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Marseille, capitale européenne de la culture 2013

Par Arbobo, le 19-09-2013
Arts
Venu en vieil amoureux de cette ville, profiter de l'hospitalité d'amis que je ne vois pas assez, j'ai plongé tête la première dans l'eau fraîche et dans les expositions estivales. Petit parcours sans prétention et récit de mes visites.

La question est comment décrocher ?

Comment décrocher d’une ville comme Marseille, quand elle se présente capitale européenne de la culture sous un soleil divin ? Comment décrocher d’une ville qui propose tant d’expositions à la fois ?

Il doit y avoir environ 25 ans que j’ai découvert Marseille et ses environs, son port, ses rues et ses calanques. J’y viens peu, mais je l’ai suffisamment arpentée pour sentir en ce mois de juillet 2013 un vent de nouveauté. Il semblerait que la grande alanguie se soit réveillée. Le fait d’avoir été désignée « capitale européenne de la culture » n’y est pas pour rien.
(Vous pouvez retrouver en image la visite sur cette galerie photo)

Une lente montée en régime

Il ne sera question ici que de Marseille, mais c’est toute la région, « Marseille Provence » qui est concernée par l’orgie culturelle de l’année. Le climat exceptionnellement doux permettait de débuter en fanfare les festivités dès janvier.

arrivé en avril la majeure partie du pays restait encore dans l’ignorance de ce qui était censé se tramer en bas de la carte

Evidemment ce fut loin d’être le cas, et arrivé en avril la majeure partie du pays restait encore dans l’ignorance de ce qui était censé se tramer en bas de la carte. Hormis le jeu de mot bien rôdé « ca-ca, pi-pi, cul-cul » (capitale culturelle) , de nouveaux motifs de moqueries faisaient grincer les dents des cigales humaines impatientes de profiter de l’événement.
La dernière fois que je suis venu, la ville était plombée par une interminable grève des éboueurs, ce qui apportait un peu de variété à une municipalité plus habituée à celles de dockers. A deux pas des ors de l’arrogante voisine Aix, Marseille n’en finit pas de s’appauvrir et une maire d’arrondissement socialiste impatiente de coups d’éclats a même demandé l’intervention de l’armée pour freiner la délinquance. On a plus parlé des coups de carabine des dealers que des coups de pinceaux des maîtres, depuis des mois.

les docks de la Joliette

les docks de la Joliette

Le premier grand coup fut une exposition temporaire dans le « J1 ». Pour les marseillais ce sigle évoque immédiatement le grand hall des docks de la Joliette, le plus proche du centre ville.
A partir du printemps les inaugurations se mirent à donner enfin à la ville ses airs de capitale. Les professionnels apprécièrent d’abord celle du FRAC (fonds régional d’art contemporain), installé par la ministre dans son nouveau bâtiment.
Ce fut le tour ensuite d’une prouesse architecturale, la Villa Méditerranée, et l’ouverture en fanfare par le président de la République du Mucem (Musée des civilisations de la Méditerranée). C’était le 6 mai, il était temps que la saison culturelle batte son plein. Pour ne rien gâcher de l’atmosphère d’une ville pas comme les autres, le fameux J1 qui provoqua tant d’admiration est fermé tout l’été. C’est que, baigné de soleil, et pas climatisé, il se transforme en four au milieu de l’année.

On aurait l’air de se moquer, mais on a pu sentir çà et là des frustrations. Renoncer à un grand lancement coordonné, un grand top départ, a renforcé l’idée que les organisateurs furent un peu pris de court. D’autant que le site officiel est si mal conçu que les locaux concèdent s’informer par d’autres biais. C’est très long, une année, et il est normal qu’elle soit ponctuée par des temps forts et d’autres moins tonitruants. Il est tout aussi logique que de nombreuses activités soient temporaires et se succèdent tout au long de l’année. Les Marseillais cachent derrière un apparent mépris de Paris un véritable complexe d’infériorité. « C’est la première fois que je vois la bourgeoisie marseillaise fière de sa ville et ne cherchant pas à s’excuser de vivre ici », me confiaient des phocéens de toujours. Les quelques retards ne sont peut-être pas si désolants que certains l’ont cru, et si tout ceci n’était qu’une manifestation de plus de cette crainte d’être mal aimés ?

