Witxes, la fabrique des mythes
Dom Tr : Tu peux me raconter le rapport à l’ésotérique et au mystique que l’on retrouve de manière très prononcée dans tes disques, depuis la musique jusqu’aux titres des morceaux ? Une forme de passion pour ces thèmes ?
Witxes : Je ne sais pas si c’est vraiment une passion, plutôt une attirance, je dirais. Une attirance pour des choses qui nous échappent un peu et pour cette habitude que l’Homme a de créer des religions, créer la magie. Impossible de savoir si c’est réel ou non et quelle est la part de vrai dans tout ça. Mais c’est ce qui m’attire. De par le style de musique que je fais, je trouve que les titres sont importants pour l’auditeur et pour moi. Très vite, je sais comment je vais travailler les choses en partant d’une idée de titre qui me guide sur ce que je vais avoir envie de dire. C’est important pour moi.
Effectivement, les mots sont importants et même parfois au centre de la musique que tu proposes.
C’est pour ça que je prends du temps à les travailler. Pour moi il n’y a pas une façon de créer de la musique. Il y a des musiques qui peuvent s’écouter sans contexte, la musique parle d’elle-même. Mais je n’ai pas la prétention de penser que ce soit le cas pour ma musique. Et c’est pour ça aussi que l’on retrouve tout cet aspect ésotérique qui apporte une forme de densité à ce que je fais.
Le titre de ton premier LP « Sorcery / Geography » est très parlant d’ailleurs, quand on évoque le mystique chez Witxes. Ton nouveau LP « A Fabric Of Beliefs » rejoint aussi cet univers-là, quelque part.
Oui, ce nouvel album se situe davantage sur le terrain de la croyance tout en étant voisin du premier : comment les différentes croyances que l’on a peuvent s’interconnecter tout en étant contraires… ? Je me représentais ça vraiment via cette idée du tissu, « fabric », quelque chose qui se tisse, se croise, se plie, tu vois, en fonction d’une religion, d’une croyance en une société. On a tous des croyances en nous qui s’annulent, se complètent, fondées sur du réel ou complètement mystiques. On est tous fait de ce mélange un peu hasardeux.
On retrouve ça dans ta musique, ces allers retours entre le réel et le rêve d’ailleurs, c’est assez marquant. En allant plus loin, tu as aussi toute une dimension sur le mensonge, l’illusion…
Oui, ça complète ce que je disais : où s’arrête le mensonge, les croyances, ce en quoi on croit pour se rassurer. Ces mythes auxquels on se raccroche pour se protéger, parfois jusque dans le mensonge. Tout ça est interconnecté, c’est un peu le bordel mais on vit tous un peu comme ça. On se rattache tous à notre propre mythologie. Et c’est ce que j’ai voulu aussi mettre dans le disque.
C’est pour ça que l’on retrouve ce côté « construction » dans ta musique, qui va chercher des éléments un peu partout pour aboutir à un nouvel édifice. C’est l’impression que j’ai eue en écoutant « Sorcery / Geography », j’avais été frappé par ce côté très personnel qui te fait assembler un tas d’influences musicales différentes. Ce qui fait qu’aujourd’hui c’est un peu compliqué de parler de ta musique sans la faire écouter, de dépasser les étiquettes. Beaucoup de gens dans les papiers qui sont parus rattachent ça au drone ou à l’ambient mais c’est une vérité partielle.
Oui, je ne me retrouve pas forcément là-dedans. Mais je comprends, je me rapproche de certains groupes de musiciens et d’artistes mais à la base, quand j’ai commencé cette musique là, je ne me suis pas dit « je fais faire du drone, ou de l’ambient ». J’étais arrivé à un point où j’avais plusieurs groupes puis je n’en ai plus eu du tout. J’ai voulu continuer de faire quelque chose pour moi-même et c’est ce qui est apparu. Ca n’est pas totalement maîtrisé. J’ai été attiré par cette musique.
Ta musique tu la vois comme l’aboutissement de plein d’expériences passées, jusqu’au moment où tu t’es dit que tu allais mettre tout ça ensemble pour voir ce que ça donnerait ?
