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PS’Playlist décembre 2013 (Anthony, Marc, Isabelle & Thierry)

Les playlists de décembre sont une sélection de trois morceaux par contributeur du site, représentative de leur année 2013 : des chansons actuelles ou anciennes, celles qui sont revenues comme un leitmotiv tout le long de l'année ou des découvertes ; le tout accompagné d'un texte personnel. Elles sont réunies par groupe de quatre ou cinq plombiers.

Par Collectif, le 23-12-2013
Musique

ANTHONY FORET

P3-1

Queens of the Stone Age – “I Appear Missing”
Extrait de “…Like Clockwork” – 2013 – Stoner à maturité

Sigur Ros – “Kveikur”
Extrait de “Kveikur” – 2013 – Post-rock tendu

NO CEREMONY – “Partofme”
Extrait de “No Ceremony” – 2013 – Electro-pop

2013 étant à la morosité générale ce que Bonnie Tyler est au brushing (une sorte de climax), il est plus qu’urgent de se faire un petit bilan fissa et de passer à autre chose. En même temps, l’inventaire est rapide pour ce qui concerne la dimension musicale de ces 365 jours qui, finalement, illustrent un bon vieil adage : en période de crise ou de doute, se replier sur les valeurs-refuge.

Sauf que… La plupart de ceux sur qui on comptait pour embellir l’espace sonore ont livré des copies rassurantes mais peu galvanisantes. The National, Boards Of Canada, The Knife, Nick Cave, Arcade Fire, Arman Méliès, My Bloody Valentine… : des albums de bonne facture mais sans le génie évident qui a pu nous claquer les oreilles par le passé. Peut-être deviens-je vieux et blasé mais j’ai peu vibré du casque en 2013. Ou alors ne me reste-t-il plus qu’à recourir aux antidépresseurs  pour m’auto-déclencher de la joie…

Deux exceptions notables, toutefois, parmi ces têtes d’affiche fidèlement suivies depuis tout ce temps : Queens Of The Stone Age et Sigur Ros.

Queens of the Stone Age me laissait l’impression de tourner en rond depuis “Songs For The Deaf” en 2002. “… Like Clockwork” remet les pendules à l’heure, agrémenté de quelques perles intenses, dans un savant mélange de rudesse et d’émotion (“My God is the Sun”, “Fairweather Friends”), de parties plus intimistes (The vampyre of time and memories) jusqu’au point culminant qu’est  I Appear Missing, chanson poignante sur la near death experience de Josh Homme. Le grand rouquin s’apaise mais ne se renie pas.

Sigur Ros, dans une tendance similaire au groupe sus-nommé, n’avançait plus beaucoup jusqu’à ce Kveikur très réussi. Là où Josh Homme laisse retomber la pression, Jonsi et ses sbires remettent une couche de puissance et de noirceur dans une discographie devenue trop légère. Sigur Ros montre les dents, frisant parfois l’indus, bouscule l’auditeur à grands renforts de percussions et de saturations, pour un album volcanique et glaçant (et c’est à cet instant que je m’inflige une petite tape sur la main pour avoir une fois encore osé une allégorie navrante à base d’Islande mais bon, je suis faible…).

Enfin, NO  CEREMONY/// conclue sur une note inattendue cette année musicale. Le trio mancunien d’électro-pop oscille entre les ambiances de The XX pour ses parties neurasthéniques, et M83 pour ses quelques envolées épiques et synthétiques. On rit peu à l’écoute de cet album – le Manchester Spirit ici présent penche peu du côté des Happy Mondays – et  Partofme , malgré son envolée un poil emphatique et davidguettesque, évoque plutôt un rimmel qui coule sur la joue mouillée de larmes de la chanteuse qu’une soirée placée sous le signe de la MDMA.

MARC MINEUR

P3-2

Albin de la Simone – “Mort en plein air”
Extrait de “Un Homme” – 2013 – chanson

Moonface – “Everyone Is Noah, Everyone is The Ark”
Extrait de “Julia With Blue Jeans On” – 2013 – Piano Forte

Arcade Fire – “Joan of Arc”
Extrait de “Reflektor” – 2013 – Rock de stade

Une année, c’est d’abord une année de vraie vie. Elle a été bonne avec de chouettes évènements dedans, merci, mais ce n’est pas trop le propos du jour. L’année musicale a été comme toutes les autres, avec de bonnes et de mauvaises surprises. On va s’attarder sur quelques-unes des premières si vous voulez bien. 2013 est aussi l’année où j’ai passé le cap des dix ans à donner mon avis en ligne.

