PS’Playlist juin 2013
Les PS'Playlist sont des playlist mensuelles où chaque membre de Playlist Society propose un morceau, récent ou ancien, qui l'a marqué ces dernières semaines. Chaque chanson de la tracklist est accompagnée de quelques mots.
1) Kanye West – “Hold My Liquor” (Dom Tr)
Extrait de Yeezus – 2013 – Rap
Une pépite qui brille d’un noir profond, dissimulée dans les replis d’un disque encore mal compris. Un Chief Keef maladroit, au refrain dans un rôle inattendu, plus touchant que jamais. Une nouvelle fêlure dans l’armure égotiste du plus grand artiste pop de ces dernières années qui se termine dans l’embrasement de la guitare de Mike Dean, portant ‘Hold My Liquor’ vers des sommets émotionnels d’une troublante beauté.
2) Cibo Matto – “Sci-Fi Wasabi” (Isabelle Chelley)
Extrait de Stereo * Type A – 1999 – hip hop
Deux Japonaises installées à New York, des expérimentations bricolo, de la pop croisée d’une foultitude d’influences issues de leurs deux cultures, beaucoup d’humour et de poésie farfelue, cela donne un groupe culte, injustement méconnu au bataillon. Ce morceau-là est un régal, avec son hip hop au flot robotico-girly, ses paroles mi-Engrish (anglais nipponisé), mi-geekish. Et dans la foulée, le reste de l’œuvre du tandem – trois albums – est indispensable.
3) King Midas Sound – “Aroo” (Dominique K)
Extrait de “Aroo” / 2013 / Ambient
On murmure que le King Midas Sound serait né d’une coïncidence heureuse entre un accident survenu lors d’une fête et la spirale infernale d’une banqueroute de l’industrie musicale. Entre primitivisme hédoniste et modernité affichée, le trio emmené par le génial Kevin Martin pousse avec Aroo un cri toxique qui relève à la fois de la dance music et du rituel païen. Ne vous étonnez donc pas si, au beau milieu de nulle part, le Aroo mood se manifeste bruyamment.
4) The Flaming Lips – “Riding To Work In The Year 2025” (CGA)
Extrait de Zaireeka – 1997 – Rock psychédélique
Wayne Coyne, Grande Halle de la Villette, 24 mai 2013 : “On devrait inventer une drogue qui ferait qu’on se réveillerait chaque matin en ayant l’impression de vivre le meilleur jour de sa vie”. Moi, intérieurement : “Ouais. Faites vite, ça urge”. À défaut j’écoute ça en allant au bureau, ça marche pas mal.
5) King Creosote – “Ankle Shackles” (Marc)
Extrait de That Might Well Be It, Darling – 2013 – Pop épique
Parce que ce très prolifique Ecossais ne sacrifie jamais la qualité à la quantité. Parce qu’on a adoré le Diamond Mine avec Jon Hopkins il y a deux ans. Parce que This Might As Well Be It, Darling est déjà un de mes albums de l’année. Parce qu’Ankle Shackles est un de ces longs morceaux qu’on espérerait infinis. Et puis surtout parce que c’est un des derniers conseils d’un ami disparu.
6) Beck – “Modern Guilt” (Catnatt)
Extrait de Modern Guilt – 2008 – Pop
J’adore Beck même si parfois, il s’égare. J’adore son côté branleur et nonchalant, j’en suis jalouse ; je suis tout sauf cool. Quand j’avais 16 ans, pour me chambrer gentiment, mes potes m’avaient surnommés Fonzie, c’est peut-être de là que vient mon faible pour les branleurs chanteurs. J’ai choisi “Modern Guilt” parce que lorsqu’il fredonne à la fin, ça me donne l’illusion de l’être, cool avec tout de même le sentiment qu’une tragédie se noue en arrière-plan. Et surtout parce qu’elle ressemble à tous ces amis qui chutent autour de moi en ce moment. Tant de peur et tant de blocages…Cette satanée culpabilité moderne qui nous étouffe.
7) Roxy Music – “Love is the drug” (Ulrich)
Extrait de “Siren” / 1975 / Lovely pop song
Love is the drug, got a hook on me. Pour la basse de John Gustafson qui aura influencé toute une génération de musiciens, pour l’intro qu’Andy MacKay imagina, pour les paroles de Bryan Ferry, pour Siren qui marque la fin du Roxy Music génial, pour Roxy Music qui fut un groupe énorme et parce que je ne suis qu’amour.
8) Todd Terje – “Strandbar (Disko)” (Jean-Sébastien Zanchi)
Extrait de Strandbar – 2013 – House
Il y a toujours un morceau comme ça. Un morceau sur lequel tu tombes juste avant l’été et dont tu sais très bien qu’il sera la bande son de tes vacances. Ce titre de Todd Terje fait partie de ceux-là. Il sent bon la plage, les pieds dans le sable, le soleil couchant, le verre de rosé à la main et les jolies filles qui dansent. La descente de la rentrée risque d’être rude.
