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Bilan BD 2012 – Au jour le jour

Par Anthony, le 17-01-2013
Littérature et BD

Certaines années sont empruntes de douleur et de tristesse, quand la mort de proches vient suspendre le temps qui passe. Pour ma part, 2012 est de celles-ci, trop souvent émaillée d’images de prénoms gravés sur des urnes ou du marbre. Renée, Florence, Louis, René… 4 enterrements et pas de mariage. Privilège de l’âge ?

Alors, à l’heure des bilans qui occupent les médias et les blogs, le regard porté sur ces 52 semaines passées se brouille, forcément perturbé par les événements personnels. Les textes, les dessins, les films, les musiques semblent peu de choses face à la réalité et pour autant peuvent se révèler indispensables pour mettre des mots là où ils sont difficiles à trouver, pour essayer de donner du sens aux deuils.

En avril, la bande dessinée des frères brésiliens Fabio Moon et Gabriel Bá, Daytripper, avait trouvé ces mots. Comme un présage.

Daytripper, sous-titré « Au jour le jour », parle de la fragilité de l’existence à travers les morts qu’aurait pu connaître son héros, Brás de Oliva Domingos, à des moments importants de sa vie.

Journaliste spécialisé dans les rubriques nécrologiques, Brás vit dans l’ombre d’un père écrivain célèbre, s’interroge sur le sens et le contenu qu’il donnera à sa vie, trouve l’amour, le laisse filer, en retrouve un autre, perd des proches, devient père… Accompagné dans les moments importants par Jorge, un ami insaisissable dont les conseils lui donneront parfois l’élan qui lui manque, Brás conduit son existence comme tout le monde, passant parfois à côté de l’essentiel, prenant des micro-décisions qui pourront se révéler décisives. Ou fatales. Car dans Daytripper, chacune de ces décisions, de ces tranches de vie, se conclut tragiquement, comme frappée d’un mauvais sort : Brás meurt.

9 fois.

C’est beaucoup. Improbable. Autant de morts qu’un chat a de vies (mais ça aussi, c’est des histoires, non ?).

Toutes ces morts surviennent pour illustrer le champ des possibles, les impénétrables voies du hasard, l’apparition de la fatalité au coin d’une rue, d’une plage, d’un couloir. Pourtant, chaque nouveau chapitre voit réapparaître une nouvelle tranche de vie de Brás, comme s’il ne s’était rien passé, rien d’autre qu’une menace permanente, celle de la fin de tout, entraperçue quelques pages auparavant… Comme un jeu vidéo qui nous ménage plusieurs vies, où chaque mort n’empêche pas de poursuivre l’aventure.

Moon et Bá se servent de cet artifice scénaristique finement dosé pour interroger sans mièvrerie ampoulée ni sentimentalisme dégoulinant ce qui constitue le fil précaire de la vie, ce qui nous permet de rester en équilibre dessus et ce qui en constitue finalement l’essentiel. Chaque minute vécue porte en elle le risque de s’interrompre, chaque minute pourrait être la dernière, quelle que soit son importance dans la trajectoire individuelle. Et si cette minute est fatale, il sera déjà trop tard pour se demander ce qu’on a fait de sa vie ou regretter ce qu’on n’en a pas fait…

Ce n’est pas une coïncidence : l’auteur de Trois Ombres et Portugal, Cyril Pedrosa, et celui de Blankets et Habibi,  Craig Thompson, signent respectivement la préface et la postface de cette BD, revendiquant cette filiation « ligne sensible » avec les frères Moon et Bá. Cette famille récemment apparue dans la BD qui ose s’attaquer aux choses de l’intime, avec modestie, tact et justesse, évitant la philosophie ronflante et moraliste.

Car l’exercice auquel se livrent Moon et Bá est périlleux et peut prêter aux ricanements. Ceux qui s’y attellent sombrent parfois – souvent – dans un propos bien-pensant et lacrymal, ambiance mauvaise chanson française à base de « Si on devait mourir demain » ou de Paolo-Coelherie de comptoir… Mais Bá et Moon ne sont ni démonstratifs ni pontifiants : ils constatent, à hauteur d’homme, glissant un regard bienveillant et lucide dans celui de leurs personnages.

Le 26 décembre, dans un train, j’ai relu Daytripper. Puis, 3 jours après, ma grand-mère est morte. Marre des présages…