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Il nous avait prévenu, en novembre dernier dans une interview au NME : le nouvel album de My Bloody Valentine était prêt et ne décevrait pas les fans de Isn’t Anything… et ceux qui ne jurent que par Loveless.  A cette information, peu ont réellement réagi. Trop habitués aux annonces sans lendemain de Kevin Shields, nous restions accrochés tels des mollusques au rocher Loveless sans espérer véritablement une suite à cette oeuvre majeure. Cependant, la rumeur persistait : “oui oui le nouvel album est prêt !” et il serait suivi de quelques EPs, comme au bon vieux temps. Même à cette question devenue lancinante “quand ?”, le leader de My Bloody Valentine avait une réponse : d’ici fin décembre 2012, nous aurions un aperçu du nouvel album sur le site web. Autant dire que fin décembre, il n’y avait rien. Nous en étions donc à remettre My Bloody Valentine sur l’étagère des arlésiennes. Au bout d’un moment, même le fan le plus assidu décroche et va voir si l’herbe shoegaze est plus verte ailleurs.

Et puis, fin janvier, lors d’un concert, un nouveau morceau est joué et dans la foulée, Kevin Shields annonce que le nouvel album sera disponible d’ici deux ou trois jours, avec le nouveau site de My Bloody Valentine. L’annonce est cette fois-ci probante puisque le site web est complètement hors-service. On commence à y croire, je commence à y croire, posant ouvertement la question sur Twitter. Mais chat échaudé craint l’eau froide, la notion de temps semble chez My Bloody Valentine une notion vraiment très élastique. Après tout, nous avons bien attendu 21 ans sans râler plus que ça, si le nouvel album sort dans 20 ans, qui s’en préoccupera réellement ? Personne. Kevin Shields ne sera jamais David Bowie.

Il aura fallu donc attendre ce 3 février, pour enfin mettre une oreille sur ce qui sera l’événement musical majeur de ce mois de février. Et pour la première fois depuis longtemps, j’ai acheté la version digitale d’un album, sans avoir écouté préalablement sa version leakée. Une fois n’est pas coutume, je fais aveuglément confiance à la bande de Dublin (une histoire de confiance à la irlandaise), comme si les vingt et unes dernières années n’avaient pas réellement existé.

Il y aura donc désormais l’album rouge et l’album bleu de My Bloody Valentine ; et incidemment, ils n’ont pas à rougir de la comparaison avec leurs augustes prédécesseurs. J’ai acheté m.b.v et l’ai écouté dans la foulée ; je caresserai de mes doigts la nouvelle couverture fin février ; je poserai avec délicatesse le vinyle sur ma platine, en ayant bien écouté au préalable son grand frère Loveless. J’aurai ainsi l’impression d’avoir quitté la veille au soir une bande de vieux copains qui se sont amusés à créer cet album rouge en une nuit et à concevoir dans le calme d’un matin sa suite, un album bleu. Si entre temps, on vous dit qu’il aura fallu deux décennies à Shields et sa bande pour accoucher du troisième album, ne les croyez pas, ces gens-là mentent en allemand. Mettez-vous bien ça dans la tête, nous sommes le 05 novembre 1991 et vous écoutez la suite logique d’un grand album. 2013, c’est dans 21 ans, autant dire une éternité.

Et si vous avez les oreilles pleines de la furia de Loveless, m.b.v vous réconciliera avec une certaine idée de ce que furent les meilleures productions de la dream pop. m.b.v n’est pas un disque qui marque un grand tournant musical dans la carrière du groupe ; la seule évolution notable par rapport à Loveless est que pour la première fois les voix ne se cachent pas derrière un mur du son et nous distinguons les différents instruments. Pour ceux et celles qui doutaient encore que My Bloody Valentine était bien un groupe avec basse, batterie et clavier, on comprend rapidement avec ce nouvel album quelle est toute la dimension instrumentale du groupe. Basse, guitare, batterie, voix… Un album aussi équilibré ne peut être l’oeuvre de My Bloody Valentine. On attend le dérapage, le morceau qui nous fait basculer la tête en avant après une méchante poussée dans le dos, le méchant croche-pied qui nous met à genoux et nous égratigne la peau. On cherche, on réécoute… En vain. La nuit a fait son oeuvre, m.b.v est l’album d’un groupe presque apaisé… Enfin presque, parce que derrière ce calme apparent, lorsqu’on égratigne un peu la surface, le mur du son gronde, rugit, prêt à nous sauter à la gorge si on le titille un peu trop près. Sur Loveless, on secouait la tête ou on dansait ; sur m.b.v, on chante et c’est peut-être la très grande nouveauté. Oui, on chante sur le sublime  Is this and yes et le tubesque New You ; on sifflote sur She found now and If I am. My Bloody Valentine serait donc un vrai groupe de pop, avec des mélodies léchées ?  Surprenant ? Pas tant que ça, car Kevin Shields, tapi dans un coin, sait glisser sous le pied de l’auditeur la peau de banane sonore qu’il faut.

Vous rêviez d’un Loveless bis ? Vous devrez vous contenter des deux derniers morceaux dont l’hallucinant Wonder 2, pièce à écouter sous hallucinogène, baffles à fond, qui nous rassure tous sur la capacité de Kevin Shields à se réinventer dans ce qu’il sait faire de mieux : le bruit mélodique. Il aura fallu vingt ans à My Bloody Valentine pour entrer de plein pieds dans le 21ème siècle, espérons qu’il ne faille pas attendre deux décennies de plus pour écouter leur quatrième album.