Voilà un peu le tableau. Vu de Paris, quand juillet pointe son nez on sort tout juste de 9 mois d’hiver et on tire un peu la langue. Deux-trois beaux jours pour donner envie de partir en vacances et puis hop, la valoche qui déborde, le train bondé et cap au sud. Officiellement, on part voir des amis. Et on se dit qu’on en profitera pour faire un musée ou deux. En passant…

Prendre du recul

Pour une fois j’ai vu Marseille avec du recul.
A peine posé-je le pied par terre que j’étais embarqué avec armes et bagages. Hop, hop, un petit slalom entre les voitures avec la valise coincée à l’avant du scooter, hop hop les bises et questions d’usage, hop hop un déjeuner sur le pouce, hop hop prends ton maillot et ta crème solaire.
Puis… l’air frais de la mer, on saute lestement du quai du vieux port sur l’esquif et vogue vers le large. A peine un peu de vent pour rappeler qu’on est en mer, puis on saute sur un rocher, voici le Frioul, une crique quasi déserte et des rochers rien que pour nous et les gamins qui grimpent à pic puis sautent dans l’eau sans chercher à savoir quelle est la profondeur.
Marseille c’est aussi et d’abord cela. Un ville minérale écrasée de chaleur, et la mer partout, des plages et lieux de baignade à n’en plus finir. Pour voir Marseille, il faut savoir s’en éloigner, gagner une calanque, ou prendre un peu le large l’admirer de loin. C’est toute la différence avec Istanbul, où seuls des gamins insouciants plongent à la moindre occasion, et où les plages sont à des kilomètres, dans les quartiers huppés.

ce n’est qu’en approchant encore qu’une masse apparaît à fleur d’eau, puis à peine au dessus de la surface. C’est un petit carré noir au bas du fort saint Jean. Progressivement, le Mucem apparaît…

Existe-t-il plus beau moyen de voir une ville que se laisser embarquer au large ? Une vieille barque nous attend. Les enfants courent à l’avant entre les haubans, sur la longue plage arrière couverte de coussins, un apéro à la fraîche bat son plein. Marseille se prête aux robinsonades à toute heure. Au retour du Frioul, la barbe drue de sel et le regard tabassé par la lumière pure, on se fait indolent. Et c’est là que la ville revient. On prête mieux attention aux deux forts qui protègent le port, saint Nicolas à droite (de la mer), saint Jean à gauche. Le palais du Pharo est splendide, et derrière, au dessus, encore plus haut, la « bonne mère » veille sur nous. Et ce n’est qu’en approchant encore qu’une masse apparaît à fleur d’eau, puis à peine au dessus de la surface. C’est un petit carré noir au bas du fort saint Jean. Progressivement, le Mucem apparaît. Ce musée dont tout le monde parle depuis des semaines, c’est juste ça ? Si discret depuis la mer, et invisible depuis le port.

A sa gauche, sur le ciel blanchi de soleil, une forme claire se dessine à son tour. Il faudra encore s’approcher pour distinguer plus nettement la villa Méditerranée. En mer les distances sont difficiles à évaluer. Vingt minutes plus tard, après trois-quarts d’heures de traversée, le moteur au ralenti nous porte dans le bassin qui lèche les musées. Deux énormes immeubles dégagés de tout voisinage, que la proximité rend à leur véritable proportion : des géants modernes. De loin, c’est la vieille ville et ses points de repère habituels qui continuent de rythmer le paysage. Simple effet d’optique. On en reparle plus loin.

Commençons par l’écume, les lieux et réinvestissements éphémères nés dans l’effervescence de « capitale 2013 ».

