2013 vu par Gonzalo Tobal : Louie, bribes de vie
Introduction de Thomas Messias : en 2012, le réalisateur argentin Gonzalo Tobal présentait à Cannes son premier long-métrage, Villegas, retour bluesy et mélancolique de deux cousins dans le village qui berça leur enfance. Amer et doux à la fois, tiraillé entre son esprit très européen et ses racines latino-américaines, le film symbolise tout ce qui m’interpelle dans le cinéma argentin : cette façon d’avoir tellement le cul entre deux chaises qu’on n’en finit plus de se demander qui on est. Et que Gonzalo choisisse d’évoquer la série Louie comme étendard de son année 2013 me semble aussi cohérent que révélateur.
Les bilans de fin d’année constituent pour moi une immense injustice, mais c’est probablement parce que je suis un peu étourdi : dans ma tête, les oeuvres vues les derniers mois prennent immanquablement le pas sur celles qui datent du début d’année. Le premier trimestre me semble terriblement lointain. La question que je me pose est la suivante : si l’année avait été distribuée différement, si les mois s’étaient succédés dans un ordre aléatoire au lieu de respecter l’ordre préétabli, en aurais-je retenu les mêmes oeuvres et les mêmes événements ? Je ne sais pas. Je ne saurai jamais.
Toujours est-il que mon grand souvenir de 2013 est en fait un souvenir de la fin 2013. Ces deux derniers mois ont en effet été marqués par ma découverte tardive d’une série qui m’a accompagné comme un ami proche, ce qui me laisse dans un état de grande inquiétude pour mon avenir proche en raison des trop nombreuses semaines qui nous séparent de l’arrivée de nouveaux épisodes. Je parle de Louie, la série de Louis CK.
La série se base de façon plus ou moins fidèle sur la vie de Louis CK, un comédien divorcé vivant à New York. Elle suit ses petites aventures quotidiennes, son travail d’humoriste, ses relations avec ses filles, sa vie amoureuse et sexuelle au travers de ses rencontres avec des femmes différentes. Si certains épisodes développent avec force et précision ce qu’on peut appeler une intrigue à proprement parler, d’autres ressemblent juste à une collection de moments, petits morceaux d’existence vécus par le héros dans une même journée ou une même période. L’ensemble pourrait sembler incohérent ou disparate, mais j’aime justement cette idée selon laquelle un micro-événement peut avoir des répercussions énormes sur votre façon d’être alors que des faits plus importants en apparence finiront rapidement par être archivés dans votre mémoire, sans conséquence directe (en tout pas pas consciemment). Cette structure volontairement lâche permet de générer des moments de comédie brutale, et d’évoluer peu à peu vers plus d’émotion et de gravité. C’est une combinaison unique qui le place à mille lieues de la plupart des sitcoms. Les premiers épisodes peuvent laisser un peu perplexe, car il y a de quoi se perdre dans cette confusion volontaire de tonalités et ce refus de faire de l’humour pour l’humour. Le beau principe de Louie, c’est qu’il n’y a rien à en attendre. Il faut accepter d’être surpris, frustré, s’abandonner aux situations et profiter de la compagnie des personnages pendant un certain temps. Personnellement, j’en sors en général aussi hilare qu’ému.
La durée raisonnable des épisodes de Louie la rend idéale pour un visionnage de fin de journée. Je prescris un à deux épisodes chaque soir avant le coucher. C’est ce que j’ai fait ces derniers mois, en reprenant au début une fois le stock d’épisodes écoulé. Ce qui commence comme un rendez-vous quotidien, presque routinier, finit par ressembler à une curieuse opération de fusion entre nos propres souvenirs de la journée fraîchement écoulée et les bribes de la vie de Louie, toujours teintées d’angoisse et d’amertume. Je vois moins Louie comme un reflet de moi-même que comme un tremplin qui me permet de rebondir sur mes échecs éventuels. C’est la thérapie la plus salvatrice et la plus désarmante qui soit.