Maintenant oui, à force de faire des choses, on rentre dans une voie, celle qui nous correspond. Mais la première fois où j’ai enregistré des choses, c’était aléatoire. Aujourd’hui, à force de travail, on a l’impression que je creuse une voie. Mais je ne l’ai pas choisie particulièrement à la base, elle est arrivée sans que ce soit forcément calculé. J’ai fait pas mal de trucs différents, de la pop, du post-hardcore, pas mal de folk… Ma musique est autant nourrie par ces expériences là que par la véritable boulimie que j’aie de musique en général.
Ah oui ? Tu écoutes beaucoup de trucs ?
Énormément. Un peu moins maintenant qu’à une certaine époque mais ça a toujours été mon truc. A une époque, s’il fallait choisir entre être un auditeur et faire de la musique, à un moment j’aurais choisi d’être un auditeur. Pour moi c’est vital. C’est tellement riche. J’entends tellement de gens dire « il n’y a plus rien de bien etc. ». Mais moi c’est tout à fait l’inverse : je n’ai pas le temps d’écouter tout ce que je voudrais. Creuser.
C’est rare de la part d’un musicien qui enregistre régulièrement ou qui fait des tournées de temps en temps de dire ce genre de choses. Ils donnent souvent plutôt l’impression d’avoir plus de choses à découvrir d’eux-mêmes dans leur propre musique que dans celle des autres.
Pour moi, la musique que je fais je n’ai pas la prétention de dire qu’elle vient de nulle part. C’est clair que c’est entièrement nourri par cette envie de toujours écouter des choses nouvelles.
C’est pour ça que l’on retrouve souvent dans la musique que tu fais une envie d’aller au-delà de ces étiquettes ? Limite tu pourrais dire « je fais de la pop, pour moi c’est pareil, c’est ma forme de pop à moi, mon style, mon mélange à moi ». Ce qui n’est pas complètement faux quand on écoute « A Fabric Of Beliefs » par exemple, on voit bien comment tu déplaces le curseur.
Tout à fait, oui. Je n’ai pas envie de m’embêter à me dire « est-ce que ça va plaire ? », je ne me pose pas la question quand je mets une voix si je vais faire fuir les gens qui écoutent du drone, par exemple. C’est pas comme ça que je résonne .
L’avantage c’est que tu arrives tout de même à tisser de véritables liens entre les genres. Tu le travailles ça, c’est un objectif ?
Oui tout à fait, d’avoir quelque chose qui me ressemble tout en ayant la liberté de naviguer entre des styles qui me parlent, qui me paraissent cohérents, qu’on ne rapproche d’habitude pas alors qu’ils vivent très bien ensemble.
Pourtant ça n’est pas un exercice si simple qu’on peut le penser. Il y a des déplacements de zone musicale assez larges sur tes disques. Comme dans un film : tu as les mêmes acteurs, le même réalisateur mais tu changes de scène et tu racontes autre chose.
C’est ce que je recherche, en tout cas. C’est le côté narration de ce que je fais, j’aime bien raconter une histoire. L’idée est d’avoir un fil directeur et puis les gens recréent ensuite ce qu’ils veulent. Moi je le propose d’une certaine façon mais libre à chacun d’interpréter. Je garde en tête l’idée fixe qu’il se passe quelque chose de cohérent dans ce que je fais.
On le ressent beaucoup cet aspect narration. Notamment avec le morceau dont tu as fait une signature dans tes disques, ces morceaux avec ta voix, où tu chantes. On a l’impression d’un épilogue d’un film ou d’un livre avec un narrateur qui te raconte ce que tu n’entends pas en musique, ce qu’il s’est passé après… Au-delà de la narration, tout ça me donne l’impression d’un chemin initiatique qui est recherché dans ta musique, un schéma classique de narration mais très palpable chez toi.