Des lieux éphémères, et de nouveaux lieux de culture

Il y a plus de 2 ans, j’avais fait mon QG du Waaw (What an amazing world), café et lieu de ressources sur la vie culturelle de la région. Marseille venait d’être désignée capitale européenne de la culture 2013, et le milieu de la culture commençait déjà à se plaindre d’une organisation poussive et défaillante. Le refrain n’a guère changé, et depuis des mois les marseillais de toujours ou de passage pestent contre la difficulté à savoir ce qui se passe, ou à réserver des billets à l’avance. Parfaitement situé, à une rue du cours Julien, on trouve au Waaw un plat du jour de qualité et de quoi compenser l’organisation défaillante des festivités.

En remontant depuis le vieux port, passé le cours Julien commence un quartier très vivant, « la plaine », avec son immense place Jean Jaurès. De part et d’autre, des lieux de culture ont affirmé leur présence ou fait renaître des sites oubliés. Boulevard Chave, l’école d’art possède une galerie où des travaux d’étudiants sont exposés. J’y ai vu principalement des vidéos, dont plusieurs work in progress. Il suffit de traverser la place pour s’engouffrer dans la rue de la bibliothèque. Les anciens bains-douches sont devenus une belle galerie de plain-pied, où l’on circule autour d’un joli jardin intérieur. J’y ai préféré les photos de Linjiao LI aux peintures de Feng GE.

FRAC - Marseille

FRAC – Marseille

Comme nouveau lieu, il y a plus grand et plus imposant. Le Fonds Régional d’Art Contemporain (FRAC) vient d’emménager dans son nouveau bâtiment, on l’a mentionné. Les agences Kengo Kuma et Toury Vallet ont réalisé un écran aéré posé sur la façade vitrée, composé de petits panneaux blancs orientés. L’effet est curieux de l’extérieur, plus ou moins séduisant selon les angles. Mais à l’intérieur, on apprécie ce parti pris. Grâce à cette technique, dans cette ville lumineuse et rapidement chaude, le FRAC reste baigné de lumière indirecte, ce qui limite la chaleur et permet de conserver une lumière naturelle sans dégât pour les œuvres (même si l’expo Yazid Oulab, intéressante, ne craint pas les photons). Ajoutons que la terrasse ombragée du premier étage est du meilleur effet. De là, on pourrait presque apercevoir le fameux « J1 ». Ce gigantesque entrepôt du port de la Joliette est désaffecté. Baigné de lumière et dépourvu de climatisation, il a donc été fermé pour tout l’été, mais rouvrira le 11 octobre. C’est un moment très attendu car ce joyau du patrimoine maritime local a éclaboussé l’inauguration de Marseille 2013. Voilà comment un lieu monumental devient par le jeu du climat un musée éphémère.

Dans un esprit éphémère et bricoleur justement, Yes we camp est une réussite. Situé à l’ouest de la ville, à l’Estaque, il est plus qu’un camping associatif et alternatif. C’est un work in progress investi par les artistes. Dans des inventions de leur main, on s’installe quelques jours dans des lieux indescriptibles. Beaucoup de lieux de culture à Marseille sont associatifs, notamment beaucoup de petites salles de concert qui reposent sur le principe d’une adhésion (modique). Il était logique que pour 2013, cet esprit alternatif fleurisse à la manière d’une utopie créatrice, dans l’un des rares quartiers de front de mer encore populaire (plus pour longtemps). Yes we camp est participatif, écologique, et créatif. Une certaine idée du bonheur, en résumé.

La cité radieuse du Corbusier reste un lieu magique pour tout amoureux d’architecture et d’art moderne.

