Assassin’s Creed 4 – Black Flag : Auto sabotage ?
Quelques mots suite aux annonces relatives à Assassin’s Creed 4 qui ont été faîtes le 04 mars 2013 par Ubisoft.
>> Attention ce texte dévoile des éléments de l’intrigue de la série.
Assassin’s Creed 3 poursuivait de manière cohérente le travail entamé avec les quatre précédents épisodes tout en complexifiant les relations entre les deux forces en jeu : les Assassins et les Templiers. L’aventure débutait sur un tour de force : Assassin’s Creed 3 faisait croire à Desmond (et donc au joueur) qu’il était en train d’incarner un assassin (soit ce que la série a défini jusqu’alors comme le clan des gentils). Lorsqu’au bout de quelques heures de jeu, le joueur réalisait qu’il jouait en réalité un templier – Haytham Kenway –, il se retrouvait à exprimer de manière synchrone avec Desmond sa stupéfaction. Ce mécanisme rappelait intelligemment le lien qui unissait le joueur avec Desmond, le personnage qui dans le monde contemporain plonge à chaque épisode dans l’Animus pour revivre avec nous la mémoire de ses ancêtres. Il soulevait aussi une question importante : toute l’histoire n’ayant été vécu jusqu’à maintenant qu’au travers des souvenirs d’assassins, le joueur était-il en mesure de recul critique ? Car cette stupéfaction soulignait justement cette confiance aveugle du joueur en l’idée qu’on lui fait toujours spontanément incarner le gentil héros. Ce retournement de situation lui prouvait d’abord qu’il ne s’était posé aucune question, ensuite que la séparation entre le bien et le mal n’est parfois qu’une question de définition originelle.
La partie centrale où l’on incarnait Connor, le fils assassin du templier Haytham Kenway accentuait cette idée. Auparavant les templiers étaient associés aux notions d’ordre et de pouvoir, deux mots qui évoquent dans l’inconscient collectif, sans que l’on ait besoin de s’en expliquer, la mégalomanie, l’arrogance et le mépris du peuple. Les assassins, portés par les valeurs du libre arbitre et de la liberté, véhiculaient de quoi rendre le jeu suffisamment manichéen pour que l’on ne remette pas en question la nécessité des assassinats. Or dans Assassin’s Creed 3, les mises à mort n’étaient pas suivies par le repentir des templiers, mais par des arguments qui laissaient sous-entendre que c’est Connor qui était dans l’erreur, et que si leurs méthodes étaient différentes, leurs objectifs étaient eux les mêmes. L’ordre, auquel on aurait retiré les velléités de pouvoir, apparaissait non pas comme la voie qu’il faut suivre, mais comme une voie que l’on peut à minima essayer de comprendre, comme une voie qui méritait le débat, même si l’on camperait in finé sur ses positions. Du coup, la légitimité de la mise à mort était souvent remise en question, au point que le parricide de Connor imposé par le scénario était réalisé comme une action à contre-cœur.
Parallèlement à ces questionnements, Assassin’s Creed 3intérrogeait toujours son histoire. La guerre entre Assassins et Templiers aurait-elle pu prendre une autre tournure ? Qu’y a-t-il à retirer de l’histoire de nos ancêtres ? Desmond ne reproduisait-il pas justement les mêmes erreurs ? Alors que les passages dans l’Animus faisaient preuve de cohérence, tissaient des liens avec l’Histoire et s’inscrivaient dans une certaine « normalité » scénaristique, les scènes contemporaines, par opposition, se plaçait du côté d’un gloubi-boulga mystico-new age à base de fin du monde et de prophéties incompréhensible, l’idée étant que le passé écrit et immuable entrait en résonnance avec ce présent mouvant et peu lisible. L’opposition fonctionnait parfaitement : les Assassins et les Templiers d’un côté, Junon et Minerve de l’autre.
Pour conclure, Assassin’s Creed 3 marquait pour moi le début d’un nouveau cycle à la hauteur du triptyque Assassin’s Creed 2 / Brotherhood / Revelations. Car, indépendamment de ce qu’il arrive à Desmond à la fin de l’épisode – sa supposée mort –, beaucoup de questions restaient en suspens et notamment comment un templier s’était-il retrouvé au milieu du lignée d’assassins. Qui plus est, l’enseignement de Desmond devant déboucher sur le mythe de l’assassin moderne, tout semblait parfaitement s’articuler, et l’annonce que le prochain Assassin’s Creed tournerait autour du pirate Edward Kenway, père d’Haytham et grand père de Connor, confirmait cette impression.