C’est vraiment une histoire, oui. Et je voudrais que chacun se la réapproprie à sa manière. De mon côté, avec ces deux morceaux à paroles par exemple, je les pense assez précis mais aussi assez larges dans leur contenu, leurs paroles, pour ne pas être trop intrusifs dans l’interprétation. J’évoque sans trop en dire, après c’est à chacun de s’imaginer ce qu’il y a autour. Une sorte de résumé des aventures. Sur ce deuxième LP, pour être franc j’ai un peu hésité à reprendre la formule, ça faisait un peu trop cliché, mais en même temps c’est venu un peu naturellement, en travaillant sur le dernier bloc du disque. J’ai trouvé que ça fonctionnait bien mais ça n’est pas dit que je conserve ça la prochaine fois.
Mais ça fonctionne bien, tout à fait. Sur le premier LP, j’avais beaucoup été marqué par ce morceau en particulier, sur une période particulière de ma vie. Je me réveillais en pleine nuit avec ce morceau, ça fait très bizarre. Sur ce deuxième morceau, la voix est encore plus proche, presque dans le cerveau, c’est vraiment troublant. C’est ce qui m’a fait rentrer dans le disque différemment, après l’avoir écouté en entier. Ca a renversé la vision que j’avais de ces LPs. D’ailleurs, comment tu les vois ces deux LPs ensemble ? J’ai l’impression qu’ils sont un peu opposés mais complémentaires ?
Quand je parlais des deux disques aux gars de Denovali, pour moi le premier c’est plutôt un disque de jour, de lumière, et en même temps de rêves, tourné vers l’extérieur, l’aspect géographie, une de mes passions… Je suis passionné par ça depuis que je suis petit, par l’espace, tout ce côté-là placé dans quelque chose de plus grand, qu’on apprend à connaître, qu’on se réapproprie, qu’on découvre par des cartes, des photos et puis on croise ça avec la réalité, et ça donne quelque chose d’incroyable. Par exemple tu connais un lieu par une carte pendant des années et un jour tu y vas, tu es sur cette carte et tu fais le rapprochement entre cette réalité et ce que tu as fantasmé. Sur « A Fabric Of Beliefs », c’est plutôt quelque chose de plus frontal, plus de nuit, j’y ai majoritairement travaillé de nuit d’ailleurs, contrairement au premier. Plus personnel et tourné vers l’intérieur, centré plutôt sur soi que sur l’espace qui nous entoure. Lié aux croyances comme on disait tout à l’heure, comment on interagit avec ses croyances.
On ressent bien ce lien entre les deux avec la nouvelle pochette de « Sorcery / Geography » qui va être réédité et la pochette de « A Fabric Of Beliefs ».
Oui, j’ai retravaillé l’artwork du disque avec Alvina Von Rhein pour Denovali, par rapport à la première version sortie chez Humanist, afin de retrouver une forme de cohérence entre les deux disques. Mais tout ça c’est plutôt ce qui sépare ces disques. Il y a aussi beaucoup de choses qui les rassemblent. Ce nouvel album est un véritable challenge, je l’ai réalisé en trois mois, alors que le précédent ça m’a pris dix-huit mois. C’était plus difficile.
C’est Denovali qui t’a proposé ce planning là ?
C’est eux et moi. Ils m’ont proposé une date, j’ai accepté et je me suis mis à travailler mais différemment. Sur « Sorcery… », je travaillais un morceau, je laissais reposer, j’y revenais… Là j’ai travaillé tous les jours constamment, je ne faisais que ça. Je n’ai pas eu le même recul que sur le précédent, c’est ce qui fait qu’il ressemble plus à un défi. Je n’ai pas le même rapport aux deux disques. Je suis en paix avec le premier LP, pour ce nouveau disque je suis encore dedans. Parfois je réécoute et je réévalue ce que j‘ai fait.
Quel exercice te semble le plus en phase avec ton caractère ?
Je préfère la durée, véritablement. Je suis content d’avoir fait « A Fabric Of Beliefs », c’était un défi vis à-à-vis de moi-même, que je suis content d’avoir relevé. Ça m’a appris beaucoup de choses de travailler comme ça. Mais pour le troisième, j’ai envie de reconnecter avec la durée, voire prendre une méthode différente des deux précédents qui étaient un peu extrêmes. L’un qui m’a pris dix-huit mois, l’autre qui m’en a pris trois, peut-être travailler juste au milieu.