Poussé par l’envie de profiter d’une année exceptionnelle, j’ai poussé à l’est au-delà de mes quartiers habituels. Rien de plus facile d’ailleurs, le métro amène au rond-point du Prado, et de là plusieurs bus assurent une bonne desserte. La cité radieuse du Corbusier reste un lieu magique pour tout amoureux d’architecture et d’art moderne. Je guettais une occasion comme celle-ci de m’y rendre. La galerie située sur le toit-terrasse ouvre soi-disant à 11h, mais d’expérience ne vous y fiez pas (ce MaMo appartient depuis peu à la star du design Ora Ito). Quant-à la visite de la cellule 516 du modèle « E », prenez rendez-vous si vous voulez profiter en petit groupe d’une grosse demi-heure dans cet habitat tel que son créateur l’a conçu (avec son mobilier d’époque). Il est loin le temps où l’on fuyait la cité, l’adresse est plus courue que jamais et l’hôtel situé au 4e étage se remplit de toutes les nationalités. La véritable star reste le bâtiment lui-même, magnifique paquebot, posé sur un épais pilotis peu élégant. Sous un ciel pur d’été, le toit devient un hymne à la Méditerranée. On s’y sent paisible et conquis, inscrit dans une histoire sans âge. Des sculptures habillent l’une des terrasses, variant les échelles, avec la complicité de la galerie Perrotin. Le buste géant de Xavier Veilhan figure le Corbusier lui-même, dessinant sur la terrasse comme sur une planche à dessin.

Xavier Veilhan, toit de la cité radieuse

Xavier Veilhan, toit de la cité radieuse

A quelques minutes de là en bus, un magnifique parc, un peu sauvage, s’étend dans le quartier de Bonneveine. A l’une de ses entrées, le Musée d’Art Contemporain de la ville (MAC) est sobre et fonctionnel. Sur le modèle des anciennes usines, une série de gigantesques vasistas inclinés apportent aux collections une lumière sommitale aussi indirecte que possible. Cet été le MAC a remisé toute sa collection permanente et montre une très belle exposition d’oeuvres récentes, « le pont », autour du voyage. La pièce la plus monumentale traverse le musée de part en part, une installation de Mircea Cantor in situ, « They hate us for our freedom » (Ils nous haïssent pour notre liberté), tout en allumettes consumées qui ont noirci le mur. La force visuelle qui se dégage laisse une empreinte durable sur la rétine et dans l’esprit. Cette pièce est polysémique, brutale, et d’une sobriété déroutante. Les sculptures de tous formats sont les plus nombreuses, on compte assez peu de vidéos comparé à ce que j’ai pu voir récemment dans des expositions généralistes. On pourra apprécier beaucoup de belles œuvres comme l’ironique « vacation » lunaire de Yinka Shonibare ou la voiture digne d’un Moebius conçue par Jean-Luc Parant (en 1993, mais la plupart des œuvres sont nettement moins anciennes). Selon les moments de l’année, une partie de l’exposition se tient hors les murs, pour ceux qui ont le temps de baguenauder dans la ville.
La ville devient aussi lieu de mémoire, les années 39-45 revivent un peu partout avec ces mots: « ici-même 2013 ». A mi-chemin entre installation éphémère et parcours historique.

Mircea Cantor, "they hate us for our freedom"

Mircea Cantor, “they hate us for our freedom”

Les valeurs sûres sont là

C’est une vertu d’années comme celle-ci, fournir l’occasion de trouver des cartes et des catalogues
d’expositions. Aurais-je tiré des bords jusqu’au MAC dans d’autres circonstances ? C’est douteux et ç’aurait été dommage. Ce musée porte bien la quarantaine, il devrait être un incontournable des séjours marseillais.

Il est temps pour moi de l’ajouter à deux autres valeurs sûres : le musée des beaux arts (au palais Longchamp) et la Belle de mai. Le Palais Longchamp vaut déjà pour le coup d’oeil, parcs inclus. On peut aussi arriver face à lui et sa fontaine monumentale. Une aile présente une partie de « L’atelier du Midi », exposition en plusieurs lieux centrée sur Marseille et Aix (musée Granet).
Les premiers impressionnistes à s’amouracher de la lumière du Midi voulurent faire venir leurs compères pour constituer un « grand atelier du Midi ». Ce n’est pas la tournure que prirent les événements, mais presque tous virent séjourner près de la Méditerranée, les uns plus dans l’arrière-pays, d’autres plus à l’ouest (Collioure notamment).