La première chose qui m’a chagriné est qu’on parle d’un Assassin’s Creed 4 et non d’un 3.2, comme cela avait été le cas pour Brotherhood. Initialement, je me suis dit qu’il ne s’agissait que d’un artifice commercial et que Bortherhood et Revelations avaient dû souffrir de leur aspect add-on (ceux qu’ils n’étaient définitivement pas). Et puis ce lundi 4 mars, comme prévu depuis quelques temps, Ubisoft a dévoilé au sein d’une grande messe journalistico-petits fours les premières grandes lignes d’Assassin’s Creed 4 : Black Flag. Et depuis les premières previews me laissent pantois. Au travers de ce qui ressemble souvent à des reformulations bienveillantes d’un communiqué de presse, on nous explique qu’Assassin’s Creed 4 inaugure du meilleur parce qu’il y aura : des assassins-pirates, un open world qui ne souffrira d’aucun temps de chargement, des séquences d’abordages super réussies (personne n’y a encore joué hein, mais je dis ça pour chipoter), un univers historique comme toujours soigné, et enfin un personnage principal aux contours escarpés… Jusque-là, il y a effectivement de quoi se réjouir.
Non le problème d’Assassin’s Creed 4 est ailleurs, et tout ce que nous venons d’évoqué n’est au fond que du détail, du décorum (et c’est pourtant malheureusement la seule chose qui semble intéresser les médias). Ce qui compte avec Assassin’s Creed, c’est de continuer de mener à bien son projet, de paralléliser le passé et sa métahistoire, de devenir cette grande fresque à laquelle chaque épisode a jusque-là contribué. Et voilà, au milieu des nouveautés, on apprend que Desmond ne reviendra pas dans Assassin’s Creed 4 et que les événements dans le présent seront incarnés par le joueur lui-même, sous l’argument que la meta-histoire a rejoint notre temps (hum, et so what a-t-on envie de répondre ; sans parler de notre surprise d’apprendre que finalement n’importe qui peut revivre la vie des ancêtres de Desmond). Deux réactions sont possibles : on peut soit trouver cette décision ambitieuse et compter sur Ubisoft pour qu’il y ait là une raison conceptuelle et une réflexion sur l’implication du joueur, non plus au travers d’un avatar, soit se dire que cette décision est à même de foutre en l’air tout ce qu’Assassin’s Creed avait précédemment construit.
Parce que ce qu’on lit en filigrane ici, et manifestement Ubisoft ne s’en cache pas, c’est que cette volonté de sortir Desmond (et du coup probablement la Première Civilisation) de l’histoire a pour but essentiel de simplifier le scénario de la saga qui commençait à rendre la prise en cours de route difficile. Cette décision m’en rappelle une autre : en 2005, avec sa quatrième saison, la série Alias (qui avait jusque-là tenu toutes ses promesses) change de cap. Son scénario et sa métahistoire, jugés trop complexes, auraient rebuté les nouveaux spectateurs à se lancer dans la série, et il avait alors s’agit de retransformer Alias en une simple série d’espionnage, en mettant en retrait toute la mythologie autour de Rambaldi. Conclusion : Alias perdit pas mal de ses spectateurs sans en gagner de nouveaux, pour finalement peiner à redresser la barre tout au long d’une saison 5 dénuée de moyens. S’il n’y a aucun risque que la même chose arrive à la série Assassin’s Creed – le divertissement compte malheureusement encore plus que l’œuvre globale – cela pose néanmoins des questions : si Ubisoft considère que sa trame générale n’est qu’un détail et que le jeu en lui-même est toujours au cœur du débat, pourquoi alors tant s’inquiéter du fait que les nouveaux joueurs s’y retrouveraient perdus ?
Peut-être que je suis en train de faire un procès qui n’a pas lieu d’être. Peut-être que l’avenir me donnera tort. Peut-être qu’il est stupide de critiquer une œuvre dont seule quelques éléments ont filtré. Peut-être que je devais être bien naïf pour croire en l’exigence artistique d’Ubisoft. Certes. Mais ce qui m’inquiète néanmoins c’est l’absence de levée de bouclier qu’a provoqué cette annonce (du moins au moment où j’écris ces lignes) au sein des médias JV, comme si la question de l’histoire globale d’Assassin’s Creed n’était qu’un détail, un ornement et que ce n’était pas grave si on délaissait toute cette partie afin de simplifier l’histoire et de la rendre plus commerciale. Qu’on en soit encore là après tout ce que les auteurs / scénaristes / producteurs de jeux ont fait pour que leurs créations soient reconnus comme des œuvres m’interpelle. Malgré tout ça, en 2013, on s’intéresse donc toujours plus à savoir si le personnage pourra nager sous l’eau qu’à l’ambition du scénario…