma d’horreur italien, Broadcast continue le travail entrepris avec le Focus Group, à savoir distiller un rock psychédélique qui tient plus de l’observation systémique de ce genre dans les années 70 que d’une avancée musicale à part entière.

Et si le futur doit encore revêtir les atours d’un passé expérimental, il faudra certainement chercher ses traces dans les rééditions des pionniers de la musique électronique. L’année dernière nous avons eu le droit de redécouvrir, grâce à différents labels comme Young Americans, Trunk ou encore Faitiche, les oeuvres aussi essentielles que nécessaires de Daphne Oram, FC Judd ou Ursula Bogner * . La musique électronique porte en elle les germes d’une telle condition. Tout lui semble possible, elle provoque nos rares sens développés et comble parfois le vide auquel elle contribue. Est-elle pour autant expérimentale ou bien plus symboliquement porteuse d’une utopie qui ne se réalisera jamais ? Sommes-nous voués à un désespoir programmé, comme les personnages de J.G. Ballard qui bien que tournés vers le futur sont réduits à vivre leurs présents comme un fardeau ?

Toujours est-il que si le passé hante le futur, on aura à coeur d’écouter ce que les labels susnommés produiront, mais mes coups de coeur futurs iront certainement vers ce que nous prépare le label Spectrum Spools de John Elliott, d’Emeralds, véritable antre dédié à la musique électronique d’antan avec ce qui faut d’instruments vintages pour se sentir à l’aise.

Loin de toutes ces considérations, le présent pourrait se rappeler à notre bon souvenir. Car à force de rechercher le son inédit, on oublierait presque les sons communs, ces sons par trop familiers qui nous agacent ou que nous n’entendons même plus. En cette période de normalité affichée, le véritable défi de la musique contemporaine serait peut-être de se réapproprier les sons de notre quotidien et de les mettre en scène, à la manière de l’artiste japonaise Miki Yui. Une porte qui s’ouvre, un papier qu’on froisse, un verre qu’on pose sur une table, ce dialogue avec le quotidien me questionne. A faible volume, il invite à l’introspection et à la rêverie. Cette musique qui s’interdit toute nostalgie est peut-être le son de l’avenir.

*L’ami blogorom m’a soufflé dans l’oreillette qu’Ursula Bogner serait sans doute une invention de Jan Jelinek. Si ça se révèle être vrai, j’admire néanmoins le travail fourni sur le livret de 126 pages de Sonne=Blackbox, la logique du concept Ursula Bogner semble avoir été réellement poussée jusqu’au bout.