Le programme est un peu court, la faute sans doute à une répartition des œuvres sur plusieurs sites, mais la qualité est telle qu’on a mauvaise grâce de se plaindre. Les textes sont clairs et bien dosés, les œuvres alternent le représentatif et les chefs d’oeuvre, y compris des stars van Gogh et Matisse. Les Seurat sont un peu trop nombreux à mon goût personnel, mais leur présence de justifie, et l’orgie de Bonnard, Derain, est même renforcée par des toiles de Maillol, tellement plus belles que ses bronzes à répétition. Quand on connaît le musée d’Orsay, on l’a souvent à l’esprit durant la visite, mais les pièces viennent de multiples collections. Pour prolonger cette belle visite, on peut même changer nos habitudes et préférer à Orsay la passionnante et méconnue collection permanente du Musée d’art moderne de la ville de Paris. Sachez que si vous voulez bénéficier d’un billet jumelé pour les 2 expositions (réduction substantielle), vous devrez connaître le jour de votre seconde visite au moment de l’achat.

Le lieu a de moins en moins à voir avec une friche, malgré son nom

La Belle de Mai est un autre incontournable. Le lieu a de moins en moins à voir avec une friche, malgré son nom. Il s’est doté d’un accueil-billetterie et d’une librairie bien fournie. En journée la touffeur  interdit de profiter du solarium géant sur le toit, mais les expositions sont climatisées. Les deux principales sont en binôme, à voir l’une dans la foulée de l’autre étage par étage. On commence par « des images comme des oiseaux », la sublime collection photographique du CNAP (Centre national d’arts plastiques), dont Patrick Tosani a été chargé d’extraire la moëlle (700 œuvres, parmi 12 000 !). Les plans inclinés permettent de conserver la sensation d’espace en ouvrant sur le plateau complet, tout en augmentant la surface d’accrochage disponible. Les clichés sont regroupés de manière intuitive, ni pédagogique ni chronologique. Une tablette tactile permet aussi d’afficher en format géant l’image de son choix. Quasiment seul, j’ai pu profiter de l’ensemble à ma guise.
On poursuit l’ascension avec « New Orders », projet utopique et futuriste de l’atelier de l’atelier néerlandais de van Lieshout. Dessins, maquettes réduites ou grandeur nature, déclinent un vaste ensemble d’unités d’habitations de masse, fortement sexualisées, comme le bordel pour hommes en forme de spermatozoïde. Une unité d’habitation grandeur nature clôt la visite, « pour 4 personnes et 10 esclaves », une sorte de version steam-punk de l’exploitation industrielle.
Le travail sur le genre et les identités sexuées, qui est sans besoin de concertation au cœur de beaucoup de projets de Marseille-Provence, donne à New Orders un côté très grinçant.
D’ailleurs, à quelques mètres de là dans le reste de la friche, le village de l’euro-lesbopride fourmille de manifestations, pendant une partie du mois de juillet.

toit-terrasse de la friche de la Belle de mai

toit-terrasse de la friche de la Belle de mai

En s’éloignant par la rue Guibal, on passe un élégant bâtiment neuf couleur ocre. C’est une annexe du Mucem, qui donne un premier aperçu de la qualité esthétique qui nous attend pour le morceau de choix.

Le cœur de Marseille de nouveau battant

Le grand événement 2013 restera architectural, plus que pictural. On voit de belles expositions, c’est vrai. Mais tout le monde ne parle plus que du quartier du port, DES ports devrait-on dire.
Entre le vieux-port et celui des voyageurs à la Joliette, on n’avait aucune raison de se promener. Désormais, entre inaugurations et rénovations, on peut dire qu’un quartier est né. Un quartier central, esthétiquement et culturellement riche, à la fois impressionnant et accueillant.

avec ce nouveau quartier, le Vieux Port redevient épicentre

Avec ce nouveau quartier, le Vieux Port redevient épicentre. Mais un centre élargi et un peu déplacé vers l’Ouest. Alors que la Criée, l’opéra, le cours d’Estienne d’Orves modernisé faisaient pencher le port sur son quai Est, le déséquilibre s’inverse. Le « panier », de moins en moins populaire mais encore charmant, commande aussi bien les sorties vers le vieux port et la Cannebière, que vers les nouveaux musées, ou vers la Joliette. Les prix n’ont pas fini de grimper dans la montée des acoules ! Si l’on revient vers l’entrée du vieux port, un fort Saint-Jean rénové avec soin permet de prolonger la marche.