9) Future Bible Heroes – “Let’s Go To Sleep (And Never Come Back)” (Thierry Chatain)
Extrait de “Partygoing” / 2013 / Electropop dépressif
Stephin Merritt, songwriter engagé ? Peut-être pas. Mais témoin de son époque, assurément. S’il ne fallait retenir qu’une chanson comme reflet du déclassement des classes moyennes, de la crise des sub-primes à l’effondrement grec, ce pourrait être cette ballade chatoyante digne des premiers Soft Cell et chantée par sa fidèle complice Claudia Golson. Le dernier slow avant le grand sommeil d’un couple toujours amoureux, mais frappé de plein fouet par la crise (“Plus les moyens pour les enfants, plus les moyens pour le loyer… Où est-ce que ça a déraillé ?”). Glaçant.
10) Low – “So Blue” (Benjamin Fogel)
Extrait de The Invisible Way – 2013 – Indie Rock
Avec Low, c’est toujours quitte ou double ; un coup ça passe (le nouvel album), un coup ça passe pas (C’mon). C’est toujours la même histoire : je crois que cette fois c’en est fini, que le groupe n’a plus rien à dire, et puis un nouvel album lumineux sort, précédent ainsi également une déception future. Ça doit être lié au songwriting de Alan Sparhawk, parce que je ressens exactement la même chose avec Retribution Gospel Choir, son projet parallèle. En tout cas, alors qu’il est sorti depuis plusieurs mois maintenant, The Invisible Way continue de tourner pas mal chez moi. C’est un bel album où les rôles sont équitablement répartis entre chaque membre du trio. So Blue me touche particulièrement, elle porte en elle une énergie proche du gospel et surprend avec peu de moyens.
11) Simon & Garfunkel – “Sound of Silence” (Alexandre Mathis)
Extrait de “Sound of Silence” / 1964 / Rock
C’est bien la première fois que je remercie une pub d’utiliser un beau morceau. Le mega-tube de Simon & Garfunkel n’a rien perdu de sa force. Il fait partie du club très sélect des “tubes FM géniaux fait par des artistes qui savent faire bien plus que ça” en compagnie Losing My Religion et Stairway to Heaven.
12) Bobbie Gentry – “Chickasaw county child” (Arbobo)
Extrait de “Ode to Billie Joe” / 1967 / Pop sudiste
Tu sens cette bise légère qui porte vers toi l’odeur du foin fraichement coupé, à laquelle se mêle le parfum un peu frit de la soul food du quartier. Dès son premier album Bobbie Gentry réussit le coup parfait. Elle chante avec une fausse légèreté la réclusion polie des adolescentes du vieux sud d’avant 1968, et laisse trainer son chant paisible comme une vieille conteuse rouée. Ecoute… écoute, c’est l’été!
13) The Animals – “Inside Looking Out” (Olivier Ravard)
Single – 1966 – Rock
Eric Burdon et ses Animals sont restés dans l’Histoire pour avoir repris “The House of the Rising Sun”, lénifiante ballade folk au pathos appuyé, restée dans l’Histoire pour avoir été reprise sous le titre “Le Pénitencier” par Jean-Philippe Smet, resté dans l’Histoire pour avoir adapté trop de morceaux en français. Il est donc heureux que Jean-Philippe Smet ne se soit pas entiché de cet “Inside Looking Out” que son parolier d’alors aurait renommé “Elle est belle ma chérie”, “Ma psychose” ou “Complainte pour un revolté”. Ce n’est évidemment pas arrivé. “Inside Looking Out” reste une épatante chanson dotée d’une forte teneur en tension nerveuse et en neurones qui giclent.
14) Queens of the stone age – “I Appear Missing” (Anthony)
Extrait de “.. Like Clockwork” / 2013 / rock de fer dans un gant de velours
En wikipédiant Queens of the Stone Age, je découvre l’explication de Josh Homme sur l’origine du nom du groupe comme reflétant un “rock suffisamment lourd pour les garçons et assez doux pour les filles”. CQFD : “I Appear Missing” est un très grand morceau bisexuel.
15) Morrissey – “Life is a Pigsty” (Axel Cadieux)
Extrait de Ringleader of the Tormentors – 2006 – Rock/indie pop
L’album Ringleader of the Tormentors et son morceau phare Life is a Pigsty me feraient presque préférer la carrière solo de Morrissey aux Smiths. J’adore sa montée en puissance, son lyrisme, l’émotion renfermée qu’elle dégage.
16) Colin Chloé – “Le Vin de l’Assassin” (Thomas Messias)
Extrait de “Appeaux” / 2010 / chanson française
J’avais découvert Colin Chloé sur une compil CQFD, avec une autre version de cette mise en musique d’un poème de Baudelaire. Un brin misogyne (“ma femme est morte, je suis libre”) et salement alcoolisé, le titre n’est pas tout à fait représentatif du bel univers de l’auteur, mais sa belle orchestration ne cesse de me ravir le coeur. Retombé dans l’album Appeaux, qui l’impose en cousin minimaliste et modeste de Bashung et Miossec, je ferai de ce morceau le point névralgique de la playlist qui m’accompagnera tout l’été.
17) James Holden – “Sky Burial” (Nathan Fournier)
Extrait de The Inheritors – 2013 – Post-Trance
James Holden vient de changer de statut. Il n’est plus ce petit branleur qui aimait les relents acides d’une soirée Trance, les sons synthétiques et les couleurs vives. Avec The Inheritors, il devient celui qui a su dépasser ses velléités molles pour atteindre un son, une cohérence et une densité qu’on ne lui connaissait pas avant. Sky Burial et ses orgues, ses boucles lancinantes enterrent The Sky Was Pink. La Trance s’efface au profit de la transe.