Première bonne surprise de l’année, l’album d’Albin de la Simone sort enfin. Et il est impeccable de bout en bout, sur le fond et la forme, sans déchet ni matière grasse. Et puis on retrouve ce morceau qu’on attendait depuis qu’on l’avait attendu il y a dix ans. L’histoire de Mort en Plein Air est d’ailleurs arrivée à une connaissance (je ne lui ai pas fait écouter), ce qui renforce encore la profondeur du morceau je trouve.

C’est aussi une année de concerts. Et après plusieurs années à arpenter les salles obscures, on guette toujours l’occasion de s’enflammer, on essaie tant bien que mal d’être dans les dispositions favorables à un frisson. On y arrive, encore. Parfois même, on sombre corps et âmes parce qu’un artiste arrive à établir cette connexion directe avec le système nerveux. On n’était pas nombreux devant Spencer Krug (Moonface, c’est lui) en cette nuit louvaniste, mais on était tous d’accord, on a vécu un grand moment, notamment parce qu’il y avait des morceaux de ce calibre-là (Everyone is Noah, everyone is the ark) :

Et puis si Arcade Fire n’a pas sorti son meilleur album (loin de là même) et s’il ne contient pas que des merveilles (loin de là même), ils arrivent à changer de cap et rester pertinents, à prouver que le grand groupe de l’époque, c’est eux. Mais au-delà du marketing trop bien fichu pour être honnête et de la déclaration d’indépendance, il y a quelques grands morceaux dont ce Joan Of Arc dont on ne s’est pas encore lassé.

ISABELLE CHELLEY

P3-3

David Bowie – “Where Are We Now?”
Extrait de The Next Day – 2013 – Rock

Thee Oh Sees – “Maze Fancier”
Extrait de Floating Coffin – 2013 – Garage

Belle And Sebastian – “The Boy With The Arab Strap”
Extrait de The Boy With The Arab Strap – 1998 – Pop

Le 8 janvier 2013, j’ai bien cru que l’année allait être bonne. Comme chaque matin, je me suis traînée en zombie jusqu’au Mac, j’ai ouvert Twitter et toute ma TL – on ne choisit pas ses parents, mais au moins qui l’on suit sur les réseaux sociaux – ne parlait que de ça. Après dix ans de silence, Bowie revenait avec un nouveau single. Le jour de son anniversaire. J’ai mis une matinée avant de l’écouter. La trouille. Pas envie qu’il me déçoive. Pas après avoir fait le geste le plus classe qui soit en disparaissant plutôt que de livrer des albums peu inspirés. Il m’a accompagnée pendant toute mon adolescence, il est en partie responsable de mon choix irresponsable de carrière et si j’ai cessé d’acheter ses disques après “Earthling”, je ne l’ai jamais vraiment lâché. Quand j’ai fini par jeter une oreille à Where Are We Now?, je n’ai pas su quoi en dire.

Alors je l’ai écouté en boucle. Jusqu’à le connaître par cœur, comme lorsque j’écoutais vraiment de la musique à 15 ans, au lieu du trop plein zappeur d’aujourd’hui. Sa nostalgie ambiante m’a touchée au plus profond. Je me suis aussi demandé où j’étais à présent. La question m’a hantée toute cette année. Toujours pas réussi à y répondre. Ou pas voulu. 2013, année de la nostalgie, ou de la mélancolie chronique, je n’en sais rien. Des électrochocs aussi, fournis par Thee Oh Sees au City Sound Festival ou sur album. Une affaire d’énergie brutale, de mélodies tordues, de voix sonnant parfois comme une chorale de bébés aliens sous acide, de chansons dont les seuls titres me racontent des histoires.