Une autre nouveauté a pris place en plein vieux port. Enfin, on a de l’ombre sur le quai de la fraternité ! L’ombrière, c’est son nom, est un grand préau conçu par Norman Foster, posé 6 mètres au-dessus du sol. Ses deux faces, le toit et le « plafond », sont des miroirs. C’est donc un îlot d’ombre et de fraîcheur (grâce à sa hauteur qui lui permet de ne pas emmagasiner l’air chaud), que les marseillais ont immédiatement adopté. Ses formes épurées sont discrètes, et c’est un lieu de retrouvailles et de drague, sans oublier toutes les photos que l’on peut y faire. C’est populaire, utile, c’est beau, simple. Bravo, mille bravos ! Le port est décidément redevenu une porte d’entrée de la ville et un carrefour, vers ses quartiers bien connus et vers celui qui vient de naître.

On a évoqué le FRAC à la Joliette, desservi par le métro et le tramway. On est dans le périmètre d’une opération urbano-immobilière d’une ampleur colossale, Euroméditerranée, débutée il y a 18 ans ! La tour CMA, belle mais dépourvue de l’audace habituelle de Zaha Hadid, en est le joyau le plus récent. Du FRAC on voit les anciens docks, transformés en classieux immeuble de bureau depuis plusieurs années. En suivant la rive vers l’est, on passe au pied de «la Major», église somptueuse et mal-aimée. Il faut dire qu’elle était encore couverte de crasse il y a peu, à peine accessible, et coincée au pied du « panier », quartier populaire. Le Panier se transformant depuis 20 ans en haut-lieu touristique et bourgeois, les passants ont désormais un débouché à leur traversée de la colline. La cathédrale est posée sur un vaste plateau, dont le contrebas est formé de voutes. Lorsque leur rénovation sera achevée, et la desserte piétonne finalisée, la nouvelle galerie marchande vaudra le coup d’oeil, et permettra un vrai passage entre les deux ports. On tiendra enfin le chaînon manquant, maillon final qui reliera les quartiers Ouest au vieux port par la rive. Car une fois au pied de la Major, ce ne sont plus des rénovations qui nous attendent.

arrivée au Mucem par le fort St Jean

arrivée au Mucem par le fort St Jean

Beaucoup a déjà été écrit sur le Mucem, et sur la villa Méditerranée. Juste un bref rappel alors, au cas où. J’insistais au début de ce parcours sur l’invisibilité de ce géant, le Mucem. C’est pourtant vrai, et lorsqu’on emprunte la longue passerelle, étroite langue de béton lancée à travers le fort Saint Jean, la courbure imperceptible ne nous laisse découvrir l’édifice que tardivement. Un toit terrasse – vaste terrasse – s’offre au regard. On passe à portée de main de la fameuse « résille » de béton allégé, et on se trouve sur cette terrasse accueillante. Des sièges gratuits sont occupés par des promeneurs, ou des voisins venus bouquiner. Le pourtour est ombragé, comme par une tonnelle ou des moucharabieh, par l’entrelacs de béton noir. C’est parfaitement élégant, mais aussi pragmatique et utile, l’ombre ainsi créée par la résille, tenue à 2 mètres des façades par d’étroites poutrelles, laisse un air frais circuler le long des murs et procure une climatisation naturelle. Rudy Ricciotti a raison d’être fier de son ouvrage, on n’a qu’une envie c’est de rester et de faire venir des amis. On pénètre ensuite, soit par le cœur et ses ascenseurs, soit par l’extérieur et son déambulatoire entre mur et résille. Première surprise : il faut aller en rez-de-chaussée, au niveau de la mer, pour prendre les billets. Le hall est immensément haut. Les salles d’expositions sont gigantesques, mais celles que j’ai vues, réservées aux expositions temporaires, sont de bonnes proportions et on y circule agréablement.