J’ai l’impression que tu as beaucoup plus bossé comme si Witxes était un collectif, avec plus de gens impliqués que pour le premier ? Dans la musique on a l’impression que tu es passé à un projet un peu « semi-groupe », avec plus d’orchestration … C’était volontaire ça ?
J’essaie de ne pas trop pousser le côté groupe ou pas groupe, j’aime bien qu’on ne sache pas vraiment ce qu’il en est.
Du coup, qui a travaillé avec toi sur ce nouveau LP ?
Les mêmes personnes que sur l’album d’avant. Plus un joueur de basson, il y a Frédéric Oberland de The Rustle Of The Stars / Farewell Poetry, Nicolas Laferrerie, tous les deux ils ont leur projet qui s’appelle Medecine Music. J’ai travaillé à distance avec eux deux pour un morceau. Pour le mixage, le studio, j’ai bossé au même endroit, pour le mastering c’était Lawrence English, comme pour le premier. J’avais envie d’une certaine continuité entre les deux disques. Ils sont différents mais je n’ai pas pris un parti-pris si radicalement différent. L’histoire est différente, avec un point de vue différent mais on reste dans les mêmes objets, les mêmes textures… Ils sont comme dans un espace identique même s’ils s’opposent par endroits.
J’imagine qu’il n’y a pas forcément de schéma mais comment tu te mets à travailler sur un morceau lambda ?
Effectivement je n’ai pas forcément de schéma, ça peut venir d’un peu partout. Sur mon premier album, le morceau d’ouverture, à la base c’est un morceau que j’avais écrit pour un de mes groupes. Et qui, à force de processing, de travail et de transformations est devenu un morceau de Witxes. A l’inverse, le morceau qui clôture l’album, en guitare-voix, c’est parti d’un rif d’un morceau qui possédait beaucoup d’effets et que j’ai décharné au fur et à mesure pour aboutir au résultat actuel. Pour deux morceaux du même disque, j’ai deux méthodes assez différentes. Mais la plupart du temps, il s’agit en fait d’idées particulières qui me dirigent. Parfois avant même d’enregistrer. L’idée de l’album, je l’ai eu avant de l’enregistrer, l’idée de la narration, de mots, de titres, c’est le premier truc qui m’a cadré. A partir de là, je récupère un son qui se raccroche à ces idées là ou une mélodie particulière… Mais c’est vraiment cette idée de narration qui est vraiment à la base du travail.
Je les trouve “beaucoup écrits” tes morceaux. Les compositions sont travaillées, ton écriture va plus loin que tous les projets drone / ambient auxquels on te raccroche. Tu récupères tous ces éléments de sources très différentes et tu les utilises de manière originale. Au final, ta musique ne sonne comme celle de personne ou presque.
Oui c’est pour ça que les rapprochements que l’on fait entre ma musique et d’autres projets sont souvent un peu bizarres. On peut entendre beaucoup de choses dans ma musique, oui il y a des drones dans ma musique mais ça n’est jamais du drone. C’est quelque chose que j’utilise comme un outil mais ça n’est pas une fin en soi. La musique ambient, que j’aime par ailleurs, j’ai pas l’impression de faire ça. Je trouve que ma musique contient d’ailleurs trop d’éléments perturbateurs pour vraiment être considérée comme de l’ambient. D’ailleurs, les musiciens que je préfère dans ces domaines là, ce sont ceux qui ne se cantonnent pas aux gimmicks de ces genres là mais qui sont souvent à la frontière entre plusieurs styles. Tim Hecker, par exemple, avec tous ces aspects pop, surtout sur son avant-dernier album, on est conduit par des mélodies pop. Ou comme Ben Frost, qui inclut des éléments totalement différents pour refaire son truc à lui. Je ne prétends pas que ma musique se rapproche de la leur mais en terme de diversité, c’est un peu ce que je recherche. Ma seule limite c’est de conserver un tout cohérent. Je ne critique pas ceux qui creusent encore et toujours un même sillon pour aller plus loin, j’aime certains musiciens qui travaillent comme ça et je suis assez admiratif d’ailleurs, moi j’en suis totalement incapable. Je dois lutter avec ça tout le temps parce que je peux vite partir dans tous les sens.