Maze Fancier m’a renvoyée à ma première écoute de “Tomorrow Never Knows” des Beatles. Une sensation de vertige, de petit plongeon dans un monde parallèle où l’on écoute des sons à l’envers. J’aime la musique comme les arts visuels : j’ai envie qu’elle me foute le frisson, qu’elle me fasse éprouver les émotions que j’ai collées sous mon couvercle de control freak. Que j’ai un peu peur de mes réactions en l’écoutant. Sinon, je ne vois pas l’intérêt, ce n’est que du bruit de fond.Enfin 2013, c’est encore une affaire de redécouverte. J’avais lâché Belle & Sebastian dans les années 90. Trop mignon, trop doux, trop nuancé… Cet été, en voyant les Écossais à Rock en Seine j’ai senti qu’ils m’avaient manquée. Ce concert fait partie des rares que, durée d’attention et de concentration limitée oblige, je n’ai pas eu envie de voir finir. La lumière de fin d’après-midi était parfaite. La compagnie aussi. J’avais un verre de vin à la main, de la pop plein les oreilles et sur scène, Stuart Murdoch faisait oublier son charisme de bibliothécaire à pellicules sur le col avec cette voix haut perchée, soyeuse au tympan, androgyne… C’était doux-amer, mélancolique, oui, encore cette saleté de mélancolie chronique qui m’a collée à la peau toute l’année. Je n’ai pas souvent d’épiphanie, mais le concert achevé, je n’ai eu qu’une envie : racheter l’intégrale de Belle & Sebastian en vinyle. Tant qu’à cultiver sa mélancolie chronique, autant le faire avec un minimum d’élégance et d’audiophilie, bordel.

THIERRY CHATAIN

My Bloody Valentine – “ Only Tomorrow ”
Extrait de “m b v” – 2013 – shoegaze

Thee Oh Sees – “I Come From The Mountain”
Extrait de “Floating Coffin” – 2013 – garage kraut

Nisennenmondai – “A”
Extrait de “N” – 2013 – trance rock

P3-4

Pour moi, 2013 restera indissociable, plus qu’aucun millésime récent, de la musique vécue en concert. Ma sélection est donc faite de l’écume de ces moments d’abandon consenti, de suspension of disbelief, d’instants suspendus où le sens s’efface derrière les sens. De son(s) et de vibrations plus que de chansons. Et tout cela sans (trop) sortir de l’instrumentation traditionnelle du rock, quitte à la pousser dans ses derniers retranchements.

Une spécialité de My Bloody Valentine. Il aura fallu que je croise leur chemin aux Eurockéennes de Belfort pour qu’enfin – contrairement à une bonne moitié du public, désorienté et déserteur – je tombe dans leur chaudron, et ressente toute la sensualité de leur musique, grisé par le volume et sa présence toute physique, jusqu’aux infrabasses. C’est simple : leur son est si riche, si palpable, qu’on peut le toucher. Un mélange de textures, de fluide et de granuleux, qui relève de la synesthésie. Dont Only Tomorrow pourrait bien en être comme l’essence concentrée. Entre langueur et majestueuse ascension vers la transcendance.

Thee Oh Sees, vus deux fois en deux mois, c’est tout autre chose. Une excitation épidermique mais continue, un art du paroxysme prolongé, une rythmique tendue comme une corde d’archer zen, une énergie vitale dépourvue d’agressivité, des petits cris et des hoquets poussés par un guitariste tatoué avec une coupe et un sourire de petit garçon qui a piqué tout le stock des confitures et qui décoche ses traits à la façon d’un Cupidon psyché… Tout ce que devrait être un concert de rock, capable vous faire croire que le genre vient d’être inventé, là, dans l’instant.

Mais personne ne m’aura plongé dans une transe hypnotique comme Nisennenmondai. Les trois Japonaises jouent du minimalisme et de la répétition, laissant leurs longues pièces instrumentales se développer au fil de subtiles variations. Sans cesser de danser, j’aurai du mal à détacher les yeux de Sayaka Himeno, leur incroyable batteuse au kit réduit (grosse caisse, charleston et caisse claire), boîte à rythme humaine à la précision et à l’endurance impressionnantes marquant les temps de sa queue de cheval, comme possédée. Une vision gravée sur ma rétine comme celle de la revenante de The Ring.

L’intégralité de la PS’Playlist décembre 2013