Lectures d’été : Quattrocento de Stephen Greenblatt
Un homme épris de vieux manuscrits de l’Antiquité, des papes pas très catholiques et des monastères aux secrets intrigants, telle est la trame quasi romanesque que nous dévoile Stephen Greenblatt dans son essai Quattrocento.
La toile de fond n’est autre que l’Italie du début de la Renaissance (Quattrocento en italien), un érudit lettré Poggio Bracciolini dit le Pogge, secrétaire du Pape Jean XXII parcourt l’Europe à la recherche des manuscrits des auteurs de l’Antiquité. De monastère en monastère, son périple va le mener à une découverte littéraire capitale, celle du seul ouvrage du poète-philosophe Lucrèce De Rerum Natura (De la nature des choses, traduit le plus souvent par De la nature).
L’hypothèse de Stephen Greenblatt est audacieuse : s’il n’y avait pas eu la ténacité de cet homme et de son cercle d’amis à chercher cet ouvrage perdu, voire banni, la Renaissance Italienne n’aurait pas eu lieu, de même le reste de l’Histoire que nous connaissons aujourd’hui, qu’elle soit littéraire, artistique ou scientifique aurait pris un autre virage.
Pourquoi donc cette oeuvre de Lucrèce aurait eu un tel impact parmi les intellectuels de cette époque ? Lucrèce fut avant toute chose le disciple d’Epicure et De la nature est le seul élément écrit qui nous reste sur cette philosophie qu’est l’épicurisme. La re-découverte de cette oeuvre nous permit donc de re-découvrir tout un pan de la pensée grecque qui jusqu’en 1417 était restée un mythe ou une chimère. En nous faisant partager la quête du Pogge, Greenblatt nous explique aussi les pourquoi cette philosophie fut enterrée et sciemment oublié dans les profondeurs de quelques monastères. Il faut cela expliquer se plonger dans la pensée d’Epicure et donc du De la nature de Lucrèce.
Ce très long poème énonçait des principes qui donnaient les clés d’une compréhension assez aiguë du monde moderne. Certes, Lucrèce croyait en des choses qui aujourd’hui nous feraient sourire. Il pensait que le Soleil tournait autour de la Terre, par exemple. Mais plus fondamentalement, les épicuriens furent les premiers à parler… d’atomes. L’Univers se compose d’innombrables atomes qui se déplacent au hasard dans l’espace ; ces atomes s’entrechoquent, s’accrochent les uns aux autres pour former des structures complexes, puis se décomposent. Lucrèce, et avant lui Epicure, ne nous décrivent pas un monde spirituel, non mais le monde matériel tel que nous le connaissons. Toute chose est donc amenée à évoluer et en premier lieu, notre espèce humaine. De ce constat assez simple, rien ne dure donc éternellement, seuls les atomes sont immortels.
De cette analyse, les épicuriens, Lucrèce en tête, considérait alors qu’il n’y avait aucune raison de croire que la Terre et ses habitants occupaient une place centrale, pas d’espoir de suborner ni d’apaiser les dieux, pas de besoin d’abnégation, rien qui ne justifie les rêves de puissance, les conquêtes guerrières, le fanatisme religieux, etc. Lucrèce s’élevait ouvertement contre les imposteurs qui promettaient une sécurité illusoire (ça ne vous rappelle rien ?) ou exploitaient les peurs irrationnelles de tout à chacun pour asseoir une pseudo-légitimité (ça ne vous rappelle toujours rien ?). De la Nature, au contraire, voulait libérer les hommes de ces peurs en offrant un sentiment de libération et de regarder en face ce qui semble si menaçant. Ainsi, les hommes, libérés de ces peurs, ayant pris conscience de leur état passager sur cette Terre, profiterait enfin de la beauté de l’Univers et éprouverait du PLAISIR.
Carpe diem.
Non, ceci n’est pas l’histoire du film Le Cercle des Poètes Disparus de Peter Weir avec Robin Williams. Non, il s’agit de nous, de nos croyances et de la manipulation de celles-ci.
Car, vous l’aurez compris, cette philosophie est à mille lieux de la doctrice chrétienne. Aux yeux des premiers chrétiens, la Grèce Antique et sa philosophie sont l’oeuvre d’esprits païens, à oublier et donc à combattre. L’épicurisme dans son éclat le plus naturel s’oppose frontalement au christianisme.
En quoi est-ce le cas ?
Une des premières peurs que l’homme doit se débarrasser est celle de la mort. Enfin libéré de ce poids, acceptant son état mortel, l’homme se fiche de savoir s’il y a un paradis ou un enfer, s’il y a rédemption de ses péchés ou pas, etc. En conclusion, avec l’épicurisme, toute la cosmogonie chrétienne est à jeter par la fenêtre. En mille ans, la toute puissante Eglise ne pouvait ne pas combattre une philosophie qui allait contre tout ce qu’elle proférait depuis. De par sa position et sa propagande, il lui fut donc facile de combattre l’épicurisme et d’effacer de la mémoire toute trace d’Epicure et de ses disciples dont le poème Lucrèce. Et pourtant cet ouvrage, qu’on a cru perdu à jamais, a été retrouvé. Et les conditions de sa redécouverte sont aussi épiques qu’historiques.
Car Mère Nature est ainsi faite qu’elle peut nous retirer ce qu’elle veut, mais aussi nous re-donner ce qu’on croyait perdu à jamais. Aidée en plus par l’orgueil de l’homme, les conditions sont ainsi réunies pour donner un vrai coup de pouce à l’Histoire. La découverte de De La Nature s’est faite en plusieurs étapes. La toute première et la plus capitale s’est faite grâce donc au Pogge. Une chape de plomb imposée par l’Eglise sur les écrits antiques pesaient à cette époque. Stephen Greenblatt nous rappelle l’infortune de quelques personnages que l’Eglise persécuta parce qu’ils avaient osé clamer leur amour pour certaines oeuvres antiques. Ces hommes n’avaient pas les protections et les positions nécessaires pour mener à bien leur passion. En qualité de Secrétaire du Pape et ayant à Florence, des protections solides, le Pogge et quelques uns de ses contemporains purent ainsi mener des enquêtes de terrain pour découvrir ces ouvrages cachés aux yeux du monde, moisissant au fond de quelques monastères. La crainte du Pogge de ne pas retrouver De La Nature était double : la mauvaise conservation de l’ouvrage qui lui interdirait de le consulter et le refus des moines de lui laisser l’accès aux archives de leurs bibliothèques malgré sa qualité de secrétaire du Pape. Ajoutons à cela que certains moines copistes avaient certainement récupéré les parchemins pour créer d’autres oeuvres, retrouver de De La Nature était dans ces conditions plus qu’une gageure.
Une fois De Rerum Nature découvert dans un monastère allemand (sic), sa diffusion auprès des intellectuels de l’époque ne fut plus qu’une question de temps. Le Pogge en fit une copie qu’il envoya à un de ses amis, qui lui-même en fit une copie, etc. Nous sommes en 1417, la première Renaissance Italienne vient de commencer…
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