Demain tu pourrais mener des projets complètement différents avec Witxes ou tu te fixes une limite ?
Du moment que c’est cohérent, je peux faire des choses totalement différentes. Même si je conserverais toujours un lien dans l’absolu entre les disques, même un lien ténu. Je pourrais faire un album vachement proche de, au hasard, musiques noise ou métal, voire même folk, beaucoup plus acoustique, ce que je voulais faire au début d’ailleurs.
Il y a tout de même une traitement différent dans ce que tu fais, entre l’aspect acoustique et l’aspect plus électronique. Comme un double traitement entre les instruments acoustiques, que l’on entend presque respirer, on est très proche de la batterie, de la guitare, comme si elles étaient juste là, pas très loin… Et d’autres côtés plus électroniques.
C’est quelque chose que l’on retrouve beaucoup dans ma musique : j’aime vraiment mélanger les définitions sonores. Je peux bosser avec une prise de guitare enregistrée au dictaphone ou à l’iPhone. A côté de ça, je peux travailler avec une super prise de batterie enregistrée dans un studio pro avec un ingé qui bosse super bien, qui va donner un son parfait à l’instrument, beaucoup d’espace. J’aime vraiment mélanger les grains, c’est ce qui donne du relief à ma musique. En tout cas c’est comme ça que j’ai appris à le faire. Même si encore une fois je recherche une cohérence par rapport au rendu final que j’imagine. Mais pour moi le charme vient d’une prise avec un son un peu bizarre, parfois, tout en sachant à quel moment tu as absolument besoin d’aller en studio.
Tu travailles beaucoup seul dans ton coin ?
La plus grosse partie du temps, oui. Généralement j’intègre des musiciens sur la fin, surtout pour le premier LP. Là, pour « A Fabric Of Beliefs », c’était un peu pareil, mais je suis allé en studio dès le début afin d’enregistrer les premières idées et pistes que j’avais en tête. J’ai pris deux jours de studio pour enregistrer de la matière de qualité. Puis je suis parti bosser pendant 6 ou 7 semaines dans le Morvan, dans une maison. J’ai travaillé cette matière-là. A l’issue de ça, j’ai refait le même processus que pour le premier LP : j’ai repris quelques journées de studio, des musiciens sont venus pour bosser avec moi. Enfin, quelques jours de finalisation des pistes, pour réintégrer tous les éléments, voir si le tout fonctionne ou non, parfois ça ne fonctionne pas. Mais c’est un fonctionnement un peu frustrant, parfois j’aimerais pouvoir intégrer des gens avant. Je ne sais pas si ça amènerait quelque chose concrètement mais je trouve ça génial, ce côté spontané d’une collaboration : les gens arrivent à la fin, le morceau est presque fini, du coup chacun doit trouver sa place et s’adapter, c’est assez intéressant. Ceci étant, bosser avec des invités plus en amont, a d’autres avantages : notamment pour que moi je puisse aussi m’adapter à ce que ces musiciens pourraient faire, ça me ferait voir les choses de manière un peu différente. En tout cas, on va essayer de faire quelques concerts en groupe en octobre prochain, pour essayer ce type de formule. Un trio ou un quartet, la plupart des musiciens sera multi-instrumentiste donc on aura le choix entre pas mal d’approches. Par ailleurs, on vient de tourner un clip pour ‘Unlocation’ de « Sorcery / Geography », en version groupe, on l’a joué live pour voir ce que ça donnerait.
Pourquoi tu es revenu sur ton ancien LP pour cet exercice ? C’était trop compliqué d’adapter ça pour tes nouveaux morceaux ?
On voulait présenter la formule live à quelques personnes afin de pouvoir tourner. On avait très peu de temps pour réaliser cette vidéo, faire venir les gens et répéter. Du coup ce morceau là pour moi était déjà écrit, c’était plus simple que de chercher à en adapter un plus récent. Mais la formule sera sûrement plus électronique par la suite, plus processée. J’ai fait revenir les musiciens qui avaient joué sur le disque. C’était assez court, on a répété une semaine avant de tourner.
