ICI ET LÀ-BAS : aimer la vie quand même
Sortie le 13 février 2013 - durée : 1h50min
Il y a dans Ici et là-bas quelque chose qui rappelle le Près du feu d’Alejandro Fernandez Almendras. Cette façon d’observer la vie paisible d’un couple avec distance et pudeur, comme pour ne pas troubler l’ordre en place ; cette vision résignée d’une vie loin d’être parfaite mais dont il convient de saisir chaque instant précieux ; cette irruption de la maladie, qui appuie le propos sans tomber dans le mélodrame. Si le film d’Antonio Méndez Esparza reste indéniablement un cran en-dessous de son homologue chilien, c’est sans doute par un manque d’implication esthétique l’empêchant d’atteindre une certaine forme de grâce. Il n’empêche : lauréat du Grand Prix de la Semaine de la Critique 2012 remis par le jury de Bertrand Bonello, Aquí y Allá est un drame de grande qualité, qui dépasse rapidement ses promesses de gentille apologie de la vie de famille pour aller gratter avec tact là où ça fait mal.
Au départ, tout semble aller bien : après un séjour de quelques années aux États-Unis, où il a tenté de gagner sa croûte en travaillant dur, Pedro retourne dans son petit village de Guerrero et retrouve ses deux filles, qui ont bien grandi, et sa femme Teresa. Pour lui, le rêve américain s’est résumé à une poignée de beaux dollars qu’il compte bien mettre au service de la cellule familiale. Embellir l’ordinaire et tenter de monter son groupe : tels sont les deux objectifs de Pedro, qui tente à la fois d’être un bon citoyen, un bon mari et un bon père. Esparza filme d’abord les retrouvailles, heureuses mais pas idéales : désormais adolescentes, les filles de Pedro se sont affirmées et n’entendent pas faire preuve d’un enthousiasme démesuré devant le retour de ce père qui les a trop longtemps abandonnées. Mais la vie se remet en place, et le bien-être prédomine, dans une ambiance de vrai-faux feel good movie à base de chansons qui réchauffent et de repas qui resserrent les liens. On pourrait rester là longtemps, confortablement installé dans une chronique agréable mais pas candide, et c’est d’ailleurs sur cette impression de sécurité que joue le réalisateur non sans cruauté.
Au rythme des chapitres et des ellipses qui jalonnent le film, la nouvelle d’une troisième grossesse fait d’abord l’effet d’un joli feu de joie dans la famille de Teresa et Pedro. Un problème médical transformera le feu de joie en feu de paille et ce film presque insouciant en récit d’une inquiétude permanente. Soudain, c’est toute la précarité d’un pays qui nous saute au visage : hôpitaux sans médicaments, dons du sang onéreux à moins qu’on ne les effectue soi-même, misère qui attend les infortunés au tournant. Terrible image que celle de Pedro contraint de dormir sur un carton dans une rue située à proximité de l’hôpital, afin de ne pas dilapider le pactole pas si important qu’il avait constitué chez l’Oncle Sam…
Une fois encore, Antonio Méndez Esparza fait preuve d’un joli sens de la mesure, puisqu’il ne s’attarde qu’un temps sur les tristes péripéties hospitalières qui guettent ce couple uni. Sans multiplier les drames, Ici et là-bas passe par des hauts et des bas pour effectuer cette conclusion universelle mais pas si souvent abordée : cette vie dans laquelle le négatif prend trop souvent le pas sur le positif vaut pourtant la peine d’être vécue, parce que le bonheur que l’on distribue est plus important que celui que l’on reçoit. La suite du film ne sera faite que d’interrogations existentielles au sujet du sens à donner à des vies manquant de direction franche. Choisissant Pedro comme mentor parce qu’il n’a de toute façon pas d’autre adulte auquel se référer, un personnage à peine majeur lui soumet son dilemme : construire sa vie au Mexique avec celle qu’il commence à aimer, ou partir à son tour vers les USA afin de leur assurer un avenir meilleur. Les générations se suivent et se ressemblent : elles rêvent de mieux, d’ailleurs, mais se retrouvent souvent contraintes de reproduire le schéma suivi par leurs aînés, trop souvent déçus par des tentatives infructueuses d’améliorer les choses.
La fin du film, loin d’être neutre, va également dans ce sens : quelles que soient les décisions prises par les uns et les autres, la vie ne s’arrêtera pas de sitôt, les villages mexicains continueront d’exister, bercés par la musique locale, l’élan de la jeunesse et le souffle des traditions. Seules des révolutions pourraient remettre en question cet avenir commun, mais à quel point le Mexique a-t-il envie de se soulever, lui qui sait se satisfaire de ce qu’il a ? Le bilan dressé par Esparza n’est pas brillant mais il est clair : on ne va nulle part et c’est très bien comme ça, pourvu que l’existence nous laisse temps d’emmagasiner quelques instants précieux.