Mes reproches ne vont pas au bâtiment lui-même, mais plutôt à la conception et la muséographie de ces expositions temporaires. Le « bazar du genre » tient assez bien son propos, mais elle est confuse et peu pédagogique. Par « pédagogique » j’entends que quelques mots sur la démarche d’un ou deux artistes exposés ne serait pas de refus, puisque la dimension politique et/ou théorique est d’emblée sous-entendue par le titre et confirmée par les œuvres. Quant-à expliquer ce qu’entendent par « genre » les chercheur-e-s et les militant-e-s, des conférences et des débats dans le musée sont prévus, mais c’est un complément à l’exposition, pas une explicitation fournie au visiteur.

Nouvelle surprise lorsqu’on quitte les lieux par le niveau inférieur. En allant vers la Digue du large puis en se retournant, on est submergé par la masse imposante. Depuis la mer il est si petit, et si invisible depuis le panier… La surprise est redoublée par l’absence de résille sur les deux façades sud et ouest, celles que l’on contemple depuis la jetée. Une courbure remplace l’arrête habituelle des murs d’angles, et c’est comme une long miroir de verre qu’on aurait placé face à la mer. C’est un musée très différent de celui par lequel nous avons pénétré, et que nous n’aurions pas imaginé ainsi depuis son faîte.

un vaisseau spatial futuriste qui se serait posé à une encablure du vieux port

Il suffit de pivoter la tête de quelques degrés, ou de faire quelques mètres, pour qu’un second géant entre en scène. A la bataille des colosses, la Villa Méditerranée de Stefano Boeri a des atouts pour asseoir sa réputation. Son porte-à-faux est l’un des plus grands qui existent. La partie supérieure s’avance sur quarante mètres, tout juste retenue par une extrémité et suspendue au-dessus du vide. Dessous, un bras de mer vient lécher la façade. Du sol, des pavés de verre laissent deviner l’espace d’exposition qui nous domine. De côté et de trois-quarts, l’effet du porte-à-faux est saisissant. C’est comme un vaisseau spatial futuriste qui se serait posé à une encablure du Vieux Port et une autre de la Major. Le principe est celui d’un jeu de forces qui s’équilibrent. La villa est construite comme un grand « C », qui serait coupé à mi-hauteur par la chaussée, et dont l’autre moitié est enfouie et vient « retenir » le surplomb de s’effondrer. Hélas, l’exposition de ce fameux belvédère était fermée « pour raisons techniques » le jour de ma visite. On ne pouvait que circuler le long sans jouir de l’espace central. La salle d’exposition en sous-sol est nettement plus grande. La villa M, qui appartient au département, y expose une étrange « collection permanente ». La villa est un « un lieu international pour le dialogue et les échanges en Méditerranée ». On est immédiatement mis en situation par d’astucieuses mises en scène de cargos. Chaque salle a été adaptée au sens véhiculé par les œuvres, et elles en sont fortement chargées. Une association militante n’aurait pas fait d’autres choix. Ce qui n’enlève rien à la qualité de cette exposition, loin de là. Son engagement contraste avec la tentative des commissaires du Mucem de faire parler « le noir et le bleu » à travers des œuvres. Ici au moins, qu’on aime ou non ce qu’on voit, on en saisit la volonté et on en mesure la cohérence.

villa Méditerranée et Mucem

villa Méditerranée et Mucem

Quelques jeunes, dehors, bravent l’interdiction de se baigner et troublent de leurs plongeons les reflets de la Villa et du Mucem. Le soir, les jeux d’éclairages soulignent encore l’étrange beauté de la villa, futuriste. Le Mucem, lui, dévoile dans l’obscurité son dernier détail. A l’extrémité des poutrelles qui tiennent la résille, des lampes bleues clignotent lentement. Depuis la mer ou le Pharo, on profite alors d’une verticale toile high-tech. A moins que ce ne soit le dessin d’un aéroport tel que le voient de nuit les pilotes ?