D’ailleurs j’ai vu que tu considérais le live et le studio comme deux exercices vraiment très différents.
Oui tout à fait. En enregistrement, je n’ai jamais envie de me limiter et de penser à ce qu’il faudra que je fasse en concert derrière. Du coup je fais de la musique de studio, littéralement. Pour le live, du coup c’est beaucoup plus compliqué parce que je n’aime pas jouer avec trop de samples, j’essaie de jouer un maximum de choses tout en utilisant un maximum d’ambiances ou de textures du disque pour que les gens puissent se raccrocher à quelque chose. C’est un autre exercice dans lequel je suis moins à l’aise, pour lequel j’ai encore beaucoup à apprendre, pour proposer quelque chose qui me semble abouti.
Quand j’écoute tes disques, ce qui me vient à l’esprit immédiatement c’est cette forme de quiétude et de calme, une forme de paix intérieure assez intrigante à laquelle je suis sensible. Et ce même si on voit bien que les choses bougent beaucoup et que ça n’est pas si calme. Mais tu parviens à transmettre ça dans ta musique. C’est quelque chose que tu visualises quand tu enregistres ?
Je ne sais pas si c’est une forme de quiétude mais j’essaie de faire en sorte qu’il y ait un fil conducteur le long des disques, mais qui fonctionne d’abord sur moi. Il faut que je puisse écouter ce que je fais pour que je sois convaincu du travail réalisé. Que parvienne à émerger le sentiment que je cherche à faire passer dans ma musique. Et souvent, c’est une forme de « temps suspendu » que je cherche à recréer, pour que les gens se laissent emporter là-dedans. C’est peut-être ça que tu appelles « quiétude ».
Des projets à venir ? Des envies particulières ?
J’ai une petite tourné en mai qui arrive. Et puis une plus grosse tournée tout le mois d’octobre. Je n’ai pas spécialement commencé ce projet Witxes pour sortir des disques en fait. Enfin pas uniquement pour ça. J’ai toujours voulu créer pour d’autres personnes, dans le milieu de la danse ou des arts plus visuels. C’est un sillon que je voudrais creuser, pour bosser dans d’autres champs. Je bosse différemment quand je travaille pour quelqu’un, et je me trouve plus efficace, plus concentré sur un but défini. Quand je suis seul, je peux partir dans tous les sens. Pour quelqu’un, tu vas vite à l’essentiel et tu peux creuser plus vite l’idée maîtresse. C’est un autre travail, très intéressant.
Dernière chose : pourquoi toutes ces références à Abaraxes dans ce « A Fabric Of Beliefs » ?
Si tu t’intéresses à tous ces concepts religieux, Abraxas c’est cette espèce d’entité supérieure à Dieu et au Diable, qui englobe tout. C’est un peu pompeux mais quelque part j’aime bien cette idée d’un concept dont on ne parle pas trop dans les sphères religieuses mais ce sont des choses qui ont été conceptualisées par des gens, genre Carl Yung. A la base pour moi c’est parti d’une expérience géographique en fait. J’ai travaillé à Noisy-Le-Grand où il y a la Cité d’Abraxas créée par Ricardo Bofill, un architecte brésilien. Une cité assez impressionnante. La première fois où tu arrives en TER là-bas, tu es presque plongé dans Le Seigneur des Anneaux. C’est une cité gigantesque. Je traversais cet ensemble là tous les jours. Vraiment étrange. Une création de l’Homme, surdimensionnée, devenue presque un ghetto avec des poubelles cramées au milieu. C’est à ce moment là que j’ai commencé à réfléchir sur ce qu’était Abraxas, à explorer les premières idées qui allaient devenir Witxes. Et pour ce deuxième LP, je me suis dit que c’était un bon thème d’introduction au voyage. Cette idée qui englobe tout, le Bien, le Mal. Une entrée en matière qui me parlait pour « A Fabric Of Beliefs », une représentation réelle d’un concept imaginaire.
“A Fabric Of Beliefs” est en écoute intégrale sur la page Bandcamp de Witxes.