Terre de voyage, lieu de passages

Le voyage et le dialogue des cultures sont la colonne vertébrale de Marseille-Provence 2013. C’est heureux et c’est logique, Marseille premier port d’Algérie, Marseille la bigarrée, Marseille la cosmopolite pour une fois n’est pas objet de dénigrement mais une inspiration inépuisable pour les artistes.

On retrouve les migrations et le dialogue des cultures dans plusieurs manifestations, c’est d’ailleurs le sens de la métaphore du « Pont » qui donne son nom à l’exposition au MAC. A la villa Méditerranée, le parcours « Plus loin que l’horizon » nous met en situation, grâce à une excellente scénographie de conteneurs, de cartons, de coursives de navires.

Marseille reste, actuellement, un grand port de voyageurs, sans doute le premier en France et un lieu important de transit en Europe, notamment vers l’Italie et l’Afrique du nord. Ce ne sont pas seulement les lieux (le J1) qui mettent en valeur la dimension portuaire de Marseille, les œuvres aussi, certaines parlent du passé mais beaucoup puisent dans un ici et maintenant qui irrigue cette ville.

En guise de bilan, quelques préférences personnelles

Impossible de ne pas tomber amoureux du Mucem, surtout en arrivant par le sommet. Il faudra que la réalisation des expositions s’améliore pour que l’enthousiasme provoqué depuis l’extérieur reste intact lors des visites. Mais le lieu est jeune, le musée va s’améliorer.

Les plus belles expositions parmi le petit nombre que j’ai vu sont celle de « l’atelier midi », du MAC, et la plus marquante à mon goût fut « des images comme des oiseaux ». La photographie a gagné ses gallons d’art noble comme les autres, si on en juge par la multiplication des lieux qui lui sont dédiés. Cette sélection fait honneur à la photo, alors même que le fil conducteur est le plus ténu qui soit : les choix d’un curateur parmi une collection patrimoniale. Je relève ce paradoxe d’autant plus volontiers que l’absence de cohérence (déficit de sens) et de clarté du parcours (la muséographie) me gênent presque systématiquement (au Mucem, justement, dans « noir et bleu » surtout). Là au contraire, dans la belle tour panorama de la Belle de mai, les images prennent leur envol, comme des oiseaux. Mention spéciale aussi aux rares mais belles œuvres de Xavier Veilhan, qu’il a su intégrer au toit de la cité radieuse, cadre unique et fantasmagorique.

Par choix, surtout, je n’ai guère exploré les spectacles vivants du programme Marseille-Provence. Il est assez copieux, notamment pour la danse. Je vous laisse le découvrir par vous-mêmes.
Un petit bémol pour nuancer ce flot de louanges. Le public des jeunes a semble-t-il été un peu négligé. Peut-être est-ce un effet du manque de communication déjà évoqué, mais les lycéens que nous avons rencontrés étaient incapables de citer la moindre initiative destinée à leur âge. C’est un travers de l’action culturelle en général, pas un défaut local, mais alors que beaucoup de jeunes ne partent pas en vacances il aurait été heureux que les actions envers les jeunes ne soient pas, comme toujours, réservées aux plus petits. Le pavillon M, à 2 pas de l’hôtel de ville, programme de temps à autre de la danse et des concerts destinés aux jeunes, mais moins que des ateliers pour les petits.

Et après l’été, quoi ?

L’année “capitale” n’est pas finie. Beaucoup d’expositions temporaires se terminent en septembre ou octobre (certaines comme ‘New Orders’ à la Belle de mai continuent jusqu’en décembre). Or la douceur et la lumière marseillaises méritent qu’on s’y rende en toute saison. Et puis il y a les nombreux habitants de la région, qui auront pris goût à tant d’activités et voudront en profiter jusqu’au bout. Voici une sélection partielle et subjective de ce qui vous attend pour